Extrait tiré d’une publication de la Fondation IDEA – Fin du travail ? : Quel modèle social pour le futur ?, à paraître.
Le « robotariat » et le « freelance » vont-ils remplacer le salariat ? « Ni oui, ni non, bien au contraire, quoique peut-être ! »
La question de la fin du salariat (et de l’essor prochain de nouvelles formes de travail) est un « point focal ». Cette croyance (très répandue) est entretenue par des travaux – généralement très cités dans les médias – qui annoncent (le plus souvent sans nuance) que des millions d’emplois sont menacés/vont disparaître à cause de la 3ème/4ème révolution industrielle en cours et du progrès technique, et/ou que les marchés du travail vont être « ubérisés » avec à terme une part prépondérante de travailleurs indépendants/freelances/multi-actifs et un net recul du « salariat ». Les développements technologiques en cours réduiraient ainsi à moyen terme la quantité de travail et d’emploi, et l’essor du numérique induirait un « basculement » du travail salarié vers le travail indépendant.
Tableau: Récapitulatif des résultats de quelques études (largement diffusées) sur l’impact de l’automatisation sur l’emploi
Il est pourtant relativement paradoxal qu’il y ait une telle inquiétude concernant le travail dans une période où l’emploi progresse malgré la timide croissance économique – comme en témoignent les faibles gains actuels de productivité apparente du travail.
Mais hélas, les économistes sont plus souvent cités quand ils sont en désaccord et dans les domaines où ils ont le moins de certitudes, et les « consultants » ont de meilleurs services de communication qu’eux. Car sur la question du futur du travail, la recherche économique n’a en réalité pas d’avis définitif et dit « également » que l’automatisation va davantage « replacer » les emplois que les « remplacer », que si des tâches seront probablement automatisées, cela ne veut pas dire que des « masses » d’emplois le seront, que globalement le risque de « chômage technologique massif » peut être écarté, que le recours aux plateformes collaboratives est une opportunité unique de combattre le travail non-déclaré, etc. Les études qui concluent qu’entre 30 et 50% des emplois risquent d’être supprimés souffrent d’ailleurs de considérer qu’un emploi serait nécessairement remplacé par une machine dès lors que cela est « techniquement » faisable – sans considérer l’acceptation sociale, le contexte institutionnel et règlementaire, ni les conditions de rentabilité économique -, ne mesurent que des destructions brutes d’emplois existants, ignorent les transformations possibles des emplois existants (qui aurait pu anticiper dans les années 1980 qu’il y aurait des mannequins Instagram en 2017 ?), et ne considèrent pas suffisamment que l’impact de l’automatisation et de la numérisation sur l’emploi est la résultante de plusieurs effets (effet de substitution du capital au travail, effet sur la productivité qui permet d’augmenter la production et les salaires – d’accroitre la demande de travail et/ou de réduire le temps de travail -, effet sur la compétitivité qui permet d’accroître les parts de marché, etc.)
S’agissant de la supposée ascension irrésistible des « nouvelles formes d’emploi à la demande », au-delà du fait qu’on leur accorde dans l’opinion une place sans commune mesure avec leur ampleur modeste (les plateformes collaboratives ont généré l’équivalent de 0,2% du PIB de l’UE en 2015, l’emploi à la demande (online labour markets) représente moins de 1% de l’emploi total au sein de l’UE), et que les chiffres connus sur les différences de revenus moyens entre salariés et indépendants (en défaveur de ces derniers) indiquent que la perspective du « tous indépendants » pourrait se révéler être en réalité globalement un passeport pour la ruine (Il est par ailleurs généralement observé une distribution des revenus plus inégalitaire chez les indépendants comparativement aux salariés), la théorie des organisations permet de considérer que les entreprises en tant qu’organisations sociales et productives ont des raisons « rationnelles et objectives » d’avoir des salariés plutôt que de faire systématiquement appel à des travailleurs indépendants, la « théorie » de la régulation démontre l’importance des institutions pour un développement économique harmonieux, et le passé récent du Luxembourg invite à croire qu’il y aura probablement encore des emplois en grande quantité à pourvoir dans le pays dans le futur…