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Lors de sa dernière déclaration de politique générale sur l’état de la nation, le Premier ministre Luc Frieden a évoqué plus longuement les pensions. Parmi les mesures annoncées pour assurer le financement du système pour les quinze prochaines années, la contribution budgétaire issue d’une taxe existante sur la consommation comme la taxe carbone est envisagée à hauteur de la moitié des recettes générées par celle-ci.
Depuis 2021, la taxe carbone a apporté au total 908 millions d’euros à l’Etat luxembourgeois. Le budget 2025 prévoit 286 millions d’euros de recettes, montant qui devrait progressivement augmenter jusqu’en 2026 pour ensuite se réduire progressivement. Actuellement fixée à 40 euros par tonne de CO₂, elle s’applique aux carburants, au mazout de chauffage et au gaz. Les recettes sont réparties en deux moitiés égales : 50 % sont destinées à des mesures de compensation sociale, telles que le crédit d’impôt CO₂ et l’allocation de vie chère, tandis que les autres 50% financent des investissements liés à la transition énergétique et à la lutte contre le changement climatique.
La légitimité de la taxe carbone en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) n’est plus à démontrer. Bien que d’un montant encore relativement faible par rapport au coût réel du carbone[1], le STATEC soulignait, en novembre 2023, son efficacité pour ce pour quoi elle a été principalement conçue : réduire les émissions du secteur des transport tout en maintenant le pouvoir d’achat des ménages les plus défavorisés.
Or, le chemin est encore long pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 (-55% d’émissions de GES par rapport à 2005) et 2050 (net zero). Le seul produit de la taxe CO2 ne suffira certainement pas pour les atteindre. Il s’agit plutôt de redoubler d’efforts et donc de mettre plus de moyens dans la transition. Réduire ces moyens, en détournant les recettes de cette taxe, pourrait compromettre l’atteinte des objectifs.
D’autre part, la légitimité de la taxe repose sur la promesse de réinvestir son produit pour la transition énergétique. Modifier cette répartition pourrait affecter la perception publique pour qui la transition énergétique et le maintien du pouvoir d’achat des plus défavorisés ont été annoncé comme éléments constitutifs de cette taxation.
En outre, il s’agit d’une taxe de transition, dont les recettes sont appelées à diminuer au fur et à mesure que la transition s’opère. Par ailleurs, il arrivera un moment — comme l’a indiqué le STATEC — où la taxe portera le prix des carburants à un niveau équivalent à celui des pays limitrophes, réduisant fortement l’intérêt pour les pompes luxembourgeoises et donc le montant total récolté. La transition énergétique, dont l’objectif d’électrifier le parc automobile luxembourgeois fait partie, amènera également à la réduction de la demande d’énergies fossiles, frappées par cette taxe. Faire de cette ressource un pilier durable du financement des pensions pourrait ainsi fragiliser l’ensemble. En effet, la taxe carbone est pour l’instant prévue jusqu’à fin 2026. Par la suite, le développement du marché européen du carbone devrait également couvrir les émissions issues du transport (et donc de la vente de carburant). L’avenir de la fiscalité carbone reste donc incertain.
Utiliser la taxe carbone pour résorber le déficit à venir des pensions apparaît davantage comme une solution temporaire qu’une réponse durable à un défi majeur de société. Exactement comme le changement climatique, la question des retraites appelle des choix structurels, courageux et équitables. Dérober des moyens d’action à l’un pour financer l’autre ne constitue ni une solution vertueuse, ni une réponse à la hauteur des enjeux.
[1] Les estimations à ce sujet varient. Une méta-analyse des publications sur le sujet du coût social du carbon mentionne une moyenne comprise entre 700 et 900 dollars la tonne de CO2 (source : « Trends and biases in the social cost of carbon », Richars S. J. Stol, mai 2025). France Stratégie dans sa publication « La valeur de l’action pour le climat » de mars 2025 mentionne un niveau d’action pour le climat de 256 euros la tonne de CO2.
[2] A ce sujet, une note de recherche de la Cellule scientifique de la Chambre des Députés, soulignaient en décembre 2023 : « Une communication claire des politiques climatiques – sociales, ciblées, efficaces et équitables – ainsi qu’une gestion stratégique de la redistribution des recettes des taxes carbone et adaptée au contexte national, est cruciale pour l’acceptabilité des mesures par la population. »