Il est souvent évoqué que les dépenses de R&D de l’économie luxembourgeoise sont insuffisantes. Cette insuffisance est généralement présentée comme relevant du fait que l’intensité des dépenses en R&D des entreprises est passée de 1,5% du PIB en 2005 à 0,7% du PIB en 2015. Les services de la Commission européenne écrivait ainsi dans le cadre du semestre européen 2017 que « la forte diminution des dépenses des entreprises pour la recherche et le développement (R&D), un type d’investissement incorporel crucial, est particulièrement préoccupante » au Luxembourg.

Une récente Idée du mois de la Fondation IDEA montre toutefois :

1. Qu’il y a eu rupture de séries dans les chiffres évoqués en 2012 ;

2. Que les dépenses de R&D tiennent au moins autant à des effets structurels du tissu économique qu’à l’effort de R&D des entreprises, et qu’il est ainsi « normal » qu’avec une base industrielle réduite (6% de la valeur ajoutée totale) le Luxembourg ait une intensité de R&D privée moindre que la moyenne de l’UE (1,3% du PIB) où le secteur industriel représente 15% de la valeur ajoutée totale ;

3. Qu’en dépit d’une intensité de la R&D moindre que dans la moyenne européenne, le Luxembourg est bien placé dans le paysage de l’innovation (65% des entreprises du Luxembourg ont « innové » entre 2012 et 2014, contre 49% au sein de l’UE).

Par conséquent, il semble nécessaire de nuancer le « catastrophisme » qui parfois accompagne les discours au sujet de la R&D au Luxembourg. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que quand on analyse de très près les économies les plus performantes en termes de R&D à l’aune de la dépense en R&D rapportée au PIB et des dépôts de brevets triadiques (Etats-Unis, Japon, Finlande, Suisse, Israël, Corée, Allemagne, Suède), il ressort que ces pays ont en commun un caractère discriminant – la recherche est adossée à un puissant secteur industriel et est souvent soutenue par des Fondations puissantes – que le Luxembourg ne possède pas.

Certains pourraient soutenir alors que pour augmenter l’intensité de R&D des entreprises le Luxembourg devrait viser une modification significative de sa structure productive et porter – par exemple – le poids du secteur industriel dans la moyenne de L’UE puisque le secteur industriel est celui qui investit principalement en R&D. Quoique séduisante sur le papier, cette stratégie de destruction (des services) créatrice (de l’industrie) – qui est à distinguer de la stratégie de diversification poursuivie actuellement – serait pourtant un pari risqué à plus d’un titre.

Tout d’abord quoique non intensifs en R&D, les services (notamment financiers-assurance[1] et TIC) demeurent des secteurs de haute valeur ajoutée et de forte productivité; mener une politique de redéploiement de main-d’œuvre de ces secteurs vers le secteur industriel pourrait dans le cadre Luxembourgeois déboucher sur une situation où il y aurait hausse des dépenses de R&D et baisse du niveau de la productivité, ce qui n’est pas forcément Pareto-optimal.

Aussi, comme l’écrivait Fernand Reinesch dans les années 1980 les entreprises d’un « petit pays » comme le Luxembourg n’ont pas forcément toujours intérêt à être très dépensières en R&D[2] et devraient plutôt miser sur la mobilité des technologies. Alors que la productivité de la R&D a significativement baissé (le nombre de chercheurs actuellement nécessaire pour que la densité des puces informatiques doublent tous les deux ans a été multiplié par 18 comparativement au début des années 1970) et que l’économie mondiale s’est « globalisée », on peut difficilement lui donner tort!

Il ne faudrait pas pour autant conclure que le Luxembourg n’a pas à se soucier de R&D. La recherche – appliquée, fondamentale, incrémentale – continuera à façonner notre avenir social, sociétal, et économique. Il semble cependant indiqué pour le Grand-Duché de passer de la vision (actuelle) où la dépense de R&D intra-muros en % du PIB est la principale préoccupation à une vision axée sur des résultats en termes de croissance, de coopération et de productivité. Il s’agit donc – sans forcément négliger l’intensité de dépenses en R&D des entreprises – d’apprécier le potentiel d’innovation dans le pays à l’aune de  l’entrepreneuriat (nécessaire pour le dynamisme d’innovation et la modernisation du tissu productif), de l’éducation (nécessaire pour maintenir le stock de capital humain), de l’insertion dans les chaînes de valeur globale (nécessaire pour bénéficier de la diffusion technologique induite par l’ouverture aux échanges) ; le tout avec un cadre institutionnel approprié.

Dans une telle configuration, le Luxembourg n’ambitionnerait pas de devenir une Californie (4,5% du PIB en R&D) avec une Silicon-Valley (spécialisée en innovation de rupture) mais fidèle à sa devise resterait … lui-même. Pour le Grand-Duché, rester soi-même en la matière suppose de consolider sa base industrielle qui a une intensité d’investissement en R&D élevée, de développer le secteur des TIC qui investit peu en R&D mais demeure un allié objectif de l’innovation et de la modernisation des entreprises, de multiplier les partenariats avec l’étranger dans les technologies de rupture afin de s’accrocher à leur wagon (sur le modèle du Deutsch-Chinesische Allianz für Industrie 4.0 e.V?), et de continuer à bénéficier de la mondialisation de la R&D permise par les IDE et les achats de brevets à l’étranger. Cela suppose également d’asseoir « officiellement » le secteur public (Université, CRP, etc.) comme le centre de gravité du système de recherche dont la performance serait mesurée à l’aune de l’investissement en R&D publique, des coopérations avec l’étranger, du transfert des résultats de la recherche publique vers les entreprises, et de la bonne capacité d’absorption des connaissances par les entreprises.


[1]Respectivement 27% et 7% de la valeur ajoutée totale mais 4% et 1,6% des dépenses de R&D des entreprises.

[2] « Dans le domaine du développement technologique (…), cela signifie que la micro-économie n’a pas intérêt à s’efforcer à être plus inventive que les autres, et à briller par les grandes découvertes scientifiques (…) ». Par contre comme la technologie est très mobile, elle doit chercher à importer cette dernière et à être un parfait imitateur, inventif (…) à diversifier dans leur application les innovations des autres », Fernand Reinesch – Forum n°93, Existe-t-il un déterminisme de la très petite dimension ?

 

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