Ce blog est la préface à l’Avis annuel 2018, rédigée par Marc Wagener, directeur de la Fondation IDEA asbl.
Chères lectrices, chers lecteurs,
Vous tenez entre vos mains (ou bien votre écran le fait pour vous) le cinquième avis annuel d’IDEA. Il y a cinq ans, dans son premier avis annuel, IDEA mettait en avant dix chantiers pour un point de croissance en plus. En 2018, à l’approche du premier scrutin législatif, … scruté par IDEA, le discours semble s’être pour le moins transformé. La croissance en plus, est-elle encore la bienvenue ?
Il est relativement étonnant que, quand le moteur de la croissance tousse (tout en ne calant pas) comme il l’a fait lors de la précédente législature (croissance moyenne de 1,2%), on ne souhaite qu’une chose : le retour de la croissance, l’expansion économique tant prisée et nécessaire pour financer notre train de vie, notre Etat-providence, pour endiguer la progression du chômage et de la dette publique, et j’en passe. Maintenant, que la croissance est là (3,5% de croissance moyenne pendant cette législature) – même si le STATEC vient de la tacler sérieusement lors de sa récente révision des comptes nationaux en estimant même que « sur la fin de 2017, la croissance n’a pas été au rendez-vous », on remet soit en question sa nature, soit, pour d’aucuns, son existence même. Nous semblons tous avoir la mémoire courte et peut-être faut-il avoir une relation plus décomplexée avec cette fameuse « croissance »…
La croissance, on l’a lu et entendu au moins 100 fois, n’est pas une fin en soi. Répétons-le donc pour une 101e fois. C’est le moteur de nos ambitions, elle rend possible « de faire des choses » et ne devrait pas « soustraire des choses ». Son acceptation par le grand public passe par la cohésion sociale et l’amélioration des conditions de vie pour tous.
Le vrai débat à avoir n’est pas tant l’antagonisme entre croissance et décroissance. Le débat qui fait avancer notre pays est effectivement celui d’une croissance plus durable, plus équitable, plus intensive ou plus qualitative. Réussir le découplage entre la croissance économique et la consommation linéaire et extensive de ressources en tout genre est l’équation à résoudre ; équation pour laquelle a été élevé un piédestal intellectuel plus profond et plus cohérent, dans le sillage notamment de l’étude stratégique sur la « Troisième Révolution Industrielle » (TIR), qui fait suite à un grand nombre d’études prospectives initiées auparavant par la société civile. Cette étude a montré que le Luxembourg dispose déjà d’énormément de ressources, de bonnes idées, de moyens, de femmes et d’hommes créatifs et que « tout ce qui reste à faire » (entre guillemets, car ce n’est de toute évidence pas une mince affaire) est d’aller de l’avant, de sensibiliser, de collaborer entre secteurs public et privé (et, aussi, on l’oublie toujours : à l’intérieur de ces secteurs), de déployer, de mettre en œuvre, de façonner. Une croissance plus équilibrée est celle qui résulte d’un effort commun, intégral.
Dans le présent avis annuel, IDEA passe en revue la conjoncture internationale, puis propose une analyse approfondie de la situation luxembourgeoise. Elle donne un aperçu succinct des principales réformes menées par la coalition DP/LSAP/Gréng et mène par la suite un exercice prospectif en posant « cinq questions auxquelles nous souhaiterions pourvoir répondre « cinq fois oui » en 2023 ». Vous pourrez compter sur IDEA pour faire le suivi de cette « liste de vœux », qui peut également se lire comme une boussole de l’action du prochain gouvernement car on parlera de niches de croissance (durables s’il vous plaît), d’innovation, d’infrastructures pour accompagner l’évolution démographique, de croissance inclusive et de transition écologique. Vous retrouverez dans ces cinq concepts non seulement les trois dimensions du développement durable, mais aussi des jalons de réponse à des défis luxo-luxembourgeois comme la mobilité et logement, le tout « sous contrainte d’innovation » car c’est celle-ci – couplée à notre attractivité territoriale et aux compétences, connaissances, motivations et aptitudes de nos entrepreneurs, fonctionnaires, salariés, résidents et frontaliers, nationaux et étrangers – qui rendra possible cette croissance équilibrée que nous appelons de nos vœux.
L’attitude entrepreneuriale et la force d’innovation ne sont pas le monopole des entreprises, loin s’en faut. Un Etat entrepreneurial, connecté, productif et serviable (l’on notera que le terme anglo-saxon de « civil servant » capte mieux cette idée que son homologue français, le « fonctionnaire ») est au cœur de choix publics avisés et de priorisations intelligentes au niveau des politiques publiques. Ce n’est qu’en se rendant à l’évidence que le(s) monde(s) des entreprises, les citoyens et l’Etat évoluent collectivement dans une communauté de destin, que l’un dépend de l’autre et que l’un ne peut pas sans l’autre que l’on pourra arriver à une croissance qualitative et inclusive.
L’Etat, tout comme la croissance, n’est pas une fin en soi. L’Etat « pèse » l’équivalent de 38% du PIB mais en contrepartie, il organise, il construit, il soigne, il enseigne, il embauche, il maintient l’ordre et protège, il légifère, il soutient, il encourage, il décourage. IDEA souhaite ouvrir le débat du rôle de l’Etat dans le Luxembourg d’aujourd’hui et de demain en présentant un état de lieux sur la question de savoir « que paie-t-on » et « pourquoi ». Cette analyse dite « input/output » des finances publiques compte introduire un sujet primordial, et non l’épuiser. En « débroussaillant » les recettes publiques et en « désagrégeant » les dépenses en grands champs politiques, le tout avec une comparaison internationale systématique, il est possible de fournir une première grille de lecture des « euros qui rentrent » et des « euros qui sortent » par grandes fonctions gouvernementales. Une telle façon, plus stratégique, de concevoir les finances publiques contribuera à alimenter, nous l’espérons, un grand débat sur l’articulation des priorités de l’intervention de l’Etat et sur le rôle éventuel d’un Etat 4.0. IDEA est partie du constat que, justement, le budget de l’Etat, fort de ses milliers d’articles isolés, présentés dans une logique administrative et quelque peu « silotée », est certes un instrument indispensable (qui liste toutes les recettes et toutes les dépenses individuelles), mais pas per se un instrument de pilotage qui incite le débat stratégique.
Si les défis du 21e siècle sont, par exemple, la digitalisation, la transition écologique ou encore la formation ou l’inclusion sociale et si la logique TIR postule la convergence de trois technologies à l’intérieur d’une plateforme communément appelée « l’internet des objets » – l’énergie renouvelable, la mobilité intelligente et la communication instantanée – alors comment l’Etat s’organise-t-il en interne autour de ces priorités, comment priorise-t-il son action pour « make it happen » et quelles retombées concrètes livre-t-il suite à la mise en œuvre de ses politiques publiques ?
Un tel fil rouge – de la vision à la fixation d’objectifs et à la définition de politiques concrètes, suivis de l’allocation de ressources (moyens humains, financiers, etc.) ; suivis à leur tour par la mesure des impacts à partir d’indicateurs précis – n’est-ce pas cela la vraie révolution copernicienne ? Avec le débat sur la croissance qualitative et la vision stratégique de la « Troisième Révolution Industrielle » le Luxembourg dispose d’une boussole. Il a son cap. Ce qui reste à modifier profondément, c’est le passage d’une optique de moyens (des souhaits de dépenses sont rencontrés par des milliers de crédits budgétaires isolés) à une optique d’objectifs et de résultats (des moyens sont combinés pour arriver à une fin). L’analyse des grandes fonctions de l’Etat dans l’analyse input/output proposée dans cet avis peut être un point de départ à un tel changement de paradigme. L’Etat dans son ensemble doit entrer dans l’ère rifkinienne et par cette occasion aussi encourager les entreprises les plus récalcitrantes à oser ce pas.
Marc Wagener
Directeur de la Fondation IDEA a.s.b.l.