© photo : CentralITAlliance

La prévalence des vagues de chaleur est appelée à augmenter avec le réchauffement climatique. Le Grand-Duché n’est pas épargné : ces dernières années, ces vagues[1] ont tendance à impacter la vie des citoyens tout en entraînant des conséquences économiques non négligeables.

Les pertes de productivité peuvent revêtir plusieurs formes. La hausse des températures affecte la productivité, même dans le secteur tertiaire, majoritaire au Luxembourg. La fatigue due à des nuits trop chaudes et les difficultés accrues de concentration pèsent sur l’efficacité au travail[2]. Dans une analyse macroéconomique, l’assureur Allianz estime la perte à 0,6 % de la croissance du PIB au niveau mondial en raison des journées dépassant 32°C[3]. La construction, les métiers en extérieur ainsi que le secteur de la logistique figurent parmi les plus touchés par les pics de chaleur. Le risque d’accidents du travail pourrait également augmenter, même si cela reste à nuancer dans le contexte luxembourgeois : la ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, Martine Deprez, précisait dans une réponse parlementaire de janvier 2025 qu’aucun accident du travail n’avait été imputable à la chaleur estivale depuis 2015, et qu’aucun décès lié à la chaleur n’avait été recensé sur le lieu de travail[4].

Des pertes de rendement agricole peuvent également être observées en raison de chaleurs extrêmes, inhabituelles pour le climat luxembourgeois, qui affectent tant les cultures que le bétail[5]. Il est plus difficile de distinguer la vague de chaleur de la sécheresse qui est souvent associée. Une étude récente de la Commission européenne et de la BEI[6] montrait que les pertes liées à l’ensemble des catastrophes naturelles s’élevaient en moyenne annuellement à 28 milliards d’euros sur l’ensemble des 27 pays, ce qui représente 6 % de la production agricole. Parmi ces risques, la sécheresse compte pour 50 % des dommages subis par l’agriculture.

Les vagues de chaleur entraînent également des dommages aux infrastructures urbaines, telles que les routes, les voies ferrées ou les réseaux électriques, mis à rude épreuve par des températures élevées, susceptibles de provoquer des déformations, pannes ou surcharges. Dans une réponse parlementaire de 2022, le ministre en charge à l’époque, François Bausch, évoquait une déformation des voies ferrées qui survenait en moyenne une fois par an[7]. Cela ne donne toutefois qu’une vision partielle de l’impact des vagues de chaleur, qui peut être bien plus important dans les pays plus exposés. Il est probable que ces coûts augmentent à mesure que la fréquence des pics de chaleur s’intensifie, bien qu’ils ne soient pas encore pleinement intégrés dans les estimations économiques. De même, la surconsommation d’électricité liée à la climatisation constitue un facteur supplémentaire. En revanche, la production d’électricité renouvelable est elle aussi vulnérable aux vagues de chaleur : l’éolien peut perdre en rendement en cas de masses d’air stagnantes, et le photovoltaïque voit sa performance baisser lorsque les températures deviennent trop élevées[8].

Enfin, au-delà du coût économique — et bien qu’il soit dérisoire de réduire une vie humaine à un chiffre —, les vagues de chaleur entraînent également une surmortalité, qui varie d’une année à l’autre. Lors de la vague de chaleur de 2003, exceptionnelle par sa durée de deux semaines (même si elle ne détient plus le record absolu de température), la surmortalité avait atteint 16,8 % au mois d’août au Luxembourg[9]. En 2018, la vague de chaleur avait causé en moyenne 10 décès supplémentaires par semaine[10]. La mise en place de « plans canicule » contribue à réduire la surmortalité. Il convient par ailleurs de rappeler qu’une phase de surmortalité est souvent suivie d’une phase de sous-mortalité, ce qui tend à montrer que les victimes sont en partie des personnes déjà fragilisées, dont l’espérance de vie était peut-être limitée[11]. Pour affiner davantage l’estimation, il faudrait séparer les décès dû à la vague de chaleur proprement dite et la surmortalité engendrée par la chaleur mais attribuables à des facteurs connexes (comme l’âge ou des comorbidités)[12].

Au niveau des admissions aux urgences, la chaleur peut entraîner une augmentation de la fréquentation hospitalière en période de canicule, voire des hospitalisations dans les cas les plus graves. Ce coût peut sembler marginal par rapport à d’autres postes : durant l’été 2022, par exemple, 19 personnes ont été hospitalisées dans le cadre du plan canicule. Néanmoins, comme l’a démontré la crise du Covid, une saturation des hôpitaux à des moments critiques, combinée à des maladies infectieuses (généralement plus rares en été, mais potentiellement plus fréquentes à l’avenir avec l’apparition de maladies exotiques[13]), pourrait engendrer des situations très complexes.

L’adaptation au réchauffement climatique génère des coûts directs et indirects qui nécessitent de repenser les infrastructures urbaines (par exemple : verdissement des espaces publics) et les bâtiments (par exemple : amélioration de l’efficacité énergétique). Le Luxembourg prépare son adaptation aux effets inévitables du changement climatique à travers un projet de stratégie présenté au public afin de recueillir des contributions avant sa soumission au Conseil de gouvernement. Ces enjeux soulignent l’importance de mieux mesurer, anticiper et intégrer les coûts économiques, sociaux et humains des vagues de chaleur. L’inaction et le manque d’anticipation risque de coûter, au-delà de l’aspect humain, quelques points de base précieux à la croissance.

[1] Il n’y a pas de définition claire sur le site météorologique luxembourgeois. Le site de Météo France définit une vague de chaleur comme « un épisode de températures nettement plus élevées que les normales pendant plusieurs jours (définition à l’échelle nationale) ». Source : Météo France.

[2] Malgré la climatisation des bureaux, la performance cognitive peut diminuer de 10% quand la température extérieure atteint 26°C, donc dans des bureaux non climatisés. Source : Wiley Online Library, « Cognitive performance was reduced by higher air temperature even when thermal comfort was maintained over the 24–28°C range”, 31 janvier 2022.

[3] Impact estimé au niveau mondial. Source : Allianz Research, « Global Boiling : Heatwave may have cost 0.6pp of GDP », 4 août 2023.

[4] Source : Question parlementaire n°1870 du 3 mars 2025.

[5] « La croissance des espèces végétales – cultivées ou non – est liée à la température suivant une courbe en cloche dont les caractéristiques découlent de l’origine géographique de chaque espèce. Ainsi, les plantes d’origine intertropicale – par exemple maïs, sorgho, ou tournesol – possèdent un optimum de croissance (le point haut de la courbe) correspondant à des températures plus élevées comparativement à des espèces d’origine plus septentrionale ou australe (par exemple blé, colza, ou prairie). ». Source : « Les vagues de chaleur dans un contexte de changement climatique », Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, 2023.

[6] Source : “Insurance and Risk Management Tools for Agriculture in the EU”, mai 2025

[7] L’impact pour le tram semble minime du fait du placement des rails et la vitesse d’exploitation. Source : question parlementaire n°6514 du 25 août 2022.

[8] La chaleur diminue le rendement des panneaux photovoltaïques. « En moyenne, au-delà de 25°C, une augmentation de 1°C entraîne une baisse de 0,45% de la production. Sous des températures ambiantes de 35°C, les cellules photovoltaïques peuvent atteindre 80°C en surface et perdre jusqu’à 30% de leur rendement. ». Source : Creos, « Le réchauffement climatique : des effets néfastes pour le solaire ? », le 15 avril 2020.

[9] Source : RTL.lu et Observatoire démographique européen. « En 2003, une canicule meurtrière frappait l’Europe », le 30 juin 2023.

[10] Source : Le Quotidien, « Le Luxembourg a bien résisté à la chaleur, aucun décès directement lié », le 5 septembre 2018.

[11] Source : L’actuariel, « Risques climatiques et mortalité : impact du risque canicule à l’horizon 2070 », 28 septembre 2023.

[12] Il existe une valeur statistique à la vue, estimée à 3,75 millions d’euros. Cette valeur fait appel à la notion d’évitement d’un décès qui ne correspond pas à la valeur morale d’une vie mais donne une approximation pour la mise en place de politique pouvant prévenir ce type de risque. Cette valeur se base sur le consentement à payer, pour diminuer la probabilité de décès d’une personne. Une étude de l’OCDE de 2012, qui devrait être mise à jour cette année encore, donnait une valeur de 3 millions de dollars US. En France un montant de 3 millions d’euros est utilisé depuis 2013, soit une valeur de 3,75 millions d’euros en tenant compte de l’inflation. Source : Commissariat général à la stratégie la stratégie la stratégie et à la prospective, « Éléments pour une révision de la valeur Éléments pour une révision de la valeur de la vie humaine », avril 2013.

[13] Le climat en Europe du Sud est désormais assez chaud pour permettre aux moustiques de propager des maladies qui étaient auparavant limitées aux zones tropicales. Les températures plus propices à leur reproduction permettent aux moustiques invasifs de s’implanter également au Luxembourg. Ces insectes peuvent transmettre des maladies infectieuses comme la dengue, le Chikungunya ou le Zika. Source : Ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité, « Projet de Stratégie et plan d’action pour l’adaptation aux effets du changement climatique au Luxembourg (2025 – 2035) », 3 décembre 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *