Le 7 décembre, à l’occasion d’une Matinale intitulée « renforcer la R&D luxembourgeoise : un défi ambitieux pour une petite économie ouverte ? », IDEA a présenté son Idée du mois n°18 et invité Yves Elsen, Président du Conseil de Gouvernance de l’Université du Luxembourg et CEO de HITEC à réagir sur le sujet devant une quarantaine de participants.
Le Luxembourg « au milieu du gué »
La présentation de l’Idée du mois par Vincent Hein, économiste IDEA, a tout d’abord été l’occasion de dresser un état des lieux de la situation du Luxembourg et des politiques visant à renforcer la Recherche-Développement et l’Innovation, mais aussi de démonter certains constats parfois employés de manière caricaturale dans le débat public.
En guise d’introduction, un utile rappel a été proposé sur la distinction entre ce qui relève de la Recherche et Développement (R&D) – une activité très sélective axée sur la quête de nouvelles connaissances – et ce qui relève de l’Innovation – un processus beaucoup plus large visant à introduire des nouveautés dans les produits et les méthodes. Le Luxembourg affiche ainsi de bonnes performances dans les indicateurs relevant de l’innovation, alors même que son intensité de dépenses en R&D dans le PIB est inférieure à la moyenne et a tendance à reculer. En résumé : il est possible d’introduire des innovations sans que les travaux de R&D préalables n’aient été réalisés intra muros, ce que le Luxembourg, petite économie ouverte, illustre très bien.
Mais les alertes régulières sur la faiblesse des investissements des entreprises luxembourgeoises en matière de R&D méritent une analyse plus fine. Cet indicateur repose en effet sur un nombre limité d’entreprises, et demeure largement influencé par la part de l’industrie dans le PIB, faible au Luxembourg en raison du dynamisme des services. Si le pays avait la même structure économique que la moyenne européenne, et que les différents secteurs maintenaient leur effort de recherche, le Grand-Duché gagnerait 7 places dans le classement européen de l’intensité des dépenses de R&D dans le PIB.
Au Luxembourg, la recherche est aussi « une affaire d’Etat », qui joue un rôle important dans son financement, tout comme dans son exécution. Après avoir vu leurs moyens considérablement augmenter et leur cadre légal et institutionnel se transformer au cours des deux dernières décennies, l’Université et les « Luxembourg Institutes » forment désormais un pôle public visible dans le paysage européen de la recherche. Des défis importants apparaissent néanmoins dans la phase de consolidation qui s’ouvre, afin qu’ils puissent répondre au mieux aux grands enjeux de développement du Luxembourg. Tout un programme…
La recherche publique luxembourgeoise a 30 ans. Quelles sont les prochaines étapes ?
Yves Elsen a ensuite exposé sa vision des enjeux auxquels la recherche luxembourgeoise faisait face, près de trente ans après la naissance des premières institutions publiques de R&D. Commençant par saluer une stratégie « visionnaire » sur le long terme, son intervention a permis de passer en revue les multiples avantages (directs et indirects) pour le Luxembourg de disposer d’activités de recherche publiques : l’ouverture à des réseaux de coopération internationale, l’appui à la diversification économique, l’accompagnement des mutations technologiques dans ses secteurs-clés, l’attractivité des talents et des centres décisionnels, pour ne citer que quelques uns des points évoqués. Pour Yves Elsen, l’une des principales richesses du Luxembourg est désormais sa « matière grise » (des résidents et frontaliers).
Des avancées dans la politique de recherche publique ont été mises en avant, comme le renforcement du financement compétitif garantissant l’excellence de la recherche, la mise en place des contrats de moyens et d’objectifs pluriannuels entre l’Etat et les bénéficiaires, gages à la fois de sécurité et d’exigence, le développement de nouveaux outils de financements et de cadres d’organisation pour favoriser la coopération (public-public et public-privé), le regroupement des acteurs sur le campus de Belval.
Enfin, Monsieur Elsen a évoqué les étapes à franchir dans la décennie qui s’ouvre. La taille du pays nécessite de mettre en avant quelques priorités de recherche pour lesquelles il souhaite viser l’excellence. Une stratégie de spécialisation (d’entonnoir) à mettre en cohérence avec les activités économiques présentes au Luxembourg, les transformations en cours (espace, matériaux, IT, silver économie) qui nécessitent un travail résolument interdisciplinaire. La valorisation de la recherche publique nécessiterait également une approche stratégique commune, chaque organisation devant se doter de « technology transfer offices » et d’une « charte commune ». La communication sur les success stories de la recherche luxembourgeoise, la réflexion autour d’une incitation fiscale aux dépenses de R&D pour les entreprises, la sensibilisation des jeunes chercheurs à l’entreprenariat, l’insertion des post doctorants sur le marché du travail national, le renforcement de la coopération public-privé, sont des pistes proposées. La Suisse constitue selon Monsieur Elsen une bonne source d’inspiration pour le Luxembourg, notamment en ce qui concerne les liens entre la recherche universitaire et l’industrie.
Les interventions de Vincent Hein et Yves Elsen ont alimenté un débat très riche avec les participants, nombreux à s’être déplacés pour cette Matinale IDEA. Parmi les questions soulevées : la coopération dans le domaine de la recherche au sein de la Grande Région, la place des startups dans la R&D, une éducation plus « intégrative », la nécessité de mieux communiquer sur les succès, l’impact économique et social de l’Université, la mobilité des chercheurs liée au Brexit ou encore les ressorts d’un « patriotisme ouvert » à la luxembourgeoise.