La comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre (GES) est un outil important pour en identifier les sources et les possibilités de réduire leurs émissions. Au niveau national, il existe deux types de comptabilité. D’une part, l’inventaire national des GES est territorial ou basé sur la production et tient compte de tous les GES émis sur le territoire. D’autre part, il est possible de comptabiliser tous les GES suivant la méthode de la consommation : l’endroit où les biens et services sont consommés l’emporte sur la production.
Toutefois, la méthode basée sur la production est plus utilisée de manière générale, car étant plus précise, elle s’appuie sur des mesures effectuées dans le pays plutôt que sur des estimations de chaînes d’approvisionnement potentiellement longues et complexes. Cela explique les objectifs de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et de l’Union européenne (UE), qui reposent sur la méthode fondée sur la production, utilisant les inventaires nationaux. Cependant, en théorie, la somme des inventaires nationaux de tous les pays devrait être égale à la somme de tous les GES comptabilisés à l’aide de la méthode basée sur la consommation dans tous les pays.
Les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), y compris le L, ont des émissions de GES basées sur la consommation, qui sont plus élevées que celles basées sur la production, de sorte qu’ils sont des importateurs nets d’émissions de GES.[1] L’inverse est vrai pour les pays non-membres de l’OCDE, dont les émissions de GES basées sur la production sont plus élevées et qui sont donc des exportateurs nets d’émissions de GES incorporées.
Figure 1 : Émissions de dioxyde de carbone incorporées dans les échanges internationaux[2]
Figure 2-4 : Émissions de GES liées à la production et à la consommation au Luxembourg[3]
L’inventaire national des GES du Luxembourg s’élevait à 9 Mt CO2eq en 2020, sans prendre en compte l’utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie (UTCAF ou LULUCF en anglais), et à 7,65 Mt CO2eq., sans l’UTCF et sans les émissions du Système communautaire d’échange et de quotas d’émission (SEQE) (voir Figure 2). Comme indiqué dans le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC), l’objectif du Luxembourg pour 2030 est de réduire les émissions nationales hors SEQE de 55 % par rapport au niveau de 2005.
En 2020, plus de la moitié des émissions nationales de GES provenaient du secteur des transports. Le tourisme à la pompe représentait les deux tiers des émissions du secteur des transports, soit 38 % des émissions totales. Le secteur du bâtiment est le deuxième plus grand émetteur, avec 21 % des émissions totales, suivi par l’agriculture et la sylviculture (9 %), l’industrie (7 %) et les déchets (3 %).
Les émissions de GES du Luxembourg basées sur la consommation ne sont pas soumises à des objectifs officiels, bien qu’une répartition égale du budget des émissions de GES pour rester en dessous du seuil de réchauffement de 2°C de l’Accord de Paris demanderait d’atteindre 1 à 2 t CO2eq par habitant d’ici 2050 (O’Neill et al. 2018). Cela nécessiterait une réduction de 90 % des émissions de GES liées à la consommation entre 2020 et 2050.
Environ 26 % de l’empreinte carbone du Luxembourg basée sur la consommation est due au transport ou à la mobilité, suivie par le logement (23 %), l’alimentation (19 %), les services publics (18 %) et les déplacements à pied (14 %) (LIST 2022).
Les mesures visant à réduire les émissions de GES peuvent généralement être classées dans trois catégories différentes : à éviter, à transférer et à améliorer. Si l’on prend l’exemple des transports, une mesure « à éviter » consisterait à réduire la demande de transport en soutenant le télétravail. Une mesure « à transférer » pourrait consister à passer de la voiture aux transports publics, et une mesure « à améliorer » serait de réduire la consommation de carburant des voitures. Cette dernière catégorie peut être réalisée grâce à des améliorations technologiques, tandis que les deux autres reposent également sur un changement de comportement.
Luxembourg in transition
« Luxembourg in transition »[4] est une consultation internationale lancée par le ministère de l’Aménagement du territoire en 2020 pour recueillir des propositions stratégiques d’aménagement du territoire et produire des scénarios de transition écologique pour le Luxembourg à l’horizon 2050. L’équipe dirigée par l’Université du Luxembourg a produit un scénario de décarbonisation pour le Luxembourg et sa zone fonctionnelle (zone entourant le Luxembourg où vivent des travailleurs transfrontaliers, FA) à l’horizon 2050 basé sur la consommation de carbone. Les chiffres qui suivent se basent sur la zone fonctionnelle, qui comprend outre le Luxembourg, les communes frontalières où vivent une partie de la population active au Luxembourg.
La figure 5 et 6 illustrent ce scénario de décarbonisation pour le logement, la mobilité et l’alimentation. La figure 3 montre la demande énergétique des bâtiments en TWh, avec et le reste de la zone fonctionnelle en couleurs pointillées. La demande énergétique des bâtiments sera réduite de 60 %. En 2020, 70 % de la demande de chauffage était couverte par le gaz naturel (en jaune) et le mazout (en brun). Ces combustibles fossiles seront remplacés par des pompes à chaleur (en rose), la biomasse (en orange) et l’électricité (en vert). Ensemble, ces mesures réduisent les émissions de GES de 83 %.
Figure 5: Type d’énergie utilisée dans les bâtiments au Luxembourg et dans la zone fonctionnelle (« functional area – FA ») en TWh[5]
En 2050, environ la moitié des [6]) en voitures (représenté en orange, à 95 % électriques), 20 % en transports publics (en bleu), et le reste par la marche et le vélo (en vert et jaune). Cela signifie que le Luxembourg réduirait de 80 % ses émissions de gaz à effet de serre provenant des transports. L’eutrophisation[7], la pollution de l’air et l’utilisation de matériaux seraient également réduites.
Figure 6 : Mobilité au Luxembourg et dans la zone fonctionnelle (« functional area – FA ») en [8]&[9]
En termes d’alimentation dans la zone fonctionnelle, le passage d’un régime omnivore à un régime « flexitarien »[10] à raison d’une consommation de viande un jour par semaine, pourrait réduire les émissions de GES de 40%. Ce régime « flexitarien » rentre dans les lignes directrices nationales en matière d’alimentation (par exemple en France et en Allemagne), alors qu’un régime omnivore qui suit ces mêmes principes pour les pays de la zone fonctionnelle (Luxembourg, France, Belgique, Allemagne), apparaissant comme « recommended » dans la figure 4 permettrait de réduire les émissions de 30%. Suivre les recommandations en matière d’alimentation permet donc de réduire également les émissions de GES.
Figure 7 : Emission de GES par type de régime alimentaire (kg CO2eq/personne/an) dans la zone fonctionnelle[11]
Figure 8 : impact des mesures de décarbonation entre 2020 et 2050 dans la zone fonctionnelle (en T CO2eq / Personne)[12]
Dans le scenario de décarbonation développé par l’équipe de l’Université de Luxembourg (UniLu) pour le projet Luxembourg in Transition, plusieurs mesures de décarbonation ont été proposées pour la zone fonctionnelle afin d’atteindre l’objectif de 90% de réduction des émissions de GES. Les mesures peuvent être catégorisées entre des mesures individuelles (changement de comportement, des habitudes, représentés en jaune sur la figure 8), des mesures systémiques ou publiques (en bleu), ou combinée (en vert). Dans un scénario où seuls la catégorie effort personnel est envisagé, chaque personne émettrait encore 5,9t CO2eq, au-delà de la cible envisagée. De la même manière, si seulement des mesures publiques étaient mises en place, l’objectif atteint ne serait que de 6,3t CO2eq par personne. Les deux moteurs du changement, individuel et gouvernemental, sont donc nécessaires.
Pour atteindre le net zéro d’ici 2050, il faudrait augmenter l’absorption du carbone par les forêts et les terres agricoles, par exemple au moyen de haies autour des champs ou de l’agroforesterie. La prévention de l’étalement urbain au profit de villes plus denses mais plus vertes permettrait au système de transport public du futur d’être plus efficace et de mettre fin à l’occupation des sols qui réduit l’absorption du carbone.
Enfin, l’équipe de recherche dirigée par UniLu a constaté que l’objectif de net zéro pour 2050 ne pourrait être atteint sans des mesures qui impliquent la sobriété, c’est-à-dire la réduction de la consommation ou de la demande de mobilité (moins de déplacements), de la taille des logements (pour réduire le besoin de chauffage domestique et l’occupation des sols), et la consommation de biens (par exemple, les vêtements, l’électronique). Malgré le besoin de suffisance, le scénario de décarbonisation envisagé par l’équipe de l’UniLu pour Luxembourg in Transition comporte de nombreuses facettes qui peuvent être vues comme souhaitables. De plus amples informations peuvent être trouvées dans les rapports de Luxembourg in Transition, y compris ceux des autres équipes ayant participé à la consultation.
Références
O’Neill, D.W., Fanning, A.L., Lamb, W.F. et al. (2018). A good life for all within planetary boundaries. Nature Sustainability 1, 88–95 https://www.nature.com/articles/s41893-018-0021-4
LIST (2021). CarbonNerd. https://carbonnerd.list.lu
Abdullah, Aisha, et al. (2021). Luxembourg 2050-Prospects for a Regenerative City Landscape: Report Phase 2. Luxembourg in Transition. https://luxembourgintransition.lu/wp-content/uploads/2023/06/2phase_unilu_compressed.pdf
[1] En 2020, les émissions de GES basées sur la consommation étaient 11,7 millions tonnes de CO2eq (18.6 t CO2eq par personne par an), selon une estimation du STATEC (Environnement en chiffre, 2023), tandis que celles basées sur la production étaient 9 millions tonnes de CO2eq (National Inventory Report, sans prendre en compte l’UTCF).
[2] Source : https://www.oecd.org/sti/ind/carbondioxideemissionsembodiedininternationaltrade.htm
[3] Sources : calculs du ministère de l’Environnement, du climat et de la biodiversité à partir des données de l’inventaire des GES du Luxembourg, du PNEC, de l’empreinte basée sur la consommation du STATEC et des parts sectorielles de l’empreinte basée sur la consommation du LIST.
[4] https://luxembourgintransition.lu/fr/
[5] Source : Luxembourg 2050 – Prospects for a Regenerative City Landscape: Report Phase 2. https://luxembourgintransition.lu/wp-content/uploads/2023/06/2phase_unilu_compressed.pdf
[6] Il s’agit d’une mesure du déplacement d’une personne sur une distance d’un kilomètre.
[7] L’eutrophisation est l’augmentation de fertilisants (comme l’azote et le phosphore) dans les milieux aquatiques provoquant une croissance excessive des plantes et des algues entrainant un appauvrissement puis la mort de l’écosystème.
[8] Giga personne-km correspond à milliards de passagers-kilomètres.
[9] Source : Luxembourg 2050 – Prospects for a Regenerative City Landscape: Report Phase 2. https://luxembourgintransition.lu/wp-content/uploads/2023/06/2phase_unilu_compressed.pdf
[10] Le régime « flexitarien » consiste en une base végétarienne avec une consommation occasionnelle de chair animale.
[11] Source : Luxembourg 2050 – Prospects for a Regenerative City Landscape: Report Phase 2. https://luxembourgintransition.lu/wp-content/uploads/2023/06/2phase_unilu_compressed.pdf
[12] Source : Luxembourg 2050 – Prospects for a Regenerative City Landscape: Report Phase 2. https://luxembourgintransition.lu/wp-content/uploads/2023/06/2phase_unilu_compressed.pdf