L’incidence du vieillissement démographique sur la sécurité sociale et sur son financement est souvent abordée dans le débat public. L’impact de ce même vieillissement sur les besoins en formation des seniors est cependant traité plus épisodiquement. Le présent article fait brièvement le point sur cet aspect.
Vieillissement de la main-d’œuvre résidente : une réalité ?
Il importe avant toute chose de vérifier la réalité du vieillissement de la main-d’œuvre. Ce phénomène s’est bel et bien manifesté au Luxembourg au cours de la première décennie du millénaire, selon une étude publiée en 2012 par l’actuel LISER. Alors que les plus de 50 ans (seniors dans la suite de l’article) représentaient 13% de l’emploi total (frontaliers compris) en 2003, cette proportion s’est en effet élevée à quelque 19% en 2012[2].
Ce phénomène est-il susceptible de se poursuivre au cours des prochaines décennies ? Afin de fournir un éclairage à cette question, la Fondation IDEA a effectué des projections par âge et par genre de la population luxembourgeoise résidente. Elle a ensuite appliqué à ces projections les taux d’emploi par classes d’âge[3] observés en 2015 – en supposant qu’ils demeureraient constants tout au long de l’horizon considéré – afin de dériver ce « produit final » qu’est la composition par âge de l’emploi résident. Deux scénarios démographiques sont considérés, à savoir le désormais célèbre scénario « Luxembourg à 1 million d’habitants »[4] et une variante atténuée, où l’immigration nette est moitié moindre dès 2017 et où la population résidente plafonne en conséquence à 866.000 personnes « seulement » en 2060.
Comme l’indique le graphique ci-joint, qui ne se réfère qu’à l’emploi résident, les seniors représenteraient près de 22% des effectifs en 2016, mais leur proportion s’établirait à 25% environ en 2060. L’itinéraire vers ce taux plus élevé varierait cependant sensiblement selon le scénario démographique sous-jacent. En cas d’immigration nette « haute » (« Luxembourg à 1 million d’habitants ») et à la faveur de la relative jeunesse des immigrants, la proportion de seniors ne commencerait à décoller qu’à partir de 2030 environ, après une légère régression (« période de répit »). En cas d’immigration nette « basse », le vieillissement des effectifs serait une réalité tangible au cours des toutes prochaines années, jusqu’en 2022. Un plateau se manifesterait ensuite aux alentours de 23%, puis la proportion de seniors convergerait vers 25% des effectifs résidents.
Graphique : Evolution de la part des seniors (50 ans et plus) dans l’emploi résident (en %)
Source : Calculs IDEA.
Ce graphique ne restitue bien entendu qu’une image partielle de l’emploi au Luxembourg, puisqu’il ignore l’important segment des frontaliers (un peu plus de 40% de l’emploi total actuellement). L’évolution de la structure par âge de ces derniers est particulièrement difficile à prévoir. L’arrivée à l’âge de la pension d’importants contingents de travailleurs frontaliers dans les prochaines décennies (ils sont actuellement sous-représentés parmi les pensionnés) devrait contribuer à freiner le vieillissement. Ce facteur serait cependant contrebalancé par le vieillissement en cours dans les pays voisins, qui devrait compliquer le recrutement par les entreprises luxembourgeoises de « jeunes » frontaliers.
Un facteur essentiel : le taux d’emploi des seniors
En résumé et au vu du graphique, le vieillissement prévisible de la main-d’œuvre paraît conséquent, mais il ne serait pas nécessairement immédiat et son ampleur semble par ailleurs assez mesurée, avec une hausse certes de l’ordre de 3 points de pourcent mais sur une période étendue. A cette aune, le vieillissement de la main-d’œuvre serait davantage un phénomène passé (voir l’évolution précitée de 2003 à 2011) que futur.
Le graphique en question a cependant été établi à taux d’emploi constants, pour les seniors notamment. Or les difficultés financières prévisibles des régimes de pension laissent augurer un recul progressif de l’âge effectif de départ à la retraite, donc une progression des taux d’emploi des seniors – qui font d’ailleurs l’objet d’un étroit suivi dans le cadre de la « Stratégie Europe 2020 ». Au Luxembourg, le taux d’emploi des 55-59 ans et des 60-64 ans se montait à respectivement 62 et 19% en 2015 selon le STATEC, les taux correspondant pour l’ensemble de l’Union européenne (UE) étant de 67 et 38% selon l’OCDE. Si le Luxembourg convergeait d’ici 2060 vers ces taux européens (bien) plus élevés, la proportion de seniors dans l’emploi résident luxembourgeois augmenterait selon les calculs d’IDEA de 3 points de pourcentages additionnels. Ce qui porterait l’augmentation de la proportion de seniors à 6 point de pourcentage au total (de 22 à 28%) d’ici 2060.
Implications pour la politique de formation
Le vieillissement requiert a priori un effort accru de formation, afin de permettre aux seniors d’accroître leur productivité dans le cadre de leur métier de base, de se recycler plus aisément dans un autre métier si la nécessité s’en fait sentir et pour faciliter la transmission de leur savoir-faire aux jeunes générations (stages).
Au-delà de ce vœu pieux, à quoi peut-on s’attendre concrètement en termes d’efforts de formation (ou de transmission de savoir)[5] ? La hausse des taux d’emploi des seniors, consécutive par exemple à un recul de l’âge de départ à la retraite, devrait en principe générer des dépenses de formation additionnelles, pour une raison simple à saisir : les dépenses « optimales » seraient plus élevées, car elles seraient amorties (via une productivité accrue) sur une carrière plus longue. Pourvu bien entendu que ces efforts de formation soient bien ciblés et porteurs de réelles retombées « productives ». Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Pas nécessairement, cette incidence « spontanée » sur l’effort de formation étant quelque peu aléatoire et en tout cas difficile à quantifier.
Le défi serait en effet d’ampleur. Un départ plus tardif à la retraite risque de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau s’il ne s’accompagne pas d’un effort de formation conséquent et ciblant spécifiquement les seniors. Un tel départ va en effet accroître mécaniquement l’offre de travail (seniors contraints de prolonger leur carrière). Il reste cependant à voir si cette offre rencontrera sa demande, en d’autres termes si les entreprises augmenteront dans une même mesure leurs effectifs. C’est loin d’être une évidence, car les travailleurs âgés pourraient, en dépit de leur expérience, voir leur productivité décliner au fil du temps pour des raisons physiques ou à cause d’un certain déphasage technologique (exacerbé par l’économie numérique). Par ailleurs, au Luxembourg comme dans la plupart des autres pays européens, le coût salarial tend à augmenter avec l’ancienneté.
Si cette exclusion des aînés via le coût unitaire du travail devait prévaloir, une augmentation de l’âge de la retraite serait peu efficace en termes de rehaussement des taux d’emploi, car elle déboucherait avant tout sur une hausse du chômage des aînés ou des mises en invalidité. Deux ajustements peuvent être envisagés pour vaincre ce décrochage professionnel. Il s’agit en premier lieu d’atténuer la « prime salariale » à l’ancienneté, un tel ajustement pouvant cependant être difficile à mettre en œuvre à cause d’aspects institutionnels ou en raison de l’existence de contrats implicites entre employeurs et salariés (salaires accrus versus fidélité et implication du salarié). Il s’agit en second lieu – et c’est là le cœur du présent article – d’une hausse de la productivité des seniors à travers (notamment) un effort de formation accru en leur faveur. La formation deviendrait dès lors le pivot ultime de toute politique visant à accroître le taux d’emploi des aînés.
Les autorités luxembourgeoises n’ont certes pas été inertes en la matière, comme en témoignent le « projet de loi portant introduction d’un paquet de mesures en matière de politique d’âge » de même que deux mesures récentes s’adressant aux demandeurs d’emploi de 45 ans et plus, soit le stage de professionnalisation et le contrat de réinsertion-emploi. Il importe cependant, dans un environnement très évolutif (démographie, économie, technologies, etc.) d’évaluer à des intervalles fixes et de manière approfondie les politiques de formation menées et surtout leur incidence sur la productivité et le taux d’emploi des seniors – en parallèle par exemple aux actualisations, effectuées tous les 5 ans, du bilan technique du régime général de pension. IDEA réitère par ailleurs sa proposition visant à instaurer une « garantie pour les seniors » sur le modèle de la garantie pour la jeunesse – qui allierait une évaluation des compétences des seniors et une formation continue sur mesure[6].
[2] Kristell Leduc, CEPS Instead, série « Vivre au Luxembourg », n°81, juin 2012. La hausse de 6 points de pourcentage est identique pour les trois segments de 2003 à 2011 (résidents luxembourgeois, résidents étrangers et frontaliers).
[3] Source : STATEC. Ces taux ne sont publiés que par classes de 5 ans, ce qui diminue quelque peu la précision des résultats.
[4] Pour une description plus précise des hypothèses sous-jacentes, voir la publication suivante d’IDEA : http://www.fondation-idea.lu/2015/07/08/the-one-million-luxembourg-a-global-analysis-is-needed/
et http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/sites/2/2016/10/IDEA_IDM13_Budget-de-la-sante.pdf.
[5] Voir notamment, pour plus de détails, Le vieillissement de la population active : ampleur et incidence, Didier Blanchet, Insee, Economie et statistiques n°355-356, 2002 (https://www.insee.fr/fr/statistiques/1375926?sommaire=1375935).
[6] Voir la publication suivante d’IDEA : http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/sites/2/2016/11/Luxembourg-2045_30_glorieuses-1.pdf