Pour ce deuxième Débat d’IDEA, le Ministre du Travail, de l’emploi et de l’économie sociale et solidaire Nicolas Schmit et le Directeur de la clc et de l’INDR, Nicolas Henckes, se sont livrés à un face à face animé devant un large public très réceptif.
Marc Wagener a introduit l’événement en présentant les thèmes de controverse du jour à commencer par le niveau du Salaire Social Minimum (SSM) et son évolution future mais également le débat actuel sur la croissance, et surtout « l’adjectif » à lui accoler. Il a ouvert la séance en rappelant que l’économie était une science de débat, pas une vérité absolue.
Pourquoi (ne pas) augmenter le SSM ?
Le modérateur Michel-Edouard Ruben est, sans ambages, entré dans le vif du sujet en demandant au Ministre pourquoi, de combien et comment augmenter le salaire social minimum.
Pourquoi ? « Pas parce qu’un syndicat l’exige ». Selon lui, le travail doit payer et assurer un niveau de vie décent. Oui, le salaire minimum luxembourgeois est l’un des plus élevés au monde mais s’il était jugé trop élevé par les entreprises, il n’y aurait plus de créations d’emplois à ce niveau or elles représentent 27% des embauches. Le Ministre pointe un paradoxe : des pays compétitifs comme la Suisse ou les pays nordiques, souvent pris pour modèle, ont également des hauts niveaux de salaires. Or les plus bas salaires au Luxembourg sont plus faibles que dans ces pays et les plus hauts salaires y sont plus élevés. Ainsi, le SSM a pris du retard sur l’évolution générale des salaires au Luxembourg. « Donc l’augmentation du Salaire Social Minimum est socialement justifiée et économiquement raisonnable. »
De combien et comment ? Pour le Ministre, il conviendrait d’agir par étape, avec une augmentation nette de 100 euros nets dans un premier temps, soit 6%, supportés à la fois par les employeurs (salaire) et la collectivité (exemptions d’impôts).
Nicolas Henckes a été invité à réagir sur les raisons de ne pas l’augmenter. Selon lui, il y une évidence : la 3e Révolution Industrielle n’a rien à voir avec la 2e révolution industrielle. La différence réside notamment dans la vitesse du changement. La condition de survie d’une entreprise aujourd’hui au Luxembourg est sa compétitivité. Or le SSM au Luxembourg est aujourd’hui au niveau du salaire médian français donc avec le travail frontalier il existerait une concurrence exacerbée même pour un travail relativement peu qualifié. Ainsi, la structure économique du Luxembourg est peu favorable à une concurrence aussi intense au niveau du travail peu qualifié et la digitalisation va encore davantage accentuer cette tendance. Ce ne sont plus seulement les salariés qui en pâtissent mais aussi les entreprises qui souffrent et qui meurent, d’autant plus dans un contexte de concurrence internationale. « Appliquer les raisonnements de la 2e Révolution Industrielle à la 3e Révolution Industrielle, c’est comme « atteler des chevaux à une TESLA ». » Selon lui, augmenter le salaire social minimum est une subvention directe à l’automatisation et à l’offshoring. Pour lui, le SSM n’est pas trop élevé mais il ne faut pas l’augmenter pour ne pas réduire d’autant les marges d’entreprises notamment dans le commerce ou l’HORESCA où la part de salariés au SSM est particulièrement forte et dans un contexte de croissance extensive où « les patrons ont peut-être encore cette habitude d’employer » des gens systématiquement. Enfin il a évoqué les souffrances du petit commerce de centre-ville. « Vuitton souffre ? » l’a interpellé le Ministre. Nicolas Henckes a rebondi sur les problèmes liés aux horaires d’ouverture des magasins et la concurrence du e-commerce ce à quoi Nicolas Schmit a rétorqué que ce qui tuait le petit commerce n’était pas le salaire social minimum ou même le commerce en ligne (qui est un fait indépendant) mais la rente, les loyers.
Votre croissance, avec ou sans emploi ?
Le Ministre a titillé son adversaire en dénonçant une certaine hypocrisie autour de cette « croissance extensive » par laquelle ce qui est en réalité dénoncé est : « trop d’emplois et [surtout] trop de frontaliers ».
Au sujet de la croissance, Nicolas Henckes a affirmé qu’elle devait être qualitative grâce à une augmentation de la productivité (« faire plus avec moins ») et qu’à ce titre la digitalisation était un moyen pour y parvenir. Le Ministre a abondé dans ce sens, considérant que le modèle s’essoufflait mais qu’il était par ailleurs absurde d’être contre la croissance. Selon lui, la clé pour augmenter la productivité est d’augmenter les qualifications des (futurs) actifs en investissant dans l’éducation et la formation, ceci car la productivité ne couvre pas seulement le facteur « capital » mais encore et surtout le facteur « travail »
Piquant, Michel-Edouard Ruben leur a donc demandé s’il convenait de promouvoir une croissance sans emploi, ce à quoi ils ont de concert répondu « non ». Nicolas Henckes a cependant précisé que demain les entreprises devraient s’interroger plus profondément sur la nécessité de créer un nouvel emploi.
Le futur du travail n’est pas la fin du travail
Le modérateur a ensuite interrogé les débatteurs sur le SSM au regard de la digitalisation. Pour le Ministre, au cœur de la révolution technologique se trouve l’application de la technologie, c’est-à-dire la capacité des travailleurs d’utiliser et de maîtriser les nouveaux « instruments technologiques ». Si cette révolution va très vite et transforme l’emploi, elle n’est pas un argument contre l’augmentation du SSM car il y a toujours ce danger de la polarisation et des inégalités croissantes entre salaires.
Les deux intervenants se sont accordés sur le fait que si des métiers allaient disparaître, le travail, lui, perdurerait. Nicolas Henckes a pris l’exemple des comptables : pénurie aujourd’hui, remplacement demain ? C’est probable. Aussi pour ne laisser personne au bord de la route, ils ont unanimement évoqué la formation afin d’augmenter les qualifications de la main d’œuvre. Pour le Ministre, il faut par ailleurs miser sur de nouvelles compétences : toutes celles que la machine n’a pas. Les postes de comptables ou juristes tels qu’on les entend actuellement pourraient certes disparaître, mais ils vont en fait se renouveler.
Un salaire… maximum ?
Pour conclure, Michel-Edouard Ruben a interrogés les débatteurs sur la possibilité d’introduire un salaire… maximum. « Philosophiquement », le Ministre s’est plutôt montré favorable à un tel concept, pointant les divergences croissantes entre les salaires les plus hauts et les plus bas. Nicolas Henckes s’est, lui, dit philosophiquement contre cette idée justifiant que si dans le futur on désire pousser la créativité et l’entrepreneuriat, il faut se méfier de telles propositions.
Après ces échanges aussi vifs que constructifs, la parole a été donnée à la salle dont l’attention fut à la mesure de l’intérêt comme l’ont attestées les multiples questions : organisation des postes de travail, inégalités entre entreprises, impact d’une hausse du SSM sur les PME et explosion de la grille des salaires, inégalités salariales croissantes, actifs les plus fragiles pas bien ciblés (familles monoparentales, chômeurs de longue durée, non qualifiés…), chèque formation et responsabilisation des salariés, compétitivité du Luxembourg au niveau international… Autant de thèmes effleurés à travers les questions qui seront à approfondir lors de prochaines publications et événements IDEA.
Je vous remercie pour la disponibilité de ce compte-rendu et le bel esprit de synthèse
qui le caractérise.
Félicitations aux débatteurs et aux rédacteurs/trices…
L. Guilianelli