Dans la torpeur de l’été, le public n’avait pas pris la tangente pour ce troisième débat d’IDEA entre le député Marc Lies et l’architecte Claude Ballini consacré au « brûlot » du logement au Luxembourg.
En guise d’ouverture, Marc Wagener, directeur d’IDEA, a rappelé que la problématique du logement irradiait de façon récurrente les débats au Luxembourg. Ainsi, d’après les dernières données du tableau de bord de la compétitivité européen, le logement est de loin considéré par 58% des répondants comme l’un des deux plus grands défis auxquels est confronté le pays (11% en moyenne européenne).
Sarah Mellouet a ensuite amorcé le débat sous l’angle des freins à l’attractivité du pays pour de jeunes actifs en partageant une expérience personnelle de 6 déménagements en 4 ans, de l’auberge de jeunesse, à la colocation professionnelle en passant par la sous-location. Dans la même veine, elle a mis en exergue les 42% de jeunes résidents Luxembourgeois entre 18 et 34 ans qui travaillent à temps plein mais vivent chez leurs parents.
Logement : un problème, vraiment ?
Pour autant, avec plus de 70% de propriétaires, dont 85% de nationaux, se demander si le logement est vraiment un problème paraît légitime. « Pas pour tout le monde » a répondu Claude Ballini. Si beaucoup crient à l’urgence, moins affirment que la baisse des prix serait « dramatique » interrogeant sur l’absence de volonté politique de vraiment changer la donne immobilière au Grand-Duché. Pour Marc Lies, les politiques édictent des lois mais ne sauraient endosser l’entière responsabilité de la situation, appelant ainsi à un effort conjoint du public et du privé pour dynamiser la construction. Dans le cas du Pacte Logement, qui liait les communes et l’Etat par un contrat assurant des financements pour faire face à l’augmentation de la population, il a pointé du doigt le fait que l’immense majorité des fonds étatiques soient allés à des infrastructures autres que le logement et a invité à le mettre au centre d’un Pacte Logement II. Claude Ballini a, quant à lui, estimé qu’on pouvait faire plus en gardant toujours en tête le « où », le « comment » (aider les nouvelles formes de logement notamment) et la « qualité » pour éviter, notamment, de se retrouver avec un habitat clairsemé comme cela a été permis par le passé. Selon lui, c’est aux politiques d’y consacrer les moyens nécessaires.
Aux origines du problème… : « la faute à qui ? »
Dynamisme économique, croissance démographique (demande) et rareté des terrains, lenteur des procédures (offre) : autant de facteurs de tension sur le marché pour expliquer la dynamique ascensionnelle des prix. Marc Lies a souligné la situation économique et démographique très spécifique du Luxembourg, qu’il compare à certains égards à la situation de grandes villes étrangères (attractivité d’un centre).
Pour IDEA, sous couvert d’une politique « sociale », destinée à favoriser l’accès à la propriété, la demande a été largement subventionnée à travers des « dépenses fiscales » (Bëllegen Akt, TVA 3% logement, déduction des intérêts hypothécaires, épargne-logement, etc.). Interrogés sur la pertinence de cette politique stimulant la demande face à une offre contrainte, les deux débatteurs se sont accordés sur la nécessité d’un renversement de philosophie (pour cibler la construction). Marc Lies s’est montré très favorable à la mise en œuvre de certaines incitations fiscales, considérant que l’imposition au ¼ taux de la plus-value de cession avait dynamisé les ventes de terrains. S’il s’est également montré favorable à la refonte de l’impôt foncier, toutefois qualifiée de complexe, il a en revanche botté en touche sur la question « délicate » de l’introduction des droits de succession contrairement à Claude Ballini qui y voit une opportunité de libérer des biens.
Ce dernier a aussi pointé le fait qu’une association qui construit des logements pour des populations fragiles ne peut bénéficier de taux de TVA super-réduits comme c’est le cas pour la création d’une résidence principale par un particulier. Considérant que le logement est un investissement comme un autre (92% des actifs réels des ménages sont des biens immobiliers), Marc Lies a rebondi sur cette mesure : le passage de la TVA de 3 à 17% pour les créations de logements à des fins de location peut être considéré comme le « flop » de cette législature. Selon lui, cela se matérialisera prochainement à travers une hausse des loyers dans les logements réalisés après l’entrée en vigueur de cette mesure.
Parlons « gouvernance »
A la question de savoir si « le dogme de l’autonomie communale »[1] constituait une entrave pour mener une politique du logement ambitieuse, Marc Lies a rappelé que le Luxembourg avait deux niveaux de décision et que c’était très bien ainsi. En effet, les communes suscitent selon lui la confiance et s’avèrent indispensables pour établir une relation constructive avec les citoyens. En revanche, il a reconnu que le manque d’expérience et de ressources humaines de certaines communes était un frein à la réalisation de projets complexes. Aussi il en a appelé à la création d’une agence nationale d’urbanisme de nature à apporter un soutien technique et stratégique à des communes pour l’achat de terrains, la viabilisation et les Plans d’Aménagement Particuliers.
De l’attractivité et de la cohésion
« Il y a aussi le phénomène des étrangers de passage qui fausse la donne. Je vois bien que chaque année on a un énorme va-et-vient de résidents. Pour certains résidents étrangers, le Luxembourg est une station de passage dans leur parcours international. Alors ils ne cherchent pas forcément à s’intégrer. » – Marc Lies (Wort).
Sur les réponses à apporter aux besoins en logements pour « résidents nomades », le député-bourgmestre s’est montré favorable au développement d’appart-hôtels et de boarding houses. De concert, les deux intervenants ont estimé que les entreprises avaient un rôle à jouer pour répondre aux besoins de leurs nouvelles recrues. Monsieur Ballini s’est montré plus sceptique sur le concept de « cités ouvrières 4.0 », craignant une homogénéité excessive dans ces quartiers.
Au registre des solutions d’avenir…
Invité à avancer les propositions qu’il mettrait en œuvre s’il était Ministre du Logement, Marc Lies a évoqué la transparence sur les offres publiées sur les portails immobiliers, l’ouverture au secteur privé de l’immobilier social et la naissance d’une agence publique d’urbanisme.
Monsieur Ballini a pour conclure fait part de son souhait de création d’un laboratoire alimenté par un fonds pour supporter les projets innovants en matière de logement.
L’événement s’est conclu par une enrichissante séance de questions/réponses au cours de laquelle ont été évoquées la sous-occupation endémique des logements, l’expropriation, le coût des terrains, la colocation…
Rendez-vous les 11 et 20 septembre pour de(ux) nouveaux débats d’IDEA !
[1] Les communes ont des missions obligatoires (dont l’aménagement du territoire, logements et développement économique c’est-à-dire gestion du territoire de la commune, établissement du projet d’aménagement général (PAG) et des projets d’aménagement particulier (PAP) et Règlement sur les bâtisses) et des missions facultatives dont la mise en place d’un pacte logement, portant création de logements neufs destinées à la propriété et/ou à la location, sous condition, entre autres, d’assurer une certaine mixité sociale de la population + construction de logements sociaux. Voir : http://www.cefis.lu/resources/Competences-des-communes-lux.pdf