Billet invité du Prof. Dr. Rolf Tarrach, Recteur émérite, Université du Luxembourg et membre du Conseil Scientifique d’IDEA.

© photo : Julien Mpia Massa

Rien n’est à craindre, tout est à comprendre (Mme Marie Sklodowska Curie)

Il y a deux ans mon petit-fils ainé, Nils, avait pris l’initiative de demander au Ministre en charge de l’éducation des vacances d’été plus courtes. Il a donné une seule raison : Ech vermësse meng Frënn, mes amis me manquent. Il aime apprendre, il aime ses instituteurs, mais les amis et copains de l’école jouent pour lui un rôle essentiel. Cela ne doit pas nous étonner : on sait depuis quelques années, particulièrement grâce aux études des psychologues évolutionnistes, que les copains de l’école ont une influence immense sur la formation de la personnalité de l’enfant, vraisemblablement la plus grande influence après la partie héritée[1], due aux gènes. Cette évidence étaie l’importance de maintenir les écoles ouvertes en temps de Covid, ce que le Luxembourg a fait d’une façon admirable.

Avant de réfléchir à l’utilisation pratique d’une semaine supplémentaire, pensons d’abord aux instituteurs et professeurs.  Comme les vacances estivales sont assez longues, un raccourcissement d’une semaine ne devrait pas empêcher les enseignants de jouir de vacances bien méritées et de se ressourcer. Cela vaut aussi pour les élèves. En plus, les enseignants sont très bien rémunérés au Luxembourg[2], comme il se doit, et je veux penser qu’ils accepteraient cet effort supplémentaire qui, bien organisé, peut être minimal, sans une contrepartie substantielle.

D’un autre côté les enfants et adolescents oublient pendant l’été une partie de ce qu’ils ont appris tout au long de l’année. Il semble que le rythme de l’oubli soit d’abord lent, pendant quelques semaines, mais qu’il y a un tipping point au-delà duquel ce rythme s’accélère pour finir à un niveau d’apprentissage acquis plutôt bas. En d’autres mots : raccourcir d’une semaine les vacances de Pâques servirait moins que raccourcir d’une semaine les vacances d’été.

Des recherches nous indiquent aussi que chaque semaine de plus lors des vacances d’été contribue à accroître les inégalités. Ce résultat semble suffisamment établi, malgré un haut niveau d’incertitude dû à la complexité du sujet, pour ne pas insister davantage là-dessus.

Y a-t-il des connaissances supplémentaires à acquérir chaque année pendant cette semaine ? Pour sûr ! L’importance donnée à l’apprentissage des langues au Luxembourg, qu’il convient de soutenir, aux mathématiques, qu’il faut maintenir, et à la créativité et au sport, ne laisse pas assez de temps à d’autres disciplines également d’une grande importance. Donnons quelques exemples illustratifs.

Malheureusement pour la majorité des élèves, les connaissances en sciences naturelles (ou du moins des connaissances de base en la matière, un « socle de compétences » nécessaire à la vie en société) sont trop modestes. Elles ne suffisent pas à les protéger de toutes les charlataneries[3] qui sont dans les médias qu’ils utilisent pour s’informer. Si leur niveau de connaissances scientifiques est trop bas, leur niveau de compréhension des sciences l’est aussi.

Mieux  comprendre les probabilités, les statistiques, les fluctuations, les corrélations, la causalité, les erreurs, les distributions, les ambiguïtés et le hasard, aidera les adolescents à mieux prendre les bonnes décisions tout au  long de leur vie, et donc à être plus heureux.

Aussi des connaissances plus approfondies sur l’entreprenariat et l’innovation, sur les risques associés aux incertitudes, sur la santé personnelle et sur les finances personnelles, seraient un cadeau pour les jeunes, ces connaissances les aidant à trouver d’une façon responsable leur place dans la société. Et n’oublions pas l’importance d’apprendre à penser et raisonner, à s’intéresser, à vouloir savoir d’avantage, à partager, à s’adapter, à écouter et à comprendre autrui, à défendre des opinions minoritaires. Sans tout cela, leurs valeurs seront seulement transmises, exogènes, sans avoir une composante personnelle, sans un échafaudage individuel.

Une grande partie de l’apprentissage proposé durant cette semaine supplémentaire pourrait être enseignée par des enseignants associés, c’est-à-dire, des professionnels, des entrepreneurs, des scientifiques, des technologues, sans oublier les nombreux retraités – souvent très compétents, relativement jeunes ou seniors, qui seraient prêts à transmettre leur expérience et leur savoir aux jeunes, en particulier les plus défavorisés d’entre eux. Leurs profils étant très différents des profils des enseignants réguliers, cet apprentissage se caractériserait par une complémentarité et une diversité bienvenues, reflétant la réalité sociétale.

Je n’arrive pas à imaginer des raisons autres que politiques justifiant de s’opposer à cette proposition, dont nos jeunes et le Luxembourg profiteraient énormément.

Rolf Tarrach

Recteur émérite

Université du Luxembourg


[1] Voir Judith Rich Harris “No two alike. Human nature and human individuality “, WW Norton & Company, Kindle 2010

[2] https://data.oecd.org/fr/eduresource/salaires-des-enseignants.htm

[3] Voir les résultats d’une enquête très récente (2023) sur la désinformation des jeunes à l’heure des réseaux sociaux sur le site de la Fondation Reboot et de la Fondation Jean Jaurès. Ils sont terrifiants.

Faisons-le !

Le Ministre en charge de l’enseignement primaire et secondaire a eu l’amabilité de répondre à Nils. Il lui dit de le comprendre, que l’interaction avec les copains et amis à l’école est effectivement essentielle, mais que réduire les vacances d’été d’une semaine n’est pas facile.

Ce que le Ministre dit est sans doute vrai. Mais il nous faut tout faire pour donner à nos enfants et petits-enfants les connaissances nécessaires pour se débrouiller et être heureux dans un monde chaque jour plus incompréhensible, plus incertain, moins prévisible, dans lequel une crise coupe l’herbe sous le pied de l’antérieure. Avec un grand défi séculaire, le changement climatique, dont la complexité constitue un fameux défi pour nos jeunes et pour les futures générations.

Maintenant que les élections législatives approchent, quel parti aura l’esprit d’introduire cette proposition dans son programme ? Je suis sûr que pour beaucoup d’électeurs, cela pourrait être une bonne raison pour lui donner son vote.

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