Cet article a été publié dans le magazine Merkur de septembre 2025.
Dans le cadre du Green Deal et du paquet législatif Fit for 55 fixés par l’Union européenne, le Luxembourg se doit de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces objectifs ne concernent que les émissions générées à l’intérieur des frontières nationales. Pour y parvenir, diverses mesures ont été mises en œuvre dans le cadre du Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC). Si la réduction des émissions constitue l’objectif principal, elle ne reflète pas à elle seule la complexité des impacts environnementaux, sociaux et économiques des politiques mises en place. L’angle de l’efficacité semble être en retrait de l’analyse et pourrait apporter un angle intéressant dans le cadre budgétaire actuel et des défis à venir (pensions, augmentation du budget de l’armée…).
Le périmètre du PNEC, comme c’est prévu pour chaque pays européen, se focalise uniquement sur les émissions nationales[1]. Une approche plus globale consisterait à corriger les émissions territoriales en soustrayant les biens et services exportés (notamment via le « tourisme à la pompe », qui représente près de 70% des ventes de carburant[2]) et en ajoutant les importations consommées au Luxembourg. Ce calcul permettrait d’estimer l’empreinte carbone réelle du pays[3], mieux alignée avec sa consommation effective.
La focalisation sur les GES peut éclipser d’autres enjeux environnementaux et sociaux. Par exemple, la production de batteries, essentielle à l’électrification, repose sur l’extraction de matières premières aux impacts environnementaux et sociaux significatifs. De plus, certaines mesures climatiques peuvent accentuer les inégalités sociales, en ciblant indirectement certaines catégories de population[4].
Outils d’évaluation ex-ante et ex-post : vers une meilleure gouvernance
Pour mieux intégrer les enjeux de durabilité, le Luxembourg a mis en place le « Nohaltegkeetscheck », un outil d’autoévaluation des projets de loi. Ce questionnaire, annexé aux projets législatifs, permet d’évaluer leur impact sur les 17 objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 de l’ONU, y compris la lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’une analyse ex-ante non contraignante, mais utile pour anticiper les effets indirects.
Par ailleurs, le PNEC fait l’objet d’un suivi par la Commission européenne, qui évalue la cohérence des politiques nationales avec les objectifs européens. Le Comité d’experts de l’Observatoire de la politique climatique, institué par la loi climat, complète ce dispositif en émettant des avis sur les mesures ayant un impact climatique. Il est composé d’experts de différents horizons, pouvant émettre des avis « sur les projets, actions ou mesures pouvant avoir un impact sur la politique climatique »[5].
Mesurer l’efficacité : vers une approche coût-bénéfice
D’autres pays européens, utilisent des outils décisionnels et de suivi basés sur l’efficacité (euros dépensés par tonne de CO2 évitée), en parallèle d’une approche multifactorielle des politiques mises en place. Parmi les différentes méthodes, celle de l’analyse des coûts-avantages, telle que définie par l’OCDE[6], peut guider certains choix et renforcer l’adhésion à des politiques environnementales qui peuvent parfois être perçues uniquement comme sources de contraintes et de coûts. Il s’agit d’estimer l’ensemble des avantages sous forme d’utilité ou d’amélioration du bien-être, et de les confronter aux coûts (réduction du bien-être). Cette approche permet de mettre en avant dans le cadre de la transition écologique les avantages qui sont parfois placés sous les contraintes d’un changement de société. Les difficultés de cette approche proviennent principalement de la monétisation des impacts physiques (par exemple la valeur d’une tonne de CO2) ainsi que de la répartition dans le temps des coûts et surtout des bénéfices, impliquant la détermination d’un taux d’actualisation.
L’analyse des coûts d’abattement : un levier de priorisation
Une autre approche, utilisée notamment en France, pour évaluer et prioriser les politiques environnementales porte sur l’analyse des coûts d’abattement. De quoi s’agit-il ? Face à une situation donnée, les projets de réduction d’émission de GES sont évalués sous l’angle d’un ratio coût-efficacité. Ce calcul peut se faire en amont d’un projet mais également après sa mise en application afin de se rendre compte des effets et d’envisager des ajustements. Les coûts d’abattement permettent de faciliter les choix entre différentes politiques en priorisant dans un premier temps les solutions présentant le coût-carbone le moins élevé. Par exemple, si l’octroi de primes pour l’achat d’une voiture électrique entraine un coût d’abattement de 100€/tonne de CO2 et que l’octroi de prime pour un véhicule hybride implique un coût carbone de 120€/tonne de CO2, il serait intéressant de prioriser les primes pour les véhicules électriques[7]. Cette approche est sensible à certains paramètres clés comme le taux d’actualisation du projet. Par ailleurs un périmètre parfois trop restreint de l’analyse peut conduire à des choix impliquant des fuites de carbone au-delà des frontières. Une double comptabilisation (territoriale et empreinte carbone) pourrait offrir une vision plus complète, au prix d’une lecture plus complexe.
La seule mesure d’efficacité ne peut suffire à l’analyse des mesures environnementales, qui demande une approche multifactorielle (impact social, économique, sur la biodiversité…), mais complète l’analyse, aussi bien dans la préparation qu’après la mise en œuvre des politiques de réduction de GES. L’approche par coûts d’abattement apporte une vue complémentaire plus objective, permettant de classer les choix possibles sous l’angle de l’efficacité en prenant en compte les coûts vis-à-vis de l’objectif et de concentrer l’effort là où cela coûte le moins de dépolluer, dans chaque secteur. Enfin, une analyse continue des choix de politiques permet de vérifier leur pertinence et offre une aide à leur éventuel ajustement.
[1] Aussi appelé Effort Sharing Regulation
[2] Donnée de 2021, Source : Administration de l’Environnement, « Luxembourg’s national inventory report 1990-2021 », 2021. Cette part est en diminution ces dernières années avec la diminution progressive de l’écart de prix à la pompe entre le Luxembourg et les pays voisins.
[3] Ou environnementale dans son approche plus complète intégrant d’autres impacts environnementaux comme la consommation en eau. Voir à ce sujet : LIST, « Revisiting the Ecological Footprint », 10 février 2023.
[4] Par exemple, les primes environnementales comme celles pour l’achat de panneaux photovoltaïques ne s’adressent qu’aux propriétaires.
[5] Source : site internet de l’OPC.
[6] Voir à ce sujet : OCDE, « Analyse coûts‑avantages et environnement : avancées théoriques et utilisation par les pouvoirs publics », 2019.
[7] Pour plus de détails, voir notamment Ministère de l’Economie des Finances, « Les coûts d’abattement : euros dépensés par tonne de CO2eq éliminée », France.