Avec son quatrième « Avis annuel sur la situation et les perspectives socio-économiques du Luxembourg », la Fondation IDEA a.s.b.l. continue de partager des analyses et recommandations, parfois novatrices, souvent éclairantes. Cette publication offre une analyse originale de la situation conjoncturelle nationale et internationale et donne un aperçu des domaines qui devront être suivis avec attention pour tenter de maintenir le Luxembourg « au sommet ». Cette année, dans le sillage du rapport sur la Troisième Révolution Industrielle (TIR) et des discussions menées au niveau européen, l’éclairage thématique porte sur l’économie du partage dans le contexte luxembourgeois.

Avec +3,0% en 2016 et +3,3% en 2017 pour l’OCDE, une modeste reprise de la croissance mondiale est observée mais elle demeure inférieure à son rythme d’avant « crise » de 2008, de l’ordre de +4% et les écueils ne manquent pas, qu’ils soient économiques ou politiques.

Si la croissance américaine devrait s’accélérer cette année (+2,4%, contre +1,6% en 2016), ses perspectives à moyen terme sont pour le moins incertaines. Au Japon, aucun rebond franc et massif de l’économie n’est observé, en dépit de la volonté politique affichée par le gouvernement. Dans les économies émergentes, les transitions économiques sont vraisemblablement plus disparates, longues, complexes, hétérogènes et risquées qu’espéré à l’aube des années 2000. Si la Russie et le Brésil sont actuellement en récession avec l’espoir d’une hausse des prix énergétiques, la Chine, elle, poursuit son « recalibrage » économique (hausse de la contribution à sa croissance économique de la demande intérieure et baisse de celle du commerce extérieur).

Sur le Vieux Continent, la reprise de la zone euro se confirme avec une croissance qui devrait se maintenir cette année (+1,6%) et en 2018 (+1,8%). Certaines de ses « faiblesses récurrentes » et défis structurels (investissement public et privé toujours bas malgré le « plan Juncker », hétérogénéité économique entre pays, vieillissement de la population, excédents commerciaux significatifs d’un côté, déficits récurrents de l’autre), des risques et incertitudes extérieurs (velléités de changement de politique commerciale, fiscale et monétaire aux Etats-Unis, remontée des prix du pétrole, négociations du « Brexit », risques géopolitiques) mais aussi internes (gestion de la crise grecque, risque bancaire dans certains pays, élections au cœur de la zone euro), pourraient néanmoins défier ces prévisions. A l’heure où l’Union européenne en tant que projet politique, voire en tant que marché unique est secouée, où des négociations énergivores et chronophages s’ouvrent avec le Royaume-Uni, où semble se dessiner une nouvelle vision américaine, un nouveau « consensus de Bruxelles » (à plusieurs vitesses ?) demeure à construire.

Alles an der Rei ?! La croissance du Luxembourg demeure élevée (+4,2% en 2016), l’emploi continue de croître rapidement et le chômage confirme son léger repli. Les indicateurs macroéconomiques du Grand-Duché dessinent un pays qui se porte bien. Mais les arbres pourront-il y pousser jusqu’au ciel pour autant ? Les réflexions prospectives se multiplient (troisième révolution industrielle, croissance qualitative, Luxembourg à un million d’habitants, travail et protection sociale du futur, aménagement du territoire, etc.). Elles doivent maintenant déboucher sur des projets concrets, dans le cadre de stratégies prévoyant des rendez-vous d’évaluation.

Les responsables politiques et socio-économiques devront suivre de très près les évolutions des règles fiscales internationales (BEPS, ACCIS, etc.), les conditions du Brexit, la mise en œuvre de certaines réformes (régimes d’aides à la RDI, réformes fiscale, des finances communales, de l’assurance dépendance, etc.), la montée en puissance d’outils nouveaux et/ou stratégiques (House of fintech / entrepreneurship, Université, clusters, centres de recherche publics, etc.), la disponibilité de main-d’œuvre et l’attractivité du pays (« let’s make it happen »), la qualité du dialogue social (notamment avec une anticipation des mutations économiques et digitales et des tournants pour son système de protection sociale) et les projets de coopération transfrontalière à l’occasion de la présidence du Sommet de la Grande Région. Tout un programme !

Avancer dans le brouillard

De nouvelles « donnes », complexes à aborder, semblent redessiner le « village global » dans lequel chacun, Luxembourg compris, devra trouver sa place. On peut citer, de manière non exhaustive, plusieurs grandes tendances à suivre :

  • la remise en cause (et le ralentissement) du libre-échange ;
  • les bouleversements démographiques (vieillissement dans les pays avancés et en Chine, forte croissance dans certains émergents) ;
  • le maintien d’un niveau très élevé de certaines dettes publiques et d’investissements chroniquement faibles dans plusieurs zones développées ;
  • la croissance « multiforme » des inégalités (entre les « entreprises superstar » innovantes et celles qui s’éloignent de la frontière technologique, entre les ménages, entre les générations etc.) ;
  • la faiblesse « mystérieuse » des gains de productivité, en particulier dans les pays de l’OCDE ;
  • la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation à ses effets ;
  • la consolidation de « l’acquis » technologique des pays émergents, notamment asiatiques ;
  • l’accès de plus en plus libre et instantané à la connaissance, à l’innovation ;
  • l’annonce de multiples « disruptions » (robotisation, intelligence artificielle, économie du partage).

Pour tenter d’appliquer nos propres préconisations sur la concrétisation des réflexions prospectives au Luxembourg, l’éclairage thématique, consacré à l’économie du partage, est assorti de recommandations concrètes.

Dans ce brouillard, vous avez dit « partage » ?

Les biens, les services, les facteurs (voiture, logement, temps, argent etc.), comme les modalités d’échange (revendre, louer, troquer, prêter, emprunter, donner) couverts par cette « économie du partage » sont aussi multiples que familiers. Sa singularité réside, en réalité, dans le bouleversement de la vitesse et de l’échelle des échanges que les technologies numériques ont provoqué (haut débit, smartphones, géolocalisation, applications), tout en abaissant les coûts d’information et de coordination. Les nouveaux modèles ont notamment permis à des particuliers de réaliser des activités lucratives, secouant les règles établies (frontière entre professionnel et amateur, droit du travail, droit fiscal, protection sociale, réglementation sectorielle, etc.). Si leur poids économique reste encore marginal, ils attirent une grande attention tant sur leurs attraits (par ex. revenus complémentaires) que sur leurs risques (par ex. possibilités de concurrence déloyale).

Et au Luxembourg ? Des usages à démystifier et à relativiser.

Au Luxembourg, dans le sillage de l’initiative « Troisième Révolution Industrielle » (TIR), les plateformes ont suscité l’engouement en réponse aux défis du futur (mobilité, énergie, cohésion sociale, etc.). Mais la réalité des usages est, pour l’heure, limitée : 86 personnes sur 100 n’y auraient jamais eu recours et moins de 4 personnes sur 100 y auraient offert des services (Eurobaromètre – mars 2016). Avec une utilisation déclarée de 1,5 à 2 fois plus élevée, Français et Allemands se montrent plus « partageurs ». Pour autant, il est inutile de complexer. Sur le plan technologique, le Luxembourg est « prêt pour le partage». En revanche, d’autres facteurs comme la faible métropolisation relative du pays ou un moindre besoin en revenus complémentaires semblent avoir quelque peu freiné le développement de l’économie du partage.

L’esprit des lois : mieux réguler ne serait pas un LUXe

Le cadre réglementaire (ou son absence) est également de nature à influencer le développement des plateformes. Hormis dans le secteur des transports (taxis, covoiturage et autopartage), les autorités se sont, pour l’heure, montrées relativement discrètes. Préservé de certaines dérives, le Luxembourg n’a pas défini de cadre dédié. Mais la mise en œuvre de la stratégie TIR et le renforcement de l’attractivité du Luxembourg ne pourront sans doute pas se passer d’une réflexion plus technique sur le mode de régulation des pratiques de partage afin de ne pas laisser s’installer un doute nuisible à l’innovation comme à l’équité. Il serait malhonnête de dénoncer « un vide juridique » total, mais certaines zones grises subsistent. Un mode de régulation partagée (« shared regulation »), où le pouvoir est largement réparti entre différentes parties prenantes (décideurs, professionnels du droit, investisseurs, entrepreneurs, gestionnaires de plateformes, utilisateurs etc.), semblerait approprié (et familier).

Aussi, le Luxembourg, conscient que des défis d’une autre ampleur seront à adresser concomitamment (emplois, formation, modèle social), pourrait profiter de ce moment pour prendre quelques mesures afin de clarifier les « règles du partage » suivant le triptyque suivant : informer (les utilisateurs) / former (les administrations) / échanger (avec les plateformes).

A la fin, il y avait le commencement

Finalement, pour appréhender des enjeux, même « lointains », de manière concrète, dresser un état des lieux de quatre secteurs « phares » concernés par les plateformes de partage est une première étape. En matière de services rémunérés, d’hébergement de courte durée, de transport et de crowdfunding au Luxembourg, opportunités et risques sont prudemment esquissés tandis que d’éventuelles lacunes réglementaires sont soulevées, à l’aune de mesures adoptées ailleurs.

Mais, in fine, nous sommes tous juges et parties, en tant que consommateur, travailleur, producteur, décideur, citoyen ou tout cela à la fois. Libre d’en user, ou non. Une offre existe, même imparfaite, mais qu’en est-il de la demande ? L’une des principales barrières à l’essor des usages de plateformes de partage (ou garde-fou, c’est selon), reste « l’habitude ». Et contre cela, les autorités peuvent guider, pas décréter.

  • Conférence de presse Avis annuel 2017 : ``monde du partage ou partage du monde?``

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