Cet article a été publié dans le magazine Merkur de juillet-août 2024.

Le document de travail N°25 publié en juin dernier met en perspective les dépenses publiques au Luxembourg sous un angle nouveau pour redonner leur pertinence à des indicateurs souvent présentés de manière imparfaite. Il en ressort quelques constats robustes qui invitent à poursuivre l’analyse et qui ouvrent le champ à de multiples débats sur les priorités en matière d’intervention publique.

Les dépenses publiques représentent près de 40 milliards d’euros dans le projet de budget 2024. En 2022, année passée sous revue par l’étude, ces dernières pesaient pour près de 44% du PIB, un niveau qui se rapproche davantage de celui des Pays-Bas (43,5%) que de la France (58,3%) dans une comparaison – rassurante – aux « quatre pays voisins »[1]. Mais alors qu’il est plutôt commun de critiquer tout indicateur qui se rapporte au PIB au Luxembourg (PIB par habitant, dépenses militaires rapportées au PIB pour prendre deux exemples régulièrement commentés…), les données relatives aux finances publiques qui usent (et abusent) de ce référentiel sont encore rarement mises au défi par les observateurs.

Mieux mesurer l’intensité des dépenses selon la richesse nationale

Pour mesurer les dépenses (ou tout autre indicateur) en proportion de la richesse « nationale » annuelle, le PIB n’est pas toujours le meilleur référentiel dans le cas du Luxembourg. Le revenu national brut (RNB), qui mesure la somme des richesses créées auxquelles on ajoute les revenus (du travail et du capital) importés de l’étranger et desquelles on déduit les revenus (du travail et du capital) versés à l’étranger, marque, compte tenu de l’importance des travailleurs et des investisseurs transfrontaliers pour l’économie locale, un écart significatif avec le PIB et reflète bien mieux le « revenu » annuel du pays à partir duquel on peut construire des indicateurs comme celui de l’intensité des dépenses publiques. Les dépenses, apurées des charges à destination des non-résidents (4,7 milliards soit 14% du total) et rapportées au RNB donnent une autre vision du niveau de l’intervention publique. Dans cette optique, l’intensité des dépenses publiques du Luxembourg (56%) est en effet beaucoup plus proche de la pratique française que néerlandaise !

Une autre manière de comparer l’ampleur des dépenses publiques aux voisins est de calculer les montants en euros sonnants et trébuchants par habitant. Pour une meilleure comparabilité, ces montants sont également apurés des dépenses à destination des frontaliers et ajustés en parité de pouvoir d’achat pour gommer les écarts de coût de la vie, non négligeables, entre le Luxembourg et ses « voisins ». Le Grand-Duché dépense ainsi 35.000€ par résident contre 21.100€ en moyenne chez nos voisins, soit 66% de plus !

Les 7 familles du dépassement

Cet écart relativement considérable s’explique en grande partie par des dépenses plus importantes que nos « voisins » dans sept grands domaines : les services généraux, tout d’abord, une catégorie difficilement lisible sur le plan opérationnel, les transports, où la dépense par tête est de l’ordre du triple, ce qui pourrait (en partie du moins) s’expliquer par la forte croissance des besoins en mobilité (+3% d’emplois par an, +2,2% d’habitants…). Si le domaine global de la santé reste « dans les clous », les dépenses en équipements médicaux ainsi que les prestations en espèces de l’assurance maladie et invalidité dépassent sensiblement celles des voisins. Le système scolaire apparait également comme très coûteux en comparaison internationale (plus de 3.000€ par résident contre 1.500€ chez les voisins). Enfin, une part importante du dépassement s’explique par le niveau des prestations sociales. Ainsi, alors que le niveau des salaires dépasse de 45% celui des « 4 voisins », les dépenses liées au vieillissement à destination des résidents (pensions, maisons de repos, …) sont supérieures de 76%, alors que la pyramide des âges est encore relativement favorable… Du côté des prestations familiales, le « surplus » des dépenses à destination des résidents est de l’ordre de 130% (1.900€ par tête contre 830€ chez nos voisins). D’autres domaines en revanche affichent une intensité des dépenses publiques inférieure à celle des voisins, comme la défense, les services hospitaliers et ambulatoires, le service de la dette, l’énergie, l’enseignement supérieur, quand d’autres sont dans la moyenne, comme la sécurité intérieure ou le logement.

L’étude montre également une certaine « stabilité » dans la liste des domaines qui sont en dépassement sur les deux dernières décennies. Il s’agit donc de caractéristiques ancrées et les résultats de l’analyse ne montrent pas de dérive caractérisée des dépenses publiques depuis le milieu des années 2000.

Comprendre, évaluer, débattre

Se comparer ainsi aux caractéristiques de pays « proches » est une mise en perspective indispensable pour comprendre les choix politiques que sous-tendent de tels résultats et pour ouvrir un débat plus large. Il est par exemple possible d’affirmer avec ces résultats, sans porter de jugement, que le Luxembourg a fait le choix d’un système de protection sociale généreux (car les allocations et les revenus de remplacement y sont nettement plus élevés et que ces dépassements ne s’expliquent pas uniquement par un coût de la vie ou des salaires supérieurs). Les dépenses de l’enseignement fondamental et secondaire sont quant à elle deux fois supérieures à celles des voisins. Ces orientations politiques, implicites ou explicites, sont claires et chiffrées, elles doivent être assumées.

Pour autant, si des conclusions en matière de conduite des politiques publiques doivent être tirées de cet exercice, elles ne doivent en aucun cas se résumer à une vision comptable dans laquelle il faudrait par exemple tendre vers la « moyenne des autres pays ». En revanche, les données versées au débat permettent de nous questionner sur l’efficacité des dépenses en fonction d’objectifs clairement définis (par exemple : maîtriser la pauvreté des seniors, des enfants, améliorer la performance scolaire, augmenter l’efficacité des transports publics, réduire les émissions de CO2, augmenter l’introduction d’innovations dans les entreprises, etc.). Ainsi, partir des premières analyses d’efficience de la dépense publique pour tendre vers une démarche systématisée, pluridisciplinaire et ouverte d’évaluation des politiques publiques constituerait une voie à suivre pour que d’éventuelles futures pressions sur la maîtrise de la dépense n’aboutissent pas à des coups de rabots indiscriminés qui affaibliraient l’action publique…


[1] Un groupe de quatre pays voisins est utilisé dans cette étude pour les comparaisons : la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas.

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