La Fondation IDEA asbl a organisé ce jeudi 14 janvier sa 6ème matinale, consacrée aux performances économiques respectives de l’Europe et des Etats-Unis. Ce rendez-vous a été l’occasion d’une discussion nourrie entre l’invité de la matinale, le Professeur Jorge Vasconcellos e Sá, les représentants d’IDEA et la trentaine d’invités émanant d’horizons divers.
La Matinale a débuté par un exposé introductif de Marc Wagener, Directeur en charge d’IDEA, qui a brièvement passé en revue l’impressionnant itinéraire de M. Vasconcellos e Sá. Il a ensuite rappelé qu’IDEA avait publié en avril 2015 une radiographie du décrochage économique de la zone euro par rapport aux Etats-Unis. Il a rappelé les grandes lignes de cette étude : (i) ce décrochage est structurel et non purement conjoncturel ; (ii) il s’exprime en termes de croissance totale, de dynamisme démographique, de PIB par tête, de productivité et, last but not least, d’emploi ; (iii) il va de pair avec une compétitivité bien moindre de la zone euro, une pression fiscale nettement plus élevée qu’outre-Atlantique, un environnement largement plus favorable à l’innovation aux Etats-Unis et enfin avec une démographie fort dynamique dans ce dernier pays. Marc Wagener a ensuite rappelé les dix recommandations découlant de ces observations (immigration, mobilité de la population, dépenses publiques et pression fiscale, marché du travail, accès des entreprises au financement, un « saut quantique » en matière d’innovation, culture d’entreprise, marché des produits, de l’énergie et enfin coordination économique au sein de la zone euro).
Le Professeur Vasconcellos e Sá a pour sa part remercié la Fondation IDEA asbl pour son invitation. Il a ensuite développé un exposé fouillé, associant en un tout homogène les variables économiques, les enseignements des théories du management et du marketing et des éléments plus sociologiques. La présentation a débuté par un exercice de décomposition de la croissance économique. Les Etats-Unis se caractérisent par un PIB par habitant environ 40% plus élevé que le PIB par tête au sein de l’Europe des quinze (« UE-15 »). Cet impressionnant écart, qui tend au demeurant à s’accroître au fil du temps, est le reflet d’une productivité horaire de 20% plus élevée qu’au sein de l’EU-15, d’heures de travail annuelles par tête supérieures à raison de 10% et d’un taux d’emploi plus favorable aux Etats-Unis à la faveur d’un taux de chômage nettement plus faible.
Ces causes immédiates de l’allant économique des Etats-Unis reposent à leur tour sur des causes ultimes, en partie mais pas exclusivement de nature économique. M. Vasconcellos e Sá a regroupé ces causes ultimes en 5 grandes catégories de nature « quasi médicale », rapidement synthétisées ci-après (de manière non-exhaustive) :
• « Body » : La population américaine est plus jeune, plus diversifiée qu’en Europe.
• « Heart » : Les Américains ont une forte éthique du travail, sont plus confiants envers leur propre culture, sont fiers de leur pays et pensent davantage que leur destinée « est entre leurs mains ».
• « Mind » : la proportion de diplômés du supérieur est élevée outre-Atlantique. Or sur le plan international, l’effort en la matière est clairement et positivement corrélé avec le niveau du PIB par habitant.
• « Organisation » : la confiance (« trust ») et la transparence sont essentielles pour la croissance. En leur absence, les coûts de transaction enflent démesurément (taxe implicite). Les Etats-Unis et l’Europe sont approximativement au même niveau de ce point de vue. Il en est de même en termes de management, de « corporate system ». Par contre, les Etats-Unis affichent une supériorité écrasante en matière d’innovation.
• « System and context » : l’index de liberté économique de la « Heritage Foundation » est bien meilleur pour les Etats-Unis (12ème) que pour l’Europe (Allemagne : 16ème ; Luxembourg : 21ème ; France : 73ème ; Italie : 80ème). En revanche, les deux ensembles diffèrent peu du point de vue de la corruption. Enfin, si la cohésion politique est plus forte aux Etats-Unis, la cohésion est moins affirmée qu’en Europe du point de vue social, les revenus totaux étant plus concentrés (indice de Gini de 0,39 aux Etats-Unis, de 0,30 dans l’UE-15).
M. Vasconcellos e Sá a ensuite disserté sur la productivité. Seule une productivité élevée permet de « profiter de la vie » : en son absence, il n’existe pas d’alternative à un travail intensif voire abrutissant. En sa présence par contre, il est possible d’arbitrer entre le travail et le temps de loisir. Le Luxembourg se caractérise par un niveau de productivité élevé en comparaison internationale (ce qui reflète en partie le poids du secteur financier). De ce point de vue, l’UE-15 est pour sa part à la traîne par rapport aux Etats-Unis. Pour rehausser sa productivité, l’Europe devrait identifier 6 ou 7 points où elle a fortement décroché en termes de compétitivité et y remédier au plus vite, d’après le Professeur.
M. Vasconcellos e Sá a affirmé que les Etats-Unis ont le mérite de souligner l’importance de la productivité. Il tient cependant à ne pas les ériger en modèle absolu. Deux paramètres y seraient en effet problématiques, à savoir une sécurité insuffisante et un état de santé tendant à se dégrader (obésité, diminution de l’espérance de vie des blancs à bas revenus). Une Europe forte permettrait de contrebalancer le possible affaiblissement américain résultant de ces carences. D’où l’importance d’un réalignement économique de l’Europe.
Une discussion longue et stimulante a suivi l’exposé de M. Vasconcellos e Sá. Ont notamment été abordés les aspects suivants:
• Situation du Luxembourg : niveau de la productivité, manque relatif de culture d’entreprise au Grand-Duché (régulation, prestations sociales, formation professionnelle, optique « bottom-up » aux Etats-Unis, plus « top-down » au Luxembourg).
• Pouvoirs respectifs des Gouvernements européens et de la Commission européenne.
• Absence d’une vision commune des réformes entre le nord et le sud de l’Europe. L’Europe se serait construite de manière géographique plutôt que sur un noyau commun de valeurs.
• Impact potentiel du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP).
• Politique de concurrence européenne et tendance (implicite ou explicite) à limiter la taille des entreprises européennes, avec en conséquence moins de « champions » européens.
• Niveau de santé ; bien-être subjectif aux Etats-Unis très élevé par rapport aux principaux Etats membres de la zone euro.
Pour davantage de détails sur la problématique Europe – Etats-Unis, nous invitons les personnes intéressées à consulter l’Idée du mois n°8.