C’est sans doute le colosse aux pieds d’argile de la cohésion sociale du Luxembourg : son système de pension. Alimenté par le perpetuum mobile d’un marché du travail dynamique, d’une croissance qui génère de nouveaux besoins de main-d’œuvre, et ainsi de suite…  Grâce à cette manne alimentée par une croissance démographique soutenue et un marché du travail en lévitation, le système a accumulé de l’ordre de 20 milliards EUR de réserves, soit l’équivalent de plus de 4 années de prestations. Sous prétexte qu’ « aucun pays ne dispose de telle réserves » (ce qui est d’ailleurs faux : voir la Norvège notamment), d’aucuns estiment qu’il n’y a aucune nécessité d’engager des actions, afin de préserver ce monument historique au profit, aussi, des générations futures.

Or, le système de pension ne « peut pas rester ce qu’il est ». Structurellement, nous distribuons deux fois ce qui est cotisé. Cela marche aujourd’hui, bien sûr : grâce notamment aux non-résidents qui cotisent quelque 40% et en retirent (pour l’instant) environ 25% et, de plus en plus, aussi grâce aux importants revenus financiers générés par la réserve de compensation, revenus qui se volatiliseraient vers 2040 selon toute vraisemblance. Le taux de rendement moyen de la réserve enregistré sur la période 2000-2015 a atteint 4,2%. Extrapolé sur la base du niveau actuel de la réserve, cela donnerait environ 800 millions de revenus financiers par an, soit plus de 60% de l’excédent du système ou encore 20% de l’équivalent du total des pensions décaissées en 2017.

Mais tout ne peut marcher que jusqu’à un certain point. Le fait que ce « point » ait été reculé plusieurs fois – le bulldozer de la croissance extensive étant jusqu’à présent passé par le mur « virtuel » des pensions – ne veut pas dire qu’il le sera pour toujours. Tout n’est pas dans l’incertitude des prévisions (incertaines par définition, sinon ce ne seraient pas des prévisions) : qu’on le veuille ou non, nous faisons des promesses implicites aux assurés sur base de la législation actuelle. Verser durablement aux plus de 400.000 personnes travaillant aujourd’hui ce qui leur est dû au titre de pensions sera tout sauf évident sur la base de la formule actuelle de calcul des pensions (aujourd’hui, ces 400.000 assurés paient pour 175.000 retraités). Des promesses se traduisant par des taux de rendement « intéressants » de surcroît, si les prestations sont comparées aux cotisations (voir l’Idée du mois IDEA n°19, « Pensons pensions ! »). En fait, un placement prétendument « sans risque » ou « AAA » peut-il générer 6 à 7% de rendement tous les ans ?

Il s’installe, parmi certains commentateurs et aussi décideurs, une myopie très dangereuse : les scénarios conservateurs/négatifs/alarmistes/défaitistes du passé ne se sont jamais matérialisés donc, comme par une main invisible, ils ne se matérialiseront pas non plus à l’avenir. Or, où est passé le principe de précaution ? Surtout, où est passé le principe d’équité intergénérationnelle ? L’on comprend pourtant facilement (voir l’Idée du mois précitée) que, si après 6 ans passés à la retraite (avec une espérance de vie d’environ 17 ans pour un homme à ce moment-là, et plus de 20 ans pour une femme), l’on a déjà récupéré l’ensemble de ce qu’on a cotisé (en 35 à 40 ans), il y a quelque chose qui cloche : un découvert financé par quelque chose et quelqu’un. Ce quelque chose et ce quelqu’un, aujourd’hui, c’est l’explosion de la démographie et de l’emploi, c’est l’évolution exponentielle du travail frontalier, c’est aussi le rendement de la réserve accumulée grâce à ces effets.

Miser sur une évolution favorable infinie de ces paramètres, cela s’appelle communément un système boule de neige ; répréhensible (et durement sanctionné) dans le monde de la finance, mais acceptable quand il s’agirait d’un système public ? Débat intéressant ! Ne passons pas sous silence qu’aujourd’hui, nous investissons quelque 7% de notre richesse annuelle produite pour subvenir aux pensions du régime général (environ 9% avec les régimes spéciaux). En 2060, nous ne serons pas loin du double, en pourcentage (et bien plus en évolution absolue). Pour illustrer, si nous devions dès aujourd’hui dépenser 14% du PIB au lieu de 7% pour financer les pensions, nous devrions « libérer » quelque 3,5 milliards EUR additionnels (pour des prestations de l’ordre de 4 milliards l’année dernière)…

Mais c’est aussi le principe de réciprocité qui a perdu sa boussole : le système tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est pas équitable. Nous accumulons une dette implicite (notion qui a le droit d’exister même dans un système par répartition pour illustrer l’ampleur des engagements pris sur base de la législation actuelle) de 900% – c’est, ramené au jour d’aujourd’hui, la valeur de la dette publique actualisée résultant de nos engagements à long terme en l’absence de toute réforme et d’ajustement (voir à cet égard l’évaluation de la soutenabilité à long terme des finances publiques du Conseil national des finances publiques).

Au vu des confortables excédents momentanés, nous faisons croire que « tout va bien et pour toujours » alors qu’on peut avoir de sérieux  doutes à ce sujet. Il ne faudrait pas pour autant démanteler un système qui fonctionne jusqu’à ce qu’il ne soit plus reconnaissable. Mais il s’agit résolument d’opter pour un contrat intergénérationnel revisité et de poser les jalons aujourd’hui pour que, demain aussi, l’Etat-providence puisse encore assurer des pensions publiques dignes de ce nom. L’équité entre les générations passe par une réforme dès maintenant, car et le quantum et le momentum importent tous les deux. Ne pas agir serait un drame ou pour le moins une sérieuse hypothèque sur la cohésion sociale de demain. La réforme des pensions, « let’s make it happen ».

One thought on “Faillite du système de pension : don’t let it happen

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