«  La Chambre des Députés représente le pays. Les députés votent sans en référer à leurs commettants et ne peuvent avoir en vue que les intérêts généraux du Grand-Duché. » – Article 50 de la Constitution

A trois mois des élections législatives, la représentation politique dans le régime démocratique luxembourgeois mérite d’être interrogée au prisme de la physionomie actuelle de la Chambre des Députés, avant sa prochaine reconfiguration.

Il ressort, sans grande surprise (quoique), de cette succincte analyse que le député type est un « mâle blanc » d’un certain âge, né au Luxembourg, qui a près d’une chance sur deux d’être enseignant, avocat ou journaliste[1].

Féminisation, rajeunissement, présence accrue de « minorités visibles (ou non) » et de néophytes de la politique : autant de phénomènes dont il conviendra d’observer les évolutions au lendemain des élections.

Où sont les femmes ?

Avec 19 députées sur 60, les femmes représentent 32% des élus[2]. Une parité plus établie qu’au Bundestag allemand, qui rassemble 31% de femmes, mais moindre qu’à l’Assemblée nationale française (39%) et à la Chambre des représentants belge (41%). En outre, de toute son histoire, une seule femme l’a présidée : Erna Hennicot-Schoepges entre 1989 et 1995. Allemagne : 2 – Luxembourg : 1 – France : 0 –Belgique : 0.

 

Déi Gréng est le seul à atteindre la parité tandis que le CSV, premier parti du pays, compte un tiers de députées soit plus que les libéraux mais moins que les socialistes. Sur les rangs de Déi Lénk et de l’ADR, qui comptent respectivement 2 et 3 députés, aucune femme ne siège.

Avec l’entrée en vigueur d’une loi fin 2016[3], un quota de 40% de candidats du « sexe sous-représenté » (soit 24 sur 60) sur les listes aux élections législatives a été introduit et s’appliquera pour la première fois en 2018. En cas de non-respect, les différents partis verront leur dotation financière publique abaissée proportionnellement au nombre de candidat(e)s manquant(e)s. Ainsi, la loi prévoit une diminution à 95% du montant de base si le parti présente des listes comprenant 23 candidats d’un seul sexe, de 90% pour 22 candidats d’un seul sexe et ainsi de suite jusqu’à 25% pour des listes comprenant moins de 15 candidats d’un seul sexe. Ainsi, le Luxembourg s’est engagé sur la « voie des quotas » comme la France ou la Belgique (mais également la Croatie, la Grèce, l’Irlande, l’Espagne, la Pologne, le  Portugal et la Slovénie au niveau européen). Choisir c’est aussi renoncer… à sa dotation ?

Jeune : « Qui est peu avancé en âge » (Larousse)

En matière d’âge, pas de discrimination positive en vue.

La moyenne d’âge des députés au lendemain de l’élection[4] était de 51,7 ans, Déi Lenk remportant la palme de la séniorité (61 ans) mais détenant aujourd’hui celle de la jeunesse suite à des remplacements en cours de mandature (39,5 ans). En comparaison, les élections législatives françaises de juin 2017, consécutives à l’élection d’Emmanuel Macron, ont provoqué une cure de jouvence à l’Assemblée nationale où la moyenne d’âge des députés a baissé de près de 6 ans s’établissant à 48,8 ans. Elle était de 49,3 ans en Belgique et de 49,7 ans en Allemagne.

Au lendemain des élections, 2 députés avaient moins de 30 ans, soit environ 3% de l’ensemble tandis que les quinquagénaires étaient majoritaires à plus de 40%. De même en France, les quinquagénaires demeuraient majoritaires parmi les députés (32%) mais trentenaires et quadragénaires ont opéré une poussée fulgurante entre les deux dernières législatures (respectivement de 3 à 17% et de 15 à 29%). En Belgique, les 40-49 ans étaient les plus nombreux à la Chambre des représentants lors de l’élection (37%).

Aujourd’hui, les 50-59 ans sont toujours les plus nombreux parmi les députés tandis que les moins de 40 ans en représentent 12% quand ils comptent pour près de 40% de la population majeure.

Graphique : Structure par âge des députés* en 2018 comparée à celle de la population (de 18 ans et plus)

Sources : Chambre des députés, STATEC

*Le total excède 100% du fait des arrondis.

Dis-moi ce que tu fais, je te dirai…

A y regarder de plus près, 3 secteurs occup(ai)ent près de la moitié des députés qui siègent aujourd’hui : l’enseignement, le droit et le journalisme. Ils se déclaraient également, dans une moindre mesure, syndicalistes, médecins, fonctionnaires, employés mais encore ingénieurs, psychologues, travailleurs intellectuels ou politiciens…

Tableau : Répartition des députés de 2018 par parti en fonction de leur profession

*Le total excède 100% du fait des arrondis.

Le Luxembourg ne fait pas exception : la composition socio-économique de la Chambre des députés n’est pas représentative de celle la société en général, de la structure de l’emploi en particulier. Par exemple, les « cols bleus peu qualifiés » (ouvriers de l’assemblage, conducteurs d’installations et de machines, aides de ménage, manœuvres…) représentaient quelque 20% de l’emploi[5], 11% de l’électorat[6] mais étaient absents des rangs de la Chambre. De même, les « cols blancs peu qualifiés » (employés administratifs, personnel des services aux particuliers et vendeurs), auxquels nous avons assimilé les employés recensés à la Chambre, pesaient pour 22% de l’emploi, 31% de l’électorat mais comptaient 5% de députés. Or pour le professeur Paul Wynants, de l’Université de Namur, « il est important que les parlementaires reflètent la composition de la population ». Force est de constater que « la vie politique s’organise autour d’inégalités socio-économiques de représentation. […] Devenir député suppose de détenir un capital socioéconomique élevé, un puissant capital scolaire et un fort capital social. »[7]

A noter : plus du quart des députés est également bourgmestre – cumul que la coalition en place n’a, finalement, pas remis en cause[8].

Représentative de la population ? Pas vraiment.

Les femmes représentent près de la moitié de la population, 39% de la population active[9] mais moins d’un tiers des députés (ce qui induit que, sur des listes qui s’équilibrent, les électrices aussi tendent à choisir des hommes). De même, les « jeunes » (moins de 30 ans) ne sont pas représentés à la hauteur de leurs poids dans la société : 3% des députés contre 18,5% de la population après les élections.

Signalons, en outre, l’absence de « minorités visibles[10]» dans cet organe de représentation, malgré l’histoire familiale migratoire de certains de ses membres. Rappelons ainsi que 61% de la population totale et un tiers des résidents de nationalité luxembourgeoise déclaraient un passé migratoire lors du dernier recensement[11]. Par ailleurs, sans rouvrir des plaies laissées béantes suite au résultat du référendum sur le droit de vote des étrangers, soulignons que les « non luxembourgeois » ne peuvent être élus de la Nation. Ce n’est pas une spécificité locale[12], ce qui l’est, en revanche, c’est le fait qu’ils représentent près de la moitié de la population résidente. Défaut d’expression et, par capillarité, de représentation ? La question demeure ouverte[13]. Par extension, la problématique de la représentation des frontaliers, soit plus de 40% de la force de travail, peut également être soulevée[14].

Si la Chambre des Députés n’a pas vocation à être la reproduction fidèle de la société (intérêts personnels, disponibilité, rigueur et compétences exigées par la fonction, etc.), elle ne saurait, à l’inverse, se faire miroir… aux alouettes[15].

Le Luxembourg, contrairement à certains de ses congénères européens, ne devrait pas traverser une « crise de la représentativité » se traduisant par une abstention massive, le vote y étant obligatoire (entre autres motifs de participation). Pour autant, le modèle actuel n’est pas à l’abri de quelques essoufflements s’exprimant par d’autres biais (« dégagisme », montée des questions identitaires, tensions sociales, désintérêt pour la « chose publique » de la part de ceux qui s’en estiment écartés…). La question de la composition de la Chambre des Députés, censée représenter directement le pays (voir Constitution), et de sa représentativité ne saurait, dès lors, être négligée.

Prochainement donc, le changement. Mais dans la continuité ? Il conviendra d’être particulièrement attentifs à des caractéristiques telles que le genre, l’âge, la profession, les origines ou encore l’exercice d’autres fonctions électives (néophytes de la politiques, « cumulard(e)s » ?…) des heureu(ses)x élu(e)s. Rendez-vous donc le 14 octobre pour connaître le nouveau visage de ce fief du monocamérisme grand-ducal.

 


 

[1] Les données exploitées sont disponibles sur le site de la Chambre des Députés, sur le profil de chaque député.

[2] Elles étaient 17 en début de mandature mais leur nombre a progressé suite à des départs: Roger Negri (LSAP) remplacé par Simone Asselborn Bintz, Marcel Oberweis (CSV) par Claudine Konsbrück, Anne Brasseur (DP) par Frank Colabianchi, Claude Adam (DG) par Sam Tanson, Christiane Wickler (DG) par Gérard Anzia et Luc Frieden (CSV) par Martine Mergen.

[3] Loi du 15 décembre 2016 portant: 1. modification du Code du travail; 2. modification de l’article 2 de la loi modifiée du 21 décembre 2007 portant réglementation du financement des partis politiques.

Voir : http://data.legilux.public.lu/file/eli-etat-leg-memorial-2016-264-fr-pdf.pdf

[4] Comme pour la France, la Belgique et l’Allemagne, l’âge moyen des députés a été calculé au lendemain des élections législatives de 2013 selon la configuration de la Chambre à ce moment.

Pour la structure par âge des députés et de la population majeure, l’année de référence est 2017 pour une comparaison actualisée.

[5] http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/bulletin-Statec/2017/PDF-Bulletin1-2017.pdf

[6] http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/regards/2013/PDF-15-2013.pdf

[7] Voir : Keslassy Eric (Institut Diderot), « Une Assemblée nationale plus représentative ? », (09/2017). Lien : http://www.institutdiderot.fr/wp-content/uploads/2017/09/Une-assembl%C3%A9e-Nationale-plus-repr%C3%A9sentative-mandature-2017-2022.pdf

[8] Il était inscrit dans le programme gouvernemental de 2013 que « les conditions d’une limitation de la durée des mandats des membres du gouvernement et de l’interdiction du cumul du mandat de députés avec des fonctions électives aux échelons tant européen que local ser[aie]nt déterminées ». Voir : https://gouvernement.lu/dam-assets/fr/dossiers/gouv-2013/assermentation/programme-gouvernemental.pdf

[9] Voir : STATEC, (2017), « Salaires, emploi et conditions de travail ». Lien : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/bulletin-Statec/2017/PDF-Bulletin1-2017.pdf

[10] Qui peut se rapporter aux personnes « de couleurs », issues d’une immigration non-européenne.

[11] Voir : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/RP2011-premiers-resultats/2013/12-13.pdf

Les étrangers originaires d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine représentaient respectivement 1,5%, 2,1% et 0,6% de la population en 2018. Ces données n’intègrent pas les minorités visibles de nationalité luxembourgeoise et d’autres pays européens.

[12] Et l’objet de ce blog n’est pas de questionner le lien établi entre citoyenneté et représentation politique nationale…

[13] En gardant également à l’esprit qu’au niveau communal, les étrangers résidents ont la possibilité de s’exprimer mais le font très peu.

[14] A ce propos, voir : Chambre de commerce, A&T n°12 (mars 2012), « Le rayonnement transfrontalier de l’économie luxembourgeoise: la diversité règne, l’intégration piétine ».  Lien : « http://www.cc.lu/uploads/media/AT_12.pdf

[15] A ce sujet, voir pour la France : Keslassy Eric (Institut Diderot), « Une Assemblée nationale plus représentative ? », (09/2017).

Voir pour la Belgique : Paret Martine, Rousseau Élise, Wynants Paul, « Le profil des parlementaires francophones en 2015 », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2016/18 (n° 2303). URL : https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2016-18-page-5.htm

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