La récente réforme de l’assurance pension, introduite par la loi du 21 décembre 2012, a fait couler beaucoup d’encre, et elle polarise toujours. Pour certains, elle va trop loin, elle menace le pouvoir d’achat, elle est carrément superflue au vu des réserves engrangées par le fond des retraites, ladite « réserve de compensation ». Pour d’autres, elle ne va au contraire pas assez loin, menace l’équité et l’équilibre intergénérationnels et se base sur des hypothèses macroéconomiques désuètes. Et si la vérité, comme si souvent, était à chercher entre ces deux extrêmes ?

Rappelons-le d’emblée, la réforme de 2012 table en effet sur une croissance de 3% l’an. Et même en cas de matérialisation de cette croissance exceptionnelle, qui suppose un quadruplement du PIB en 50 ans, le système ainsi réformé engrangerait une dette de presque 60% d’ici 2060 selon les autorités, avec une population active de l’ordre de 800.000 personnes. Nous aurons alors épuisé nos importantes réserves – plus de 13 milliards EUR à l’heure actuelle – et légué une dette inédite à nos enfants – environ 30 milliards EUR aux prix d’aujourd’hui ; et ce en nous appuyant sur une économie quatre fois plus grande et une population active deux fois plus nombreuse.

Sommes-nous au bout du chemin des réformes ? Probablement pas et le programme de coalition ouvre la voie à des ajustements de la réforme 2012 ; le gouvernement entend en effet « poursuivre les efforts engagés ». Mais, à part quelques déclarations générales, le lecteur du programme gouvernemental reste sur sa faim. C’est dommage d’autant plus que l’assurance pension est sans doute l’émanation la plus fondamentale du modèle social luxembourgeois, de la santé et des performances de laquelle dépendent des générations entières.

Avant d’embarquer pour un voyage à destination lointaine – toute réforme sérieuse de l’assurance pension s’articulant par nature à (très) long terme – il faut se préparer, planifier, prévoir. Bien sûr, des ajustements en cours de route sont indispensables, mais le cap général doit être défini d’avance. Et c’est, à mon avis, ce cap qui manque. Les ajustements ponctuels ne suffisent plus pour permettre la pérennité à long terme du système. Dès lors, nous devons clairement annoncer la couleur aujourd’hui pour ne pas nous tromper demain.

Sachant que les grands problèmes ne peuvent être résolus qu’avec des grandes réformes, le Luxembourg a donc besoin d’une feuille de route pour sauver le monument des pensions avant qu’il ne s’écroule suite à l’effritement progressif de ses fondations. Il faudrait en débattre, les solutions ne tomberont pas du ciel. Il faudrait ficeler un paquet équitable pour tous, pour les pensionnés d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain. Les principaux paramètres de ce paquet sont connus : les années prestées, le niveau des prestations non couvertes par des cotisations, le niveau des pensions actuelles et à venir, l’adaptation des prestations à l’inflation et à l’évolution réelle des salaires, le montant des cotisations de l’entreprise, du salarié et de l’Etat. Tout l’art consiste à combiner courageusement ces paramètres de manière avisée, habile et intelligente. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » solution, mais un très large « champ des possibles », et il incombe à ceux qui nous gouvernent de faire ce choix, après nous avoir consultés bien sûr. De toute évidence, il n’est pas possible dans un monde fini de donner toujours plus à tous.

Déficit, croissance et bien-être intergénérationnel : Comment réformer les pensions au Luxembourg ?

Le titre ci-avant, c’est l’intitulé d’un récent « Working paper » de trois économistes de la Banque centrale du Luxembourg, MM. Muriel Bouchet, Luca Marchiori et Olivier Pierrard. Ce papier interpelle et lance des pistes de réflexion concrètes, tout en demeurant abordable pour le grand public. Il interpelle pourquoi ? Et bien, d’après les calculs effectués par les trois économistes, la récente réforme permettrait de réduire le déficit à l’horizon 2060 d’un quart par rapport à un scénario hors réforme (c’est-à-dire d’un déficit de l’ordre de 20% à un déficit de 15%). De tels déficits impliquent des niveaux de dettes pouvant être qualifiés d’énormes à moyen terme.

Les auteurs proposent de complémenter la récente réforme en :

  • baissant progressivement le taux de remplacement de toutes les pensions, c’est-à-dire le pourcentage du salaire que l’on perçoit pendant la retraite, de 40% d’ici 2060 (plutôt que de 18% environ tel que le présuppose la réforme de 2012) ;
  • augmentant le rendement des cotisations de 5 points (plutôt que de 4 points au total (hors cotisations de l’Etat) sous la réforme de 2012 en cas de déséquilibre financier des systèmes de pension) ;
  •  et, au-delà de la récente réforme des pensions, en relevant progressivement l’âge effectif de la retraite de 61 à 65 ans pour correspondra à l’âge légal.

Le Luxembourg resterait alors toujours confronté à un déficit public hors soins de santé de 3% relatif au PIB en 2060, soit un niveau de déficit conforme aux critères de Maastricht en cas d’équilibre des soins de santé ; tout en affichant des prestations plus que favorables en comparaison internationale. Telle est l’envergure du défi; l’évolution fulgurante du nombre de salariés d’aujourd’hui se transformant en véritable casse-tête demain. Compris dans la baisse du taux de remplacement de 40% serait la neutralisation de l’ajustement des pensions aux salaires réels (pour l’évolution d’une pension au cours de la période de retraite et non pour son niveau de départ) et la suppression de l’allocation de fin d’année prévue dans le réforme de 2012, ces deux dernières mesures étant d’application dès lors que les dépenses du système dépassent les recettes.

Le papier rappelle par ailleurs que la bonne santé apparente du système aujourd’hui est largement la résultante d’un déséquilibre manifeste en vertu duquel les frontaliers cotisent beaucoup (40%) et retirent peu (20%) du système ; phénomène qui s’estompera progressivement.

Et bien que ce ne soit pas son objectif, l’étude rappelle qu’en cas d’absence de nouvelles réformes du côté des assurances maladie et dépendance, ces systèmes seraient déficitaires de l’ordre de 5% d’ici 2060. Décidément, la réforme des pensions n’est donc pas le seul chantier à prendre à bras le corps afin d’assurer la pérennisation du modèle social luxembourgeois…

Bien sûr, face à l’ensemble de ces chiffres – ce sont des prévisions et des hypothèses – les critiques pourront tenter de faire valoir que ce ne sera pas aussi grave, qu’il vaudra mieux atteindre, qu’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, qu’il ne faut surtout rien changer à un système qui fonctionne. Bien sûr, aucune prévision n’est parfaite. Aucun modèle correspond exactement à la réalité future, par nature indéterminée et indéterminable. Mais à l’instar d’un ménage, qui consomme, qui épargne, qui investit, ou d’une entreprise, qui planifie, qui définit sa stratégie, qui produit, l’Etat doit au mieux prévoir, planifier, gouverner, faire des choix. Et contrairement aux projets d’un ménage isolé ou d’une entreprise individuelle, les assurances sociales nous concernent tous. Ainsi, la gestion en bon père de famille de ces dernières revêt un caractère fondamental car elles constituent notre premier rempart contre la pauvreté et l’exclusion, que ce soit en cas de maladie, d’accident, de dépendance ou de vieillissement.

En effet, mieux vaut prévenir et réformer aujourd’hui que de devoir guérir et casser demain…

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