L’imminence des élections communales est l’occasion de revenir sur des propositions contenues dans l’Idée du mois n°16 pour adresser l’épineuse problématique du logement, régulièrement érigée au rang de « fardeau national ». Face à sa complexité, « regarder dans les coins » peut permettre d’être constructifs. Au-delà de la construction d’unités nouvelles, il est donc pertinent de se demander comment l’espace existant pourrait être « mieux » occupé, partagé et exploité. Bâtiments vides ou affectés à d’autres usages que l’habitat, terrains non construits : le non-usage ou le mésusage constitue un vivier sous-exploité, dans lequel « puiser ». Et en la matière, les communes ont un rôle à jouer.

Taxer le vide ?

Ainsi au Luxembourg, plusieurs outils légaux sont à la disposition des communes.

Elles peuvent lever une « taxe communale spécifique d’inoccupation ou de non-affectation à la construction de certains immeubles », qui caractérise la « non-occupation » d’un point de vue temporel (18 mois consécutifs pour les logements et 3 ans pour les terrains à bâtir). Mais seulement 6 communes, soit 6%, ont choisi de l’appliquer aux propriétaires. Il reste donc très difficile de connaître le nombre de logements ou de terrains effectivement non occupés à l’échelle du pays.

Par ailleurs, afin de limiter la « tentation » de conserver des terres ou des propriétés inutilisées (spéculation et rétention), le Pacte Logement a permis aux communes d’augmenter progressivement les taux d’assiette communaux sur les terrains à bâtir à des fins d’habitation et les taux communaux qui leur sont applicables[1]. Si près de 30% des communes n’appliquent pas de taux particulier, plus dissuasif, celles qui l’appliquent avancent en ordre dispersé (avec quelque 26 pratiques différentes et une grande disparité des taux), laissant des marges de progression pour rendre (plus) lisibles et (plus) efficaces les outils existants.

De plus, la loi sur le bail à usage d’habitation permet au conseil communal d’obliger les propriétaires des immeubles et parties d’immeubles non-occupés destinés à servir de logement à les déclarer à l’administration communale, sous peine d’une amende comprise entre 1 et 250 euros (!).

Enfin, la loi offre d’autres outils concrets aux communes pour lutter contre la mésaffectation de surfaces d’habitation à d’autres fins[2] : leur autorisation est ainsi requise pour tout changement d’usage[3]. Mais après plusieurs années, un logement ayant servi de bureaux n’est plus « habituellement » réservé à l’habitat. Aussi, selon Paul Helminger, l’ancien bourgmestre de la ville de Luxembourg, pour permettre aux communes de « récupérer du logement » il « aurait toutefois fallu parler d’immeubles destinés au logement par le permis de bâtir et/ou par le Plan d’Aménagement Général de la commune[4] », non par « l’habitude ».

Possibilité n’est pas obligation

Le système institutionnel luxembourgeois est donc divisé entre deux niveaux de gouvernance : l’Etat et les communes dont le rôle est crucial dans la définition de l’usage des terres comme des bâtiments. Si l’adhésion au principe de l’autonomie des communes « correspond aux traditions et au caractère des habitants du Grand-Duché de Luxembourg »[5], leur taille souvent restreinte et leur morcellement peuvent laisser dubitatif sur leur capacité humaine et matérielle à traiter la problématique du logement en cohérence avec les priorités du pays. Ainsi, les possibilités de lutte contre la non-occupation offertes par le législateur aux communes ne sont que très moyennement exploitées pour des raisons diverses :

  • Pesanteurs pour les administrations communales plus que véritables recettes pour les finances communales : les amendes semblent « non dissuasives » eut égard aux évolutions des prix de vente et de location, pour des détenteurs d’immeubles ou de terrains inoccupés (qui n’ont probablement pas la nécessité financière de les céder).
  • Forte interaction entre élus et électeurs à cette échelle de gouvernance avec possible syndrome « not in my backyard » (NIMBY)
  • Mauvaise perception de toute contrainte, même justifiée et pleinement légale, etc.

 

Tableau : Les taxes applicables aux logements non occupés dans les communes qui les ont introduites

Diekirch et Beckerich 500 euros par an et par logement
Redange/Attert Esch-sur-Sûre 1000 euros par an et par logement
Bettendorf Entre 500 euros et 1000 euros par an et par logement
Esch-sur-Alzette Immeubles bâtis non occupés : entre 150 euros et 300 euros par mètre courant de façade d’immeuble bâti

Sources : Ministère du Logement ; Ministère de l’Intérieur ; LISER[6]

Comment combler cette « dent creuse » ?

Outre l’auto-responsabilisation des communes dans l’usage des instruments existants, l’introduction d’ « amendes dissuasives » au niveau communal pénalisant la non-occupation serait à étudier en complément à l’imposition préférentielle des plus-values immobilières sur la vente de biens (fin du régime actuel au 31 décembre 2017). Par ailleurs, les communes qui se montrent pugnaces en matière de lutte contre la non-occupation pourraient se voir attribuer une « prime de vertu ».

En revanche la réforme des finances communales n’a pas permis de faire de l’impôt foncier une vraie ressource fiscale pour les communes[7] et un levier de lutte contre la non occupation. Au Luxembourg, les recettes générées par les taxes foncières récurrentes (0,1% du PIB en 2014) sont ainsi nettement inférieures à la moyenne de la zone euro (1,4% du PIB) et représentent une portion congrue des recettes communales. Reste à attendre une prochaine réforme ?

Enfin, il semble impératif d’assurer une meilleure coordination d’ensemble et un accompagnement des petites communes. Le logement, en tant que garant de la cohésion sociale et soutien indirect de l’attractivité, relève de l’intérêt général. De ce point de vue, il convient de promouvoir une étroite collaboration entre l’Etat et les communes pour définir une vision stratégique harmonieuse. La possibilité de délégation à des échelons intermédiaires « sui generis » ou existant, comme les syndicats intercommunaux, pourrait par exemple être développée afin de « soulager » les petites communes.

Des solutions communes à défaut d’être commodes sont résolument requises pour adresser le chantier national du logement pour tous.

 


 

[1] Calcul de l’Impôt foncier =  (1) valeur unitaire (Administration des Contributions Directes) x (2) taux d’assiette (Règlement grand-ducal – fonction de la situation et du genre de construction) x (3) taux communal (communes – fonction des catégories de biens)

[2] Pour Paul Helminger, la raison principale en est la « disparité des loyers réalisables et les nombreuses contraintes imposées au bail d’habitation par rapport aux  surfaces commerciales ».

[3] L’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain : « Sur l’ensemble du territoire communal, toute réalisation, transformation, changement du mode d’affectation, ou démolition d’une construction, ainsi que les travaux de remblais et de déblais sont soumis à l’autorisation du bourgmestre ».

[4] Paul Helminger, (Octobre 2009), Carnet d’Opinions Nr. 3/ Sujet: Logement. Lien : http://www.oai.lu/files/downloads/diverses/Carnetd_OpinionLogement_oct2009_PHelminger.doc

[5] Markus Hesse et Constance Carr, (mai 2013), Integration vs. fragmentation: Spatial governance for land and mobility – the case of Luxembourg.

[6] Voir le 2e monitoring du Pacte Logement : http://www.pacte-logement.lu/IMG/pdf/power_point_monitoring_2015.pdf

[7] Les recettes des communes reposent actuellement à 23% environ sur l’ICC et à 1% seulement sur l’impôt foncier, pourtant moins volatil.

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