La situation budgétaire de l’assurance maladie-maternité paraît solide au Luxembourg, de nombreux intervenants s’étendant périodiquement sur de prétendues « marges de manoeuvre » dans ce domaine. En apparence, notre principal problème serait la gestion de l’abondance et les personnes appelant à la prudence sont souvent (dis)qualifiées de « Cassandre ».

C’est peut-être vrai… à court terme. Sauf choc économique abrupt, le système luxembourgeois de santé peut probablement tabler sur une « période de grâce »financière d’une dizaine d’années, à la faveur de sa structure démographique particulière et pourvu que l’immigration nette demeure (fort) soutenue.

Si elle constitue plutôt un atout à court terme, cette même structure démographique est cependant porteuse de menaces à plus long terme, comme l’illustre la présente Idée du mois sur la base de divers « stress tests » : une démographie moins dynamique, un impact plus marqué du vieillissement, une sensibilité accrue des dépenses de santé aux revenus et enfin une croissance des dépenses de santé excédant de manière structurelle celle du PIB nominal.

Compte tenu de l’importance de la santé, d’un point de vue socioéconomique mais surtout humain, tout risque budgétaire potentiel doit être correctement appréhendé, de manière suffisamment proactive de surcroît.

La période « de grâce » financière dont devrait bénéficier le système de santé du Luxembourg (sauf surprise…) doit être vue comme une fenêtre d’opportunité, permettant de mettre en place de manière sereine et rationnelle un suivi proactif des dépenses de santé.

L’Idée du mois ne constitue qu’une première contribution à ce débat, dans un domaine à la fois sensible et complexe.

One thought on “Idée du mois n°13 – Budget de la santé: vraiment si idyllique?

  1. Je partage entièrement votre analyse et projection moins euphorique et plus critique sur le budget de la santé du Luxembourg – par rapport aux acteurs politiques actuels.
    Comme vous, je vois l’évolution de la démographie comme pierre angulaire de l’évolution du pays, et surtout de l’évolution de son système de santé. Dans un commentaire récent, j’ai évoqué que le Luxembourg pratique un système PONZI de l’emploi et humain, augmentant par an sa population active, en général par une immigration nette et une intégration de frontaliers – en général par des personnes jeunes – qui remplissent à l’instant les caisses de pensions et de la caisse de maladie, sans savoir ce qui se passerait en 2060, avec virtuellement une population de 1.1 Million d’habitants et un vieillissement important.
    Abstraction faite de réflexions du genre politique et philosophique, si une société reste socialement et politiquement stable, si sa population quadruple dans un siècle, sans participation politique réelle, si les institutions luxembourgeoises savent s’ adapter à cette évolution fulgurante – je vois un autre risque supplémentaire dans cette évolution : le système de santé luxembourgeois est resté au fond dans un état de fonctionnement et dans une mentalité inchangés depuis plusieurs décennies, présente de profonds problèmes structurels et n’est donc pas préparé à cette évolution en quantité et en qualitatif. La période de grâce, que vous décrivez à raison, devrait aussi permettre d’analyser et surtout de réformer le système, afin de pouvoir confronter les défis futurs – peu importe quel scénario on affrontera en 2060.

    Quels sont les problèmes structurels profonds du système :
    Les premiers « péchés » et problèmes structurels sont de nature fondamentale :
    1. La richesse du pays, son plein emploi et son système PONZI de l’emploi et humain ont renfloué les caisses du système pendant les décennies et ainsi coupé l’élan de toute réforme en face d’ une situation financière généreuse et des coûts sociaux et de la participation patronale modérés par rapport à nos voisins. En effet, chaque critique a été vite marginalisée et mise dans le tiroir de « Cassandre »
    2. La régionalisation et la politisation du système de santé, notamment la politique hospitalière, ont été maintenues sur le fond, en présence d’un ministère de la santé et d’une CNS faibles par rapport à leurs attributions politiques dans un système purement financé par les impôts et les recettes de l’assurance maladie solidaire. La politique de santé a été (et l’est encore) avant tout déterminé par la politique locale, des bourgmestres et des directeurs des hôpitaux qui n’ont pas forcément une vue globale et nationale de la politique de santé, mais s’adonnent à une concurrence sur un petit terrain. Les futurs plans de nouveaux et bels hôpitaux dans chaque région en parle. Il va de soi, que ceci se fait aux dépens d’une politique de santé nationale, qui anticipe les problèmes futurs de démographie, de qualité des soins et de filières de soins modernes, spécialisés et économiquement viables.
    3. Le paradoxe du système de santé luxembourgeois – unique au monde : Le Luxembourg se dote d’un système de Santé, qui est unique au monde. Il associe un système de santé purement étatique, avec un budget et une planification des dépenses rigide et sur base du passé avec une médecine libérale dans quasiment l’ensemble de la médecine curative et hospitalière. Une contradiction en soi, l’évolution des derniers 20 ans a conduit à un système fort déterminé par l’hôpital public, employeur principal pour le secteur non-médical, avec des médecins libéraux, qui pratiquent un « pseudo-salariat » à cause du manque de déploiement et de marge de manœuvre dans le secteur libéral. En conséquence, un système qui tourne mal, car trop cher et inefficace, qui se prive des vrais avantages d’une libéralisation du système – des filières de soins en ambulatoires, des acteurs non-étatiques voire des hôpitaux ou centres de diagnostic ou de traitement en ambulatoire financés par des investisseurs privés. Le dernier point est barricadé par la politique, qui interdit toute installation médicale « lourde »1 (Clinique privée, centre de diagnostic p.e. en radiologie, filières ambulatoires …..).

    1 Il est fort probable que cette politique est contradictoire à la loi européenne, mais par manque de plaignants , elle n’ a pas encore été évoquée
    4. Le manque de transparence financière de et qualité : Malgré une situation unique et favorable, disposer d’une seule caisse de maladie qui en plus regroupe les prestations en secteur ambulatoire, hospitalier et soins chroniques, donc une vue globale sur les dépenses des patients, le système de santé luxembourgeois a un retard important en termes de comptabilité analytique et transparence financière – un énorme gâchis. En plus, un tel système, uniquement financé par les contribuables et les assurés, exige une gestion et contrôle nationale rigoureuse et transparente qui est au point, par la CNS, le contrôle médical et les différentes acteurs – fait qui est de loin rempli voire pas voulu politiquement par la régionalisation et la politisation du système de santé (voir 2.) et aussi la construction de son organe de gestion , la quadripartite.

    5. Absence d’une « Medical School » : La dégradation de la démographie médicale reste une menace sur tous les systèmes de santé, en présence d’un vieillissement de la population et de la multiplication des actes médicaux. Le Luxembourg est actuellement complètement démuni d’une stratégie proactive ou une force de réaction, il dépend à 100 % de l’importation ou réimportation de savoir-faire médical. En présence d’une attente accrue de sa population, ayant vécue pendant des décennies dans un situation au-dessus de la moyenne européenne sur le plan médical, la gouvernance et la gestion du système peut tourner au cauchemar en absence d’un recrutement valable et équitable de médecins. Une dépendance de l’étranger ne pose pas seulement un problème majeur sur le plan sociale , mais ne sera pas neutre sur le plan économique et est en contradiction avec une état nation indépendante.

    6. Absence de facteurs de régulation du système : Ce point de discussion concerne la gouvernance et la structuration du système de santé, maintenant et au futur. La politisation du système de santé (voir point 2), la domination de la gouvernance par la politique (locale) luxembourgeoise a exclu deux groupes importants , qui sont indispensables dans une discussion et orientation d’ un système de santé :
    – Les patients, qui sont déjà actuellement peu inclus, se composent aux deux-tiers de personnes sans nationalité luxembourgeoise , donc sans droit de vote / ou des frontaliers – et participent à 100 % au financement du système
    – Les scientifiques et des médecins : par sa petite taille, la fragmentation régionale du système de santé, par une manque de tradition scientifique , et aussi une marginalisation (politiquement voulue ) des médecins dans la gestion hospitalière , on observe une « de-scientification « du discours et de la prise de décision en matière de santé. En revanche, on prend souvent recours à des audits externes d’autres pays et d’autres système de santé , qui sont d’ une valeur limitée .

    Quels sont les pistes à suivre, pour réformer le système , le rendre financièrement et socialement durable et profiter ainsi de la période de grâce ? :
    Au delà de votre analyse économique juste, qui se branche avant tout sur le facteur démographie, j’ ai évoqué 6 pistes / « péchés » du système de santé , qui présentent plutôt des « soft factors » , mais sont d’ une grande importance , car il touchent le système dans son cœur , sa gouvernance , et peuvent ainsi déterminer le destin du système de santé luxembourgeois.
    Votre notion de la « période de grâce », que je trouve une excellente expression, devrait aussi aboutir à une réflexion et ensuite reformes des failles évoquées ci-dessus.

    Donc, en conséquence :
    – Reconnaitre le besoin de réformes à mi et à longue terme dans le secteur de santé, malgré une santé financière actuelle et transitoire (point 1) et arrêter à dissimuler les risques de ce système
    – Porter la gouvernance et l’élaboration d’une stratégie future au niveau national, soutenue par un comité scientifique (point 2 et 6) qui élabore des pistes de réformes adaptées à la situation et l’évolution du pays. Dépolitiser les hôpitaux périphériques et prendre une approche globale des soins (y inclus la grande région) .
    – Faire un choix politique clair : soit vers un modèle étatique « scandinave », avec une gestion et une analyse économique et de la qualité rigoureuses, en regroupant fort les spécialités médicales de pointe dans des centres de compétences – ou ouvrir le marché de la santé, exploiter pleinement le potentiel de la médecine libérale et ouvrir des pistes et filières de soins nouvelles notamment en ambulatoire, selon certains pays voisins. Un choix politique, certes, avec avantages et inconvénient pour chaque modèle, mais la situation actuelle du ni…ni…. est intenable, inadaptée à un système de santé de 700.000 à 1.000.000 habitants et laisse la porte ouverte à des solutions « de fortune » (point 4)
    – Avancer le projet d’une « Medical School » pour sortir de la dépendance totale du Luxembourg en termes de formation de médecin, et , en plus de revitaliser et avancer les approches scientifiques et médicales aux problèmes du système de santé – au dépens de solutions politico-politiques (point 5)
    – Créer une plateforme de participation de tous les patients, – luxembourgeois, étranger résidents, frontaliers – pour élaborer une discussion de la société civile et surtout des contribuables sur l’avenir du système – et mettre fin à une discussion à huit clos , considérant la santé comme chasse gardé des électeurs luxembourgeois (point 6)
    – Revitaliser les réseaux scientifiques et médicaux comme partenaires dans l’élaboration de filières de soins et l’organisation des soins (point 6)

    Avec mes meilleures salutations
    Dr. Bernhard Stein

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