A propos des auteurs : Mélanie Guiton et Alexandre Bertrand sont R&T Associates et Sébastien Zinck est Senior Engineer au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST).

Le Centre de Recherche Public organise en septembre une conférence internationale consacrée au sujet.

Le Luxembourg affiche sa volonté de s’engager dans l’économie circulaire : en 2014 le concept a fait l’objet d’une étude du Ministère de l’Economie qui a établi aussi une feuille de route pour le déployer concrètement ; il est l’un des trois « axes horizontaux » du rapport stratégique pour une troisième révolution industrielle, le pays a récemment accueilli un Circular Economy Hotspot et la conférence internationale Life Cycle Management s’y tiendra en septembre. Les initiatives concrètes, elles aussi, émergent peu à peu, notamment dans le domaine du recyclage.

L’objectif affiché de l’économie circulaire est de parvenir à un découplage progressif entre, d’une part, la consommation des ressources naturelles et la pollution, et, d’autre part, l’ensemble des activités humaines. Un processus qui impliquerait des changements profonds dans les modes de conception, de production, de consommation et de retraitement des déchets.

Après s’être penché sur la question en 2015, IDEA a souhaité, pour alimenter le débat, poser trois questions à des experts, qui livrent leurs points de vue personnels sur le sujet.

Retrouvez ci-dessous la contribution de Mélanie Guiton, Sébastien Zinck, Alexandre Bertrand du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST).

Q. : On parle beaucoup d’économie circulaire et on l’associe le plus souvent au recyclage des déchets. Au-delà de cet outil, comment définiriez-vous le concept d’économie circulaire ? A quels défis économiques, sociaux et environnementaux majeurs permettrait-elle de répondre ?

L’économie circulaire est effectivement une approche qui va beaucoup plus loin que le simple recyclage de déchets, car en plus de se focaliser sur la fin de vie des produits, elle intègre également les phases de production et d’utilisation des produits et services.

On y retrouve les concepts d’eco-design du produit, les mécanismes de symbiose industrielle (« les déchets des uns deviennent les ressources des autres »), une utilisation axée davantage sur la revalorisation du produit et de ses matériaux, etc. Au final, l’objectif de l’économie circulaire est une consommation optimisée de nos ressources naturelles en fonction de leur qualité au fil de leur cycle d’usage, à l’opposé du mode d’économie linéaire actuel du « produit – utilise- jette ». A long terme, l’économie linéaire implique une pression grandissante sur nos ressources naturelles limitées et non-renouvelables, avec comme effet leur raréfaction, une augmentation de leurs prix, pouvant alors mener à des situations géopolitiques instables liées à l’extraction de matières premières.

Le déploiement d’une approche circulaire permet ainsi « de faire au mieux avec ce que nous avons », en termes de ressources matérielles et énergétiques, tout en considérant l’intérêt économique, social et environnemental de l’utilisateur présent et futur au centre de la démarche. Cette approche est donc complémentaire aux objectifs de réduction des impacts environnementaux liés aux activités humaines comme par exemple l’effet de serre et d’autres impacts liés à la pollution de l’air, du sol et des milieux aquatiques. Outre l’intérêt de l’utilisateur, l’économie circulaire permet de plus d’aborder les autres défis du développement durable pour les entreprises industrielles et de service, c.-à-d. le développement économique (p.ex. création de nouveaux services optimisés, sécurisation des matériaux de production) et social (p.ex. conservation d’emplois au niveau local).

Q. : Quelles seraient les actions à privilégier dans la prochaine décennie pour tendre vers un mode d’organisation qui respecte le plus possible les principes de l’économie circulaire ? Y-a-t-il eu de vrais changements significatifs dans ce sens récemment ?

Le passage vers un mode d’économie circulaire implique de nombreux investissements liés au changement concret de mode de fonctionnement tout au long de la chaîne de valeur. Il faut d’abord estimer les réels avantages économiques, sociaux et environnementaux d’une telle approche par rapport à une logique linéaire. En effet, le transport, le traitement et la valorisation des déchets, par exemple, engendrent également des impacts et la démarche décisionnelle se doit de se reposer sur des bases fondées, clairement quantifiables. Le développement d’indicateurs de circularité basés sur la pensée Cycle de Vie est donc nécessaire afin de garantir qu’un modèle d’économie circulaire est effectivement meilleur sur d’autres aspects en plus de la meilleure valorisation des flux de matières ou d’énergie.

En termes de produits, le design de ceux-ci est à repenser (« eco-design »). Le démantèlement et la réutilisation des pièces et des matériaux doivent par exemple être améliorés afin de faciliter leur réintroduction dans le cycle de production. Aussi, les utilisateurs doivent être mieux informés quant à la nécessité de choisir des produits éco-conçus, de diminuer leur sur-consommation et limiter le gaspillage, de faire durer les produits et de trier correctement les produits en fin de vie. En ce qui concerne les filières de recyclage, celles-ci sont déjà bien développées, mais elles présentent encore un bon potentiel d’optimisation. Par exemple, il faudrait renforcer les solutions industrielles limitant la dégradation des flux de matière et d’énergie engendrée par leur traitement (problème de downcycling). De plus, un soutien politique plus marqué – tant au niveau réglementaire (ex : sur l’obsolescence programmée des produits, sur la performance environnementale des produits, sur l’intégration de critères environnementaux plus forts dans les marchés publics, etc.) qu’au niveau financier (ex : évolution des indicateurs financiers, soutien économique aux filières de recyclage, etc.) – est nécessaire afin d’accélérer le développement et le déploiement de solutions concrètes dans ce domaine.

Un certain nombre d’industries (acier, verre, aluminium, éclairage, mobilier) en Europe et en Asie ont déjà franchi le cap de l’adaptation de leur business model pour faire face à ces challenges. En transformant leur processus de fabrication, en repensant leur produit en fonction des matériaux récupérables, ces industries sont déjà à même d’utiliser des matériaux secondaires  pour leur production. Un certain nombre de start-ups et PME proposant de nouveaux services pour faciliter une approche circulaire se sont également crées récemment (ex : « Tale Me » – location de vêtements pour enfants et femmes enceintes, « Soft’In » – chaussures éco-conçues produites localement). Du point de vue des directives et incitations politiques globales, il est certain que la priorité donnée par l’Union Européenne sur le sujet, p.ex. par les programmes de financement en R&D, donne une réelle impulsion au niveau national et/ou local pour initier l’intégration des démarches circulaires au fil des prochaines années. On observe déjà au sein de nos sociétés une certaine prise de conscience et une demande croissante pour modifier notre mode de vie en accord avec les principes de la circularité.

Q. : Jusqu’où est-il possible sur le plan scientifique et technologique de réduire l’impact des activités humaines sur l’environnement ? Un découplage total est-il possible à terme ?

Le monde scientifique ne cesse d’améliorer sa compréhension de l’impact humain sur notre milieu naturel. Même si ces travaux ont déjà beaucoup progressé et permettent d’être de plus en plus précis sur l’évaluation de modèles de production industrielle et de modes de consommation, il reste encore beaucoup à faire. Sur le plan technologique, beaucoup de solutions existent déjà (ex : énergies renouvelables, éco-conception, recyclage…) contribuant à la réduction des impacts. La réduction de ceux-ci serait d’autant plus importante et efficace si ces solutions  étaient plus largement mises en œuvre et de manière plus systémique. C’est l’une des missions des chercheurs que de développer des méthodes et outils pour accompagner la transition des industriels et des consommateurs.

Un découplage total paraît utopique mais l’objectif à long terme est de donner à l’être humain la capacité réelle de limiter ses impacts sur l’environnement tout en subvenant à ses besoins, et atteindre ainsi un développement plus durable de notre société.

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