Et si le mal des entreprises de demain était la difficulté à recruter les « bons » profils ? Tandis que l’économie européenne se porte mieux, le manque de main-d’œuvre qualifiée face aux besoins en compétences scientifiques et numériques des entreprises est régulièrement thématisé. Le Luxembourg n’est pas épargné.

Pour un Luxembourg digital

Poursuivant une stratégie de diversification économique, le gouvernement luxembourgeois a affiché son intention d’attirer des activités à valeur ajoutée axées sur les nouvelles technologies au Grand-duché. L’initiative gouvernementale « Digital Lëtzebuerg », lancée fin 2014, visait ainsi à positionner le pays dans le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication pour faire face aux défis d’une société de plus en plus numérique et transformer le Luxembourg en une véritable « Smart Nation ». D’autres initiatives publiques et/ou privées ont suivi afin de lui assurer une transition « durable » telle que la stratégie chapeau « Third Industrial Revolution » (Ministère de l’Economie, Chambre de Commerce et IMS) ou l’étude « Arbeiten 4.0 » (Ministère du Travail, Chambre de Commerce et Chambre des salariés). En outre, des programmes plus ciblés d’accompagnement des entreprises dans leur transition digitale ont été mis en place comme Fit4Digital de Luxinnovation (prise en charge d’une partie du coût d’un diagnostic pour les PME), Go Digital de la House of Entrepreneurship, eHandwierk de la Chambre des Métiers ou encore la e-vitrine Letz shop du Ministère de l’Économie et du secteur du commerce.

Oui, mais…

Ces initiatives actent bien le fait que la montée en puissance du digital ne concerne pas seulement les entreprises qui en ont fait leur activité principale (TIC)[1] mais aussi le transport, le tourisme, la santé, l’énergie, les finances, etc. Outre l’adaptation des pratiques et de l’infrastructure, cela pose un défi supplémentaire : celui de trouver une main-d’œuvre qualifiée.

En effet, les besoins en personnels formés aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et aux Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques (STIM) devraient continuer à croître[2] (+4% par an estimé sur 10 ans au niveau européen par la Commission. Or, si pour l’heure l’inadéquation de la main d’œuvre luxembourgeoise au marché du travail est faible en comparaison européenne (22,8% des travailleurs sont employés dans un domaine différent de celui dans lequel ils se sont spécialisés, 30% des travailleurs ont un niveau de scolarité supérieur ou inférieur à celui requis par leur travail), nombreuses sont les entreprises qui déclarent avoir des difficultés à pourvoir des postes de spécialistes des TIC (65% des entreprises qui ont  recruté/essayé  de  recruter  ont signalé  des  difficultés  à  pourvoir  ces  emplois  en 2017 – 58% en 2014 – contre une moyenne européenne de 48%). D’après une enquête de la FEDIL, les créations de poste dans ce domaine sont supérieures aux remplacements et les exigences en termes de niveaux de formation élevées (74% des prévisions concernaient des formations universitaires). L’analyse – développement – maintenance de logiciels/administration de systèmes informatiques sont les groupes de fonction les plus recherchés et en termes de métiers, ce sont les programmeurs/développeurs et les chefs de projets informatiques.

Mais la disponibilité de la main-d’œuvre « locale » n’a rien d’une évidence :

  • la part relative des élèves sortant de l’enseignement secondaire général avec un diplôme à « dominante scientifique » est en baisse et le taux d’étudiants formés en STIM est l’un des plus faibles d’Europe ;
  • le Luxembourg se classe 52e sur 127 pays en termes de disponibilité de scientifiques et d’ingénieurs et 17e sur 28 membres de l’UE ;
  • les « techs » sont un domaine d’hommes avec une proportion de femmes parmi les plus faibles de l’UE avec 12,6% contre une moyenne de 16,1%.

Pour autant, former ou attirer des « magiciens du code » n’est pas tout. Au-delà des compétences expertes dans les technologies, il ressort un besoin en compétences transversales (soft skills) mais également en compétences techniques nouvelles (notamment digitales), appliquées aux métiers traditionnels[3]. L’étude « Arbeiten 4.0 » a révélé que 65 % des personnes interrogées dont le travail est fortement affecté par la digitalisation constatent qu’elle engendre le besoin d’une montée en compétences. Or selon les données de l’Observatoire de la formation au Luxembourg, l’acquisition de compétences en informatique concerne 2% des formations dispensées aux salariés non qualifiés et 8% aux cadres. Dans le même temps, ¾ des formations concernent « le cœur de métier » actuel des salariés.

A l’heure où le manque de main-d’œuvre qualifiée et les difficultés de recrutement[4]  sont considérés comme des freins au développement des entreprises, ces données ont de quoi surprendre.

Quelles solutions pour quels problèmes ?

Si l’on s’en réfère aux classements internationaux[5], le Luxembourg ne manque pas d’atouts pour séduire « les talents », excellant notamment grâce à une ouverture manifeste. Il en ressort cependant certaines lacunes en matière d’employabilité de la force de travail domestique dans le secteur privé : difficulté à trouver des personnes qualifiées, adaptation du système éducatif à l’économie et adéquation des formations secondaire et tertiaire aux besoins des entreprises.

Pour réduire les pénuries de compétences, plusieurs registres de mesures se combinent : l’éducation et la formation; l’exploitation des réserves de main-d’œuvre et de compétences ; le perfectionnement professionnel des salariés[6].

De l’écolier au demandeur d’emploi, plusieurs initiatives ont été mises en place au Luxembourg comme les lycées pilotes avec une section « informatique et communication », la mise à disposition d’Ipad dans les écoles, l’école de coding Web force 3 pour les demandeurs d’emploi, le Cybersecurity Competence Center (C3) qui réunit le gouvernement luxembourgeois et divers partenaires locaux et privés, le programme Fit4coding de l’Adem visant à donner des compétences de base aux chômeurs en matière de code et le Digital Skills Bridge, projet pilote qui a pour objectif d’accompagner les entreprises et les salariés dont l’activité sera profondément affectée par un changement technologique majeur vers une nouvelle organisation et des emplois transformés par ce changement numérique.

Ces initiatives sont prometteuses mais gare à l’écueil du « tout adéquationniste » qui conduirait à remplacer des matières jugées « inutiles » sur/par le marché du travail par d’autres, requises à l’instant t. Car si l’école se contentait de la seule formation des actifs de demain, il se pourrait qu’elle alimente aussi les rangs des laissés pour compte d’après-demain, en l’absence de système parfaitement ajusté de formation tout au long de la vie.

 


 

[1]Sur la période 2013-2017, la valeur ajoutée des TIC a progressé d’environ 19% par an et l’emploi de 4%, en faisant l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie. Ce secteur représentait 11% de la VA et 4% de l’emploi en 2017. Les infrastructures et les réseaux puissants dont la création, le développement, l’entretien et la maintenance dépendent aussi d’un personnel compétent, sont un préalable nécessaire.

[2]D’après les données du CEDEFOP les professions qui pourraient connaître une pénurie de main-d’œuvre sont les professionnels de l’administration et de la finance, de l’ICT, les médecins généralistes et les professions techniques et ingénieurs logisticiens.

https://skillspanorama.cedefop.europa.eu/en/analytical_highlights/luxembourg-mismatch-priority-occupations

[3] COE, (2017), Rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi – Tome 2 : l’impact sur les compétences.

[4] Dans le World Talent Ranking de l’Institute of Management Development de Lausanne, le pays occupe la 44e position sur 63 en ce qui concerne la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée. Les difficultés de recrutement des entreprises ont, elles, été thématisées par le CEPS/INSTEAD à partir d’une enquête réalisée en 2007 : 43% des recrutements pour des postes de professions intellectuelles et scientifiques, de dirigeants et de cadres de direction étaient jugés difficiles contre seulement 9% de ceux pour des postes d’ouvriers et d’employés non qualifiés. Le secteur de la finance était par ailleurs le plus touché par les difficultés de recrutement.

[5] 10e de l’IMD World Talent Ranking ainsi que du Global Talent Competitiveness Index de l’INSEAD.

[6] CEDEFOP, (Novembre 2016), « Professions en Europe : déficit ou excédent de compétences ? ».

Lien : http://www.cedefop.europa.eu/files/9115_fr.pdf

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