Le présent blog (volet 1) est consacré au vieillissement prévisible des effectifs des entreprises luxembourgeoises. L’impact du vieillissement sur la consommation adressée à ces dernières sera prochainement abordé, dans un second blog (volet 2).

L’incidence du vieillissement démographique sur la sécurité sociale et sur son financement est souvent abordée dans le débat public, à juste titre. Un angle de vue différent, bien que tout à fait complémentaire, sera cependant privilégié à travers une série de deux blogs : il s’agira d’étudier plus avant l’incidence du vieillissement sur les effectifs des entreprises et sur la consommation adressée à ces dernières.

Vieillissement des effectifs des entreprises, taux d’emploi et rémunérations des « seniors »

Il est essentiel pour une entreprise de disposer d’une main-d’œuvre diversifiée, composée à la fois de personnes relativement jeunes – caractérisées, d’après la littérature ou de manière plus empirique, par leur flexibilité, leur dynamisme et leur créativité, disposant en principe des connaissances les plus récentes et d’une bonne maîtrise des technologies modernes – et de personnes plus âgées, dépositaires d’une solide expérience, se caractérisant par leur maturité et leur aptitude à prendre « plus de recul ». Il est en d’autres termes utile de combiner les prédispositions de la « génération Y » (personnes nées entre 1980 et 2000) avec les aptitudes propres aux générations précédentes – cette logique s’apparente à celle de la diversification d’un portefeuille, la dimension humaine en plus…

Le tout est d’éviter une situation déséquilibrée dans un sens ou dans l’autre, tout en valorisant de manière optimale les aptitudes des différentes couches de la population en âge de travailler. Il s’agit là pour les entreprises d’un défi d’envergure, comme le soulignent les simulations démographiques récemment effectuées par le Groupe de travail vieillissement du Comité de Politique Economique de l’Union européenne. Le graphique ci-joint, basé sur ces simulations, montre que la proportion de personnes en âge de travailler devrait sensiblement diminuer d’ici 2060 au Luxembourg (même si elle devrait, selon le Groupe de travail, s’accroître à raison d’un peu plus de 1% l’an en termes absolus sur cet horizon temporel).

Cette évolution ne constitue certes qu’un aspect de la réalité, car le Luxembourg peut compter non seulement sur la population résidente, mais également (du moins à l’heure actuelle) sur les travailleurs frontaliers – ces derniers pouvant en quelque sorte réduire l’ampleur du « gap » par classes d’âge entre l’offre et la demande d’emplois. La disponibilité de travailleurs frontaliers issus de la Grande Région n’est cependant pas illimitée, ni d’ailleurs « gravée dans le marbre » : les régions limitrophes pourraient très bien se réinventer économiquement et devenir pour les salariés tout aussi attractives que le Luxembourg. Enfin, les pays limitrophes seront également confrontés au vieillissement dans les décennies à venir. Une certaine carence de travailleurs frontaliers commence d’ailleurs déjà à se manifester dans divers secteurs exigeant une qualification pointue.

Graphique : Evolution prévisible du poids des résidents en âge de travailler (en rouge) dans la population totale – En pourcentages

Evolution prévisible du poids des résidents en âge de travailler dans la pop totale

Source : Groupe de travail vieillissement du Comité de Politique Economique de l’Union Européenne ; scénario « baseline ».

A la diminution relative du nombre de personnes en âge de travailler devrait s’ajouter un vieillissement interne à ce même groupe de personnes. La proportion de personnes de 60 à 64 ans dans la population des personnes en âge de travailler s’établissait à 7,3% en 2014. Selon des calculs préliminaires effectués en considérant les mêmes hypothèses que la projection « baseline », pourtant assez « volontariste », du Groupe de travail vieillissement, cette même proportion peut être estimée à 8,4% en 2030, 9,5% en 2050 et 10,1% en 2060. Ce vieillissement tendanciel ne doit pas être appréhendé de manière négative, car il permettra aux entreprises de diversifier leurs gammes de compétences, comme déjà indiqué ci-dessus. A condition toutefois qu’elles soient en mesure de faire évoluer les métiers, afin de mieux valoriser les avantages comparatifs des « seniors ».

Les évolutions dépeintes ci-dessus se focalisent sur les personnes en âge de travailler et non sur l’emploi effectif. Il reste à voir comment vont évoluer les taux d’emploi futurs des personnes âgées, seule une hausse de ces taux pouvant assurer une intégration effective au monde du travail des contingents accrus de « seniors ». Comme l’indique le graphique suivant, issu du rapport 2014 de la Banque Nationale de Belgique (BNB), le Luxembourg se caractérise actuellement par un (très) faible taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans, ce taux étant de l’ordre de 40% contre plus de 70% en Suède et près de 60% au Royaume-Uni, en Allemagne et au Danemark.

Le graphique suggère que les taux d’emploi dépendent étroitement de la « prime à l’ancienneté » : ils décroissent à mesure que s’accroît ce que la BNB baptise la «tension salariale », c’est-à-dire le rapport entre le salaire moyen des personnes de 50-59 ans et le salaire correspondant des personnes de 30 à 39 ans. Or cette « prime d’ancienneté» est élevée au Luxembourg en comparaison internationale – le Luxembourg est fortement déporté vers la droite du graphique, en compagnie de la Belgique. Des pays à fort taux d’emploi des seniors comme l’Allemagne, le Danemark et la Suède se caractérisent par des « primes à l’ancienneté » bien plus faibles que le Luxembourg (ces primes ayant encore été accrues, du moins en valeurs absolues, par les indexations récurrentes des salaires dans notre pays). Enfin, le Royaume-Uni se caractérise, en moyenne, par une (légère) dégressivité des salaires en fonction de l’âge.

Si l’augmentation tendancielle des rémunérations avec l’ancienneté peut sembler « juste » compte tenu de l’expérience accumulée par les travailleurs plus âgés, elle constitue en parallèle un piège à l’emploi, la rémunération croissante avec l’âge n’allant pas nécessairement de pair avec une productivité accrue dans tous les secteurs ou pour tous les types de métiers. Les entreprises sont dès lors incitées à délaisser cette catégorie d’âge et les compétences associées (il s’ajoute à cet effet « demande de travail » l’incidence de la générosité de nos régimes de pension) et à leur substituer soit du capital, soit des travailleurs plus jeunes. Cette situation est regrettable, dans la mesure où elle ne permet pas aux entreprises de valoriser cet atout potentiel que constitue une diversification par âge de leurs effectifs, semblable à celle qui prévaut dans les pays anglo-saxons mais également dans les pays nordiques et aux Pays-Bas.

Taux d'emploi des 55_64 et tension salariale

Source : BNB, à partir de la Commission européenne et de l’OCDE.

Le graphique suivant permet de « disséquer » les taux d’emploi évoqués par la BNB. Il montre clairement que le Luxembourg est en la matière en retrait pour toutes les catégories de « seniors ». Le contraste par rapport à la Suède – un pays pourtant réputé pour sa générosité dans le domaine social – est particulièrement marquant. Une telle exclusion du marché du travail est d’autant plus déplorable que les Luxembourgeois de 55 à 64 ans paraissent très qualifiés en comparaison internationale. En 2013, toujours selon l’OCDE, 33,3% des personnes appartenant à cette classe d’âge possédaient un diplôme de troisième cycle. La proportion correspondante n’atteignait que 24,9% pour l’Union européenne et 27,1% pour l’OCDE (30,6% en Suède).

Taux d’emploi des « seniors » résidents en 2013 – En % de la classe d’âge correspondante

Taux d'emploi des seniors résidents en 2013Source: OCDE, “older workers scoreboard”.

En conclusion, les effectifs des entreprises luxembourgeoises devraient connaître un sensible vieillissement au cours des décennies à venir, cette évolution résultant mécaniquement du vieillissement démographique général et de la nécessité pour le Luxembourg d’augmenter les taux d’emploi des « seniors ». Ces taux sont actuellement fort bas en comparaison internationale, ce qui constitue un véritable gaspillage de main-d’œuvre qualifiée. Par ailleurs, l’équilibre financier des systèmes de pension ne pourra être assuré avec les taux d’emploi actuels – du moins en l’absence d’une croissance économique durablement élevée».

Ce double « vieillissement » des effectifs des entreprises constitue pour elles à la fois une opportunité et un défi. Une opportunité : le vieillissement est un facteur de diversification de la main-d’œuvre, ce qui favorise la coexistence créatrice d’idées et d’aptitudes différentes voire opposées mais complémentaires. Des effectifs monolithiques tendent à devenir quelque peu « monomaniaques »…

Un défi : les entreprises devront pleinement exploiter cette complémentarité et offrir des « métiers » bien en phase avec des salariés plus âgés. Par ailleurs, les entreprises et les pouvoirs publics devront veiller à ne pas trop encourager des « primes à l’ancienneté » excessives. Ces dernières peuvent a priori paraître « justes », mais elles contribuent surtout à exclure les personnes âgées du marché du travail (versant demande de travail). D’autant que les régimes de retraites sont fort généreux au Luxembourg (versant offre de travail) …


[1] The 2015 Ageing Report, Underlying Assumptions and Projection Methodologies, European Economy 8|2014, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/european_economy/2014/pdf/ee8_en.pdf

[2] Cette projection repose en effet sur une immigration élevée tout au long de l’horizon de projection (immigration annuelle nette de plus de 10 000 personnes en début de période et de près de 5 000 à la fin de l’horizon de projection).

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