Les organisations patronales sont régulièrement soupçonnées de faire valoir un « pessimisme professionnel » à outrance. On peut mettre dans le même « moule » les soi-disant organisations « néolibérales » (qui, au passage, ont significativement adouci le ton de leur mantra ces derniers mois et évoquent des sujets comme l’austérité excessive, la financiarisation déconnectée de l’économie réelle ou encore la montée de inégalités). Heureusement, IDEA n’est pas une organisation patronale. Or, dans le climat économique actuel, le doute est néanmoins permis car les incertitudes sont, objectivement, à un niveau très élevé.

Pour répondre à la question : cela pourrait bien se passer l’économie mondiale devrait croître plus vigoureusement en 2017 et 2018 qu’en 2016 (3,5% contre 3%), l’eurolande maintient sa croissance un peu « paresseuse » à 1,5% et a quand même comptabilisé 15 trimestres de croissance (positive, faut-il le dire) et le Luxembourg renoue avec « sa » croissance de 4%. A cet égard, je faisais partie des pessimistes professionnels qui pensaient que de tels taux appartenaient au passé. Mais si tous les économistes avaient toujours raison, 80% d’entre eux seraient sans doute « ubérisés ».

Mais cela pourrait aussi très mal se passer. Alors qu’émerge un nouveau « consensus de Washington », avec un « protectionnisme assumé », une rhétorique « murale » et anti-immigration, une réforme fiscale avec possible « ajustement à la frontière » avec un « champs des possibles » qui va d’un « pschitt » à une large guerre commerciale en rétorsion, des dépenses publiques en forte progression (qui soutiennent certes l’économie à court terme, l’amortisseur du déficit et de la dette étant toutefois durement mis à l’épreuve avec des issues inconnues), le consensus de Bruxelles se fait attendre. L’Europe, déjà fortement chamboulée autour de ses clivages Nord-Sud et Est-Ouest, a de très bonnes idées qu’il faudrait mettre en œuvre pour avancer ensemble : un marché numérique, un marché énergétique, un marché vraiment unique pour les services, des standards sociaux, une nécessité d’avancer ensemble, une intégration politique pour contribuer à des réponses à des défis planétaires. Or, ces champs de bataille importants pour les citoyens et les entreprises européennes risquent d’être quelque peu évincés par l’épineux dossier Brexit. L’Europe investira sans doute énormément de ressources (du temps, de l’énergie, de la rhétorique, etc.) dans un champ de bataille qui ne lui profitera pas. Si tout le monde peut profiter d’un « bon deal » entre l’UE et le Royaume-Uni, le « deal » actuel est déjà « fort bien » et ne sera sans doute pas amélioré, même après deux ans d’âpres négociations. Donc : un risque d’avoir un résultat moins bon dans deux ans après avoir négocié comparativement au statu quo.

Un livre blanc sur l’Union à 27 est sur le point d’être publié et mérite d’être décortiqué : il faut éviter que le Brexit n’approfondisse les lignes de fracture entre Européens et qu’il ne fasse pas en sorte que les vrais challenges d’avenir soient relayés au second plan. Une Europe introvertie qui s’occupe d’elle-même au lieu de s’attaquer aux vrais défis est une Europe envers laquelle les citoyens prendront leurs distances.

Au rayon des incertitudes, n’oublions pas non plus la politique monétaire, véritable « drogue à perfusion constante » qui ne peut pas tout faire, mais à laquelle on demande beaucoup, voire trop, et qui dope nos économies depuis… très longtemps déjà. Outre-Atlantique, cela commence doucement à se raffermir et si l’Europe en profite avec un euro mou, elle ne pourra pas, si les perspectives d’inflation proches de la cible des 2% se maintiennent, attendre éternellement. Cela pourrait faire mal, symptômes du sevrage après le retrait de la drogue obligent. N’oublions pas non plus les élections néerlandaises, françaises, allemandes voire possiblement italiennes, un pays jadis des plus « europhoriques » devenu plus « eurosceptique » et qui « traîne » des créances douteuses équivalentes à 6% du PIB dans les livres de ses instituts financiers.

Et le Grand-Duché ? Oui à la croissance, mais encore largement non à sa composante qualitative. En 15 ans, notre PIB a pris 51%, mais l’emploi total a progressé de 54% (y compris à temps partiel). En d’autres termes : plus de salariés qui travaillent mais pas nécessairement mieux, la productivité, c’est-à-dire la richesse produite par heure, n’ayant pas bougé. Le corpus prospectif d’idées, de propositions, de concepts ainsi que la volonté politique d’aller vers la croissance qualitative est là, il faut s’en féliciter. C’est maintenant que le travail de mise en œuvre, donc le vrai boulot, commence !

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