La question du droit de vote des étrangers aux élections législatives devrait être l’un des sujets « brûlants » de cette mandature ; le fait qu’il y ait deux pétitions sur le sujet (l’une pour ouvrir le droit de vote aux étrangers, l’autre se positionnant contre) est une indication en ce sens.

Cela avait d’ailleurs été anticipé par le gouvernement qui, dans son programme de coalition, écrivait que la population serait consultée en 2015 sur des questions essentielles notamment « les droits politiques des concitoyens non luxembourgeois », terminologie politique pour parler du droit de vote (actif et passif) des résidents étrangers.

Si on en croit les entreprises et les institutions, la question est entendue, il faut ouvrir le droit de vote aux étrangers. Une consultation du journal paperJam qui portait sur la question « d’intégration des étrangers résidents au processus démocratique[1] » semble en attester.

Les arguments avancés par les « partisans » du vote des résidents étrangers sont de deux ordres : favoriser le vivre ensemble par la représentativité démocratique et la contribution des résidents étrangers à l’économie (impôts et richesse nationale) justifie qu’ils aient voix au chapitre électoral. En apparence crédibles, ces arguments manquent de pertinence.

Tout d’abord, nulle étude sérieuse ne vient attester d’un retard du vivre ensemble au Luxembourg que le droit de vote des résidents étrangers pourrait corriger. Le niveau élevé de résidents étrangers au Luxembourg est un fait qui n’est nullement accompagné de tensions communautaires. La question de la qualité du vivre ensemble qui serait augmentée en ouvrant le vote aux étrangers n’est ainsi qu’une construction de l’esprit sans base réelle. Je signale, dans un raisonnement par l’absurde, qu’un exclu social luxembourgeois ayant le droit de vote, n’est nullement dans une condition du vivre ensemble supérieure à un résident salarié qualifié qui ne peut pas voter. Les difficultés de vivre ensemble qui peuvent exister au Luxembourg sont sans doute d’ordre social, et clairement pas d’ordre politique. Par ailleurs, l’argument de la représentativité électorale, qui repose sur le fait que les électeurs sont principalement « âgés » et/ou « fonctionnaires » est pour le moins « douteux » et s’apparente à un ostracisme anti-fonctionnaire et anti-sénior. Rien ne permet d’avancer que les choix publics faits par ces catégories d’électeurs seraient moins pertinents dans le temps et l’espace que ceux faits par des jeunes salariés du secteur privé.

S’agissant de l’idée régulièrement avancée que la contribution à l’impôt et à la création de richesse sont des raisons suffisantes et valables pour ouvrir le droit de vote aux résidents étrangers, elle relève du sophisme. Cette réhabilitation d’une forme de suffrage censitaire se heurte d’emblée à une autre réalité. Si on devait ouvrir le droit de vote aux résidents étrangers en lien avec leur implication dans la vie économique nationale, ne devrait-on pas également le faire pour le travailleur frontalier qui consomme au Luxembourg en journée, y paie son impôt sur le revenu, participe à la création de richesse par le fruit de son travail, et vient y faire des emplettes (tabac, alcool, essence) le week-end ?

Au-delà de ces considérations qui montrent que les arguments de ceux qui sont « pour » sont construits sur des bases fragiles, se posent d’autres problèmes, d’ordre juridique pour la plupart. Y aurait-t-il un système de vote à deux vitesses ? (obligatoire pour les résidents luxembourgeois comme actuellement, et possible mais facultatif pour les résidents étrangers), ou cet élargissement du vote irait-il de pair avec la fin du vote obligatoire et de la montée de l’abstention[2] (avec ses conséquences possibles) ? Si la question du droit de vote doit être soumis à référendum, ce référendum serait-il ouvert aux résidents étrangers (qui dès lors seraient juge et partie) ou ne serait-il ouvert qu’aux Luxembourgeois (qui suivant le résultat risquent d’être taxés d’obtus conservateurs)? Dès lors que le vote actif est ouvert aux résidents étrangers aux élections législatives, sera-t-il possible de leur interdire le droit de vote passif (droit de se porter candidat)? Il se pourrait donc qu’un résident étranger siège à la commission des affaires étrangères du Luxembourg ou à la commission de contrôle parlementaire du SREL ? Impensable…

Pour paraphraser Pierre Bourdieu, ce consensus institutionnel sur le droit de vote des étrangers s’apparente à une « idée louche ». Le droit de vote doit, selon moi, rester lié à la nationalité ; si le gouvernement et les institutions veulent augmenter le nombre de votants, qu’ils œuvrent à faciliter l’accès à la nationalité, cela permettrait d’atteindre la représentativité qu’ils visent sans dénaturer le particularisme luxembourgeois dont la pierre angulaire est le vote obligatoire.


[1] http://www.paperjam.lu/article/fr/comment-mieux-integrer-les-residents-etrangers-au-processus-democratique

[2] La faible participation des étrangers résidents aux élections communales et européennes relativise d’ailleurs leur envie supposée de participation électorale.

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