«Monde du partage ou partage du monde?» La Fondation Idea pose la question autour d’une série de quatre contributions, soit autant d’angles de vue sur la réalité de l’économie du partage au Luxembourg. Quatrième volet avec son impact (potentiel) sur la mobilité, via l’autopartage et le covoiturage.

L’économie dite du partage a déjà remodelé en profondeur la façon de concevoir la mobilité. Le nom d’une entreprise emblématique a d’ailleurs donné lieu au terme générique d’« Uberisation », fréquemment utilisé pour désigner l’économie du partage dans sa globalité. Cette firme et la question associée de l’évolution du marché des taxis, thème « battu et rebattu », ne seront cependant pas abordées dans le cadre de cet article, qui se focalise sur l’autopartage (ou « car sharing », avec des voitures en libre-service) et le covoiturage (ou partage d’un trajet dans une même voiture).

Un phénomène paraissant actuellement assez peu développé au Grand-Duché. Selon l’enquête Movilux, réalisée au printemps 2016 par TNS-Ilres pour le compte de la ville de Luxembourg, 50% des actifs ou étudiants se déplaçant à ou vers Luxembourg-Ville ont pour premier mode de déplacement quotidien « la voiture en tant que conducteur », contre 5% qui utilisent chaque jour « la voiture en tant que passager ». La même enquête révèle par ailleurs que la notoriété du dispositif de car-sharing « pionnier » Carloh reste à asseoir.

Cette faiblesse de la mise en commun d’automobiles ne peut que surprendre, car elle devrait jouer un rôle central dans la résolution de trois problèmes récurrents du Grand-Duché :

  • En premier lieu, le Luxembourg éprouve des difficultés à respecter ses engagements internationaux en termes d’émissions de CO2 et présente de surcroît un (très) faible degré d’indépendance énergétique. De nombreux endroits sont par ailleurs exposés à une forte pollution de l’air. Last, but not least : des embouteillages désormais presque quotidiens, à Luxembourg-Ville en particulier, engendrent une continuelle déperdition d’énergie et de temps. Ces divers problèmes, qui constituent pour la croissance économique du Grand-Duché autant de goulots d’étranglement, pourraient être atténués par un recours accru à l’autopartage (ou au covoiturage), qui « optimiserait » l’utilisation des véhicules et des espaces. Pour rappel, le taux d’occupation d’une voiture au Luxembourg se limite en moyenne à 1,2 personne, ce qui consacre le triomphe de l’«autosolisme ». Une étude menée en France révèle que certains systèmes d’autopartage affichent un taux d’occupation de l’ordre de 1,8/2[1].
  • En second lieu, le Luxembourg fait face à un problème de cohésion sociale. Or une automobile induit, au-delà des carburants (coûts variables) de multiples coûts fixes (achat du véhicule, assurances, impôts associés, entretien, etc.), qui pèsent lourdement sur les épaules des personnes les moins favorisées. Selon le STATEC, en 2014 les deux catégories « achats de véhicules» et « utilisation de véhicules personnels » représentaient conjointement 12,8% de la consommation totale des « Directeurs, cadres supérieurs, professions libérales et intellectuelles » et 15,5% pour les travailleurs manuels (les différences seraient vraisemblablement plus marquées encore en proportion du revenu total). Une montée en puissance de l’autopartage et du covoiturage aurait pour effet d’atomiser les coûts fixes, en les répartissant sur un grand nombre d’utilisateurs. Le résultat ne serait assurément pas l’avènement de la gratuité universelle mais, plus modestement, des coûts fixes se transformant en coûts variables, avec à la clef une diminution de la charge relative supportée par les moins favorisés – actuellement contraints d’acquérir des véhicules budgétivores faute d’alternatives.
  • En troisième lieu, le Luxembourg est confronté à des espaces constructibles trop étriqués par rapport à la demande, avec pour résultat des logements de plus en plus onéreux et pour tout dire inaccessibles pour de (très) larges segments de la population. Or l’autopartage induit d’importants gains d’espace potentiels (garages, aires de stationnement, parkings, etc.). Selon diverses évaluations[2], une automobile demeurerait en moyenne inutilisée environ 96% du temps – alors que cette proportion tendrait vers zéro dans le cadre d’un réseau d’autopartage pleinement efficient – certes un objectif relevant plutôt du moyen terme. Il en résulterait un besoin nettement amoindri d’espaces actuellement immobilisés, pouvant dès lors être consacrés au logement. En Allemagne, la ville de Brême a adopté un plan d’action visant 20 000 « autopartageurs» à l’horizon 2020. Il devrait en résulter un gain net de 6 000 places de parking. Soit l’équivalent d’environ 10 terrains de foot…

Le grand écart entre les besoins et les pratiques effectives étant flagrant, que conviendrait-il de faire « ici et maintenant » afin de stimuler de manière décisive l’autopartage et le covoiturage ? Un premier élément est qu’une réflexion globale, « holistique », cohérente s’impose aussi vite que possible avec les principaux acteurs en la matière, afin de désigner les leviers les plus à même de provoquer l’indispensable « saut quantique » requis. Mais divers « exemples » étrangers constituent d’ores et déjà d’intéressantes sources d’inspiration. Ainsi, la municipalité d’Amsterdam a mis en œuvre un projet « Green deal autodelen » 2015-2018, une collaboration entre 42 organisations visant à créer d’ici 2018 un réseau de 100 000 voitures partagées. Il s’y ajoute un projet pilote de la municipalité d’Amsterdam instaurant une gratuité des parkings pour les « covoiturants ». En France, des arrêts de stop ont été créés pour le covoiturage, à l’instar des arrêts de bus et une proposition vise à inciter les employeurs à exonérer leurs employés « covoiturants » d’une partie des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu. Citons également le projet européen « Momo », qui vise à étendre les pratiques de car-sharing (https://ec.europa.eu/energy/intelligent/projects/en/projects/momo-car-sharing).

La Belgique et le Luxembourg étudient certes l’installation sur autoroute, entre Arlon et Luxembourg, d’une voie réservée au covoiturage, mais il convient d’aller plus loin – notamment en agrégeant d’une manière ou d’une autre les diverses plateformes Internet actuellement disponibles, cette multiplicité de l’offre contribuant à désorienter les covoiturants potentiels. Il convient de se poser rationnellement la question du coût réel des différents modes de transport pour les individus et la collectivité et de la place de la fiscalité dans ce contexte, au-delà de la traditionnelle préférence pour la propriété automobile.


[1] Voir notamment « Les comptes de transports en 2013 », Commissariat général au développement durable, octobre 2015,

http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/References/2014/comptes-transports/ref-comptes-transport-2013-b.pdf

[2] Voir par exemple Spaced out – Perspectives on parking policy, John Bates et David Leibling, RAC Foundation, juillet 2012, http://www.racfoundation.org/assets/rac_foundation/content/downloadables/spaced_out-bates_leibling-jul12.pdf.

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