J’ai vécu mon temps dans le Conseil Scientifique d’IDEA comme un privilège stimulant qui m’a permis de participer aux réflexions sur une série de défis auxquels le Luxembourg doit faire face et prendre en compte dans sa stratégie financière, économique et politique. Je considère qu’IDEA s’est développée pendant les 10 ans de son existence comme un think tank créatif et proactif, ce qui m’encourage à profiter de ces quelques lignes pour suggérer quelques voies qui, peut-être, pourraient contribuer à augmenter encore la pertinence d’IDEA pour notre pays. Un think tank au Luxembourg a plus de chances d’influencer les décideurs que dans un grand pays ; il y a moins de fabriques d’idées, les chemins sont plus courts, les gens se connaissent, la communication est amicale, donc essayons de faire davantage !
Les grands défis sont tous très complexes et multifacettes, et une analyse réductionniste, souvent disciplinaire, ne suffit pas pour bien les comprendre. Il faut l’interdisciplinarité, tenir compte de la société dans sa diversité, tenir compte des individus avec leur psychologie et leur volonté, tant celle qu’ils expriment comme celle qu’ils cachent. Cela impliquerait de faire participer davantage d’experts externes avec les connaissances complémentaires à celles des membres d’IDEA. Se limiter à la perspective économico-financière-politique est, pour les grands défis, presque toujours insuffisant.
Je voudrais suggérer aussi d’aller plus loin dans l’étude des problèmes, d’aller plus au fond, à l’origine, à la cause, aux causes, à la genèse de ce qui nous inquiète, pour pouvoir proposer des solutions capables de convaincre davantage les décideurs. Sans cela le travail du think tank semble trop un travail académique, ou théorique, sur un sujet important. Nous devrions donc privilégier la profondeur sur la largeur. L’exemple de la productivité par travailleur ou par heure travaillée, qui dégringole, que d’aucuns considèrent le premier problème à résoudre, est parfait : quels sont vraiment les raisons ? Comment est-on arrivé là ? Quelles sont les propositions adéquates et réalistes pour redresser la productivité ? Comment peut-on le faire dans le contexte européen et grand-régional du Luxembourg ?
Je considère qu’IDEA, dans cette deuxième décennie de ses activités, pourrait aussi s’éloigner un peu plus des sujets traditionnels de l’économie, les finances et la politique, et analyser des activités importantes, qui jouent un rôle essentiel pour la société, comme l’éducation/formation, la médecine/santé et l’informatique/IA. Bien sûr ce serait plus facile de faire une autre étude sur le Luxembourg en 2040 ou 2060 que de proposer des solutions aux problèmes du Luxembourg en 2025, mais IDEA a la capacité et la volonté pour jouer dans une ligue supérieure.
Il y a un sujet qui combine son immense importance, le besoin d’agir déjà, sa transversalité et son rôle pour tous les aspects du futur du pays : l’éducation des jeunes entre 4 et 16 ans, les années qui décident presque tout dans leur vie. Je ne connais que deux grandes difficultés objectives : la très grande diversité culturelle, spirituelle et linguistique des élèves, et la difficulté qu’ils éprouvent de suivre des raisonnements d’une certaine complexité durant le temps nécessaire pour arriver à leur compréhension. Il y en a beaucoup d’autres, bien sûr, trop pour les mentionner ici, qui inclurait la qualité du retour de l’investissement, ce dernier très important au Luxembourg. Mais n’oublions pas le « if you think education is expensive, try ignorance » attribué à Derek Bok, président de Harvard, mais dû à Abraham Lincoln, un autre président. IDEA pourrait contribuer plus objectivement que les autres, parce qu’elle n’est pas un stakeholder, mais elle aurait besoin d’assez d’expertise externe, faisant attention à aléatoiriser leurs biais. Ce serait un grand service au pays.
Bien sûr, IDEA, étant ce qu’elle est, avec une taille et moyens modestes, devra choisir soigneusement entre tellement de défis à relever, mais n’oublions pas que bien choisir dans un éventail généreux est un privilège et un plaisir.
Avec mes plus sincères et admiratives félicitations pour les 10 ans et avec mes souhaits de rehausser encore les ambitions « idéalistes ».