Un spectre hante l’Europe, le spectre du populisme anti-européen. Les meilleures perspectives économiques actuelles ne sauraient faire oublier le Brexit en cours, ni que le soutien aux partis et mouvements anti-européens s’est accru ces dernières années, menaçant la gouvernabilité de plusieurs pays européens. Les europhiles se sont unis pour traquer ce spectre et multiplient les initiatives avec l’idée que l’Union européenne fasse la différence avec des résultats concrets pour les citoyens. Citons à cet égard l’activisme des instances européennes qui ont lancé le plan d’investissement pour l’Europe afin de rehausser la croissance potentielle européenne, approuvé le socle européen des droits sociaux pour doter l’Europe du XXIe siècle de marchés du travail et de systèmes de protection sociale qui soient équitables et qui fonctionnent bien, réformé et assoupli le pacte de stabilité et de croissance afin de mieux prendre en compte le cycle économique de chaque Etat membre, ou les nombreuses contributions de la Commission sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, la maîtrise de la mondialisation, l’avenir de la défense européenne ou la dimension sociale de l’Europe.

En dépit de ces initiatives (et de bien d’autres) dont il convient de se réjouir, la légitimité des institutions européennes à fournir des réponses aux préoccupations des citoyens est souvent remise en question par les peuples, d’autant plus que les dirigeants européens – même parmi les plus europhiles – sont prompts à s’attribuer les succès de l’Europe mais «dénoncent» régulièrement le «consensus de Bruxelles» pour excuser leurs propres échecs ou leurs décisions impopulaires, faisant ainsi semblant d’ignorer que le «consensus de Bruxelles» s’est fait avec eux.

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que les Etats membres, parce qu’ils sont porteurs d’identités culturelles et historiques nationales spécifiques, soient tentés de tourner le dos à l’Europe et de se replier sur eux-mêmes. Le paradoxe est ainsi qu’au moment où la valeur ajoutée d’appartenir à l’UE est particulièrement forte compte tenu des menaces tenaces de guerres commerciales et cybernétiques (voire militaires), le repli sur soi et l’isolationniste sont considérés dans de nombreux Etats membres comme une option crédible.

Ce paradoxe s’expliquerait également par le fait que les principaux débats européens portent souvent sur des sujets importants mais de haute technicité (marché des capitaux, union numérique, règles budgétaires, compétitivité et productivité, réformes structurelles, accords commerciaux, union de l’énergie, fonds monétaire européen, mécanisme de stabilisation, etc.), qui sont généralement perçus comme des objets lointains voire opaques par les populations. Ces sujets sont par conséquent incapables de les réconcilier avec le projet et les idéaux européens. Il est en effet évident qu’en dépit de leur éventuelle pertinence, ni la création d’un poste de ministre des finances de la zone euro, ni la mise en place d’un budget propre de la zone euro, ni le lancement d’un tribunal multilatéral des investissements pour rétablir les conditions de concurrence équitables entre l’UE et ses partenaires commerciaux ne sont en mesure de réveiller la confiance des peuples dans la construction européenne; ce ne sont d’ailleurs pas leurs objets.

Il faudra(it) donc compléter la logique (certes utile et nécessaire) de grands projets et de rapports technocratico-économiques visant à approfondir la zone euro ou augmenter la croissance potentielle de l’UE par des initiatives lisibles, simples, voire symboliques, qui parlent au cœur du citoyen européen et éveillent son «désir d’Europe». L’idée serait ainsi de ne plus seulement (donner l’impression de) coaliser des Etats autour de l’économie, mais de montrer qu’on unit également des hommes et des femmes dans les diverses cités européennes et dans leurs diversités[1].

Le Luxembourg, connu pour son europhilie, peut jouer un rôle de premier plan en la matière. Le Grand- Duché semble en effet le parfait candidat pour être un laboratoire d’initiatives européennes qui pourraient servir de «best practice» à toute l’UE.

Voici à cet égard deux initiatives que le prochain gouvernement du Grand-Duché devrait tenter[2] :

  1. Faire du 9 mai un jour férié au Grand-Duché

A la suite d’une concertation avec les partenaires sociaux et suivant des modalités à préciser[3], le prochain gouvernement pourrait acter que le 9 mai sera un jour férié au Grand-Duché. Il devrait alors annoncer clairement sa volonté de voir à terme tous les pays européens suivre cet exemple. Il pourrait commencer par publier une tribune en ce sens dans les principaux journaux européens une fois la décision prise au Luxembourg. La France, où le 8 mai (commémoration de la «capitulation sans condition» de l’Allemagne nazie mettant fin à la Seconde Guerre mondiale en Europe) est férié, pourrait être un allié objectif de cette démarche. Ce serait d’ailleurs un beau symbole que d’y supprimer le 8 mai – jour férié qui rappelle la guerre – au profit du 9 mai qui renvoie à la réconciliation européenne. Dans la déclaration Schuman, il était dit que «l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble  mais qu’elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait». Si le 9 mai devenait à terme férié dans tous les Etats membres (à l’instar du 4 juillet aux Etats-Unis), ce serait, de facto, une belle solidarité européenne de fêtes;

  1. Lancer un jeu de correspondance entre des lycées luxembourgeois et des lycées d’autres pays européens

Plus simple et plus grand public que les programmes Schuman ou les déplacements dans le cadre de jumelage entre écoles du Luxembourg et d’autres pays d’Europe, il s’agirait d’échanges par écrits (lettres, e-mails, chat) entre des lycéens du Luxembourg et de différents établissements européens. L’idée poursuivie serait que tout jeune scolarisé au Luxembourg aurait – à un moment de sa scolarité – un correspondant européen établi dans un autre pays avec qui il échangerait autour d’un projet éducatif dans l’une des trois langues officielles du pays et contenant (éventuellement) un volet européen. La version pilote de ce programme pourrait être lancée entre les innovative schools qui participent au programme Digital Lëtzebuerg et des lycées de la Grande Région qui adhèrent déjà au programme d’échanges Schuman. Après la phase pilote, l’initiative serait généralisée à l’ensemble des lycées du pays, et les lycées «correspondants» proviendraient non plus seulement des régions frontalières mais de l’ensemble de l’UE.

Si l’initiative était vantée par le Grand-Duché puis généralisée à plusieurs pays européens, elle pourrait être intégrée au programme Comenius, qui entend favoriser la coopération entre les établissements scolaires, de la maternelle au Lycée, voire pourrait être un élément central dans la volonté européenne de mettre sur pied à horizon 2025 un espace européen de l’éducation avec l’apprentissage des langues et le renforcement de l’identité européenne à travers l’éducation et les échanges comme éléments constitutifs.


[1] A la question «à votre avis parmi les domaines suivants, quels sont ceux qui créent le plus un sentiment de communauté parmi les citoyens de l’UE?», les personnes interrogées ont répondu: culture (28 %), histoire (24 %), sports (22 %), économie (21 %).

[2] Voir: fondation IDEA (2018), cahier thématique n° 2 – Europe, qui adresse six propositions aux partis politiques du Luxembourg dans le cadre des prochaines élections.

[3] Suppression d’un jour de férié existant (?), faire du 9 mai le jour de la fête nationale et européenne (?), prise en charge de ce nouveau jour férié par l’Etat durant une décennie (?), etc.

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