Luxembourg : 204 000 arrivées et… 111 000 départs !

Venir, puis quitter le Luxembourg ? La question pourrait presque paraître provocatrice tant les effets de l’attractivité du Grand-duché sont visibles au quotidien. Ici, développement économique soutenu rime avec croissance de l’emploi et son corolaire : dynamisme démographique quasi inégalé et nourri par l’arrivée de nombreux nouveaux habitants. Sur ce diagnostic, peu d’observateurs se risqueront à la contradiction et la récente actualisation des statistiques de population par le STATEC[1] l’illustre une fois de plus. L’étude détaillée des données sur les mouvements démographiques sont riches d’enseignements sur les évolutions sociales et sociétales impulsées par les changements du tissu économique.

La plupart des regards et commentaires portent sur le solde migratoire, qui explique 81% de l’évolution de la population constatée depuis 2005. Mais il serait erroné de résumer l’enjeu de la mobilité résidentielle à ce seul solde, car il  est bien la différence entre des arrivées et des départs, sans omettre les mouvements internes, bref, une histoire de stocks et de flux…

Double record migratoire

Entre 2005 et 2015, le Luxembourg a enregistré 203 875 «arrivées» de l’étranger. Mais dans le même temps, il existe une statistique moins commentée : 110 873 résidents ont quitté le pays sur cette même période. Ce niveau d’émigration a par ailleurs tendance à augmenter au fil du temps, atteignant même en 2015, à l’instar de l’immigration, un seuil sans précédent (12 644 personnes en 2015, contre 8 287 en 2005 ou 5 715 encore dix ans plus tôt). Deux records ont donc été battus.

graphe mvts migratoires 70C’est dans la deuxième moitié des années 1990 que le nombre de résidents quittant le pays a commencé à augmenter. Entre les années 1970 et cette période, il était peu ou prou stable autour de 6.000 départs par an. Par ailleurs, il semblerait que les phases de crise économique aient une influence négative sur le nombre de départs (début des années 1990, début des années 2000 et 2008-2009). L’immigration a quant à elle décollé dès 1985 et augmente de manière quasi discontinue depuis.

Si l’on met régulièrement en parallèle immigration et attractivité, la réciproque n’est pas aussi évidente. Il est donc important de  se pencher sur les raisons de tous ces départs, qu’ils soient programmés à l’avance ou spontanés. L’analyse des statistiques et des études disponibles çà et là nous permet de faire ressortir quelques tendances lourdes, des ordres de grandeur, et à défaut, de poser quelques questions qu’il faudra continuer à explorer.

Départs à la retraite, poursuite de carrières internationales, mais aussi accès à la propriété : des motifs de départ très variés

En préambule, quelques remarques : les résidents partant étudier à l’étranger (environ 13.000 étudiants) ne sont pas comptés dans les départs étant donné qu’ils restent en règle générale inscrits dans leur commune d’origine. Par ailleurs, les étrangers, qui représentent 45,5% de la population résidente en 2015, ont contribué à hauteur de 82,6% aux départs enregistrés sur cette année, avec des degrés de mobilités variables selon les nationalités (voir tableau). Enfin, la proportion de départs est plus importante parmi la population en âge de travailler (et particulièrement entre 20 et 40 ans) que pour les autres tranches d’âge. Ces statistiques dessinent en réalité une mobilité beaucoup plus significative des « non-Luxembourgeois » et des actifs, qui, en quelque sorte, vont et viennent, avec toutefois une large prépondérance pour ceux qui viennent…

 

Nombre de départs âge

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Sur les 12 644 départs en 2015, l’on peut considérer qu’ils sont composés notamment :

  • d’étudiants qui ont terminé leur séjour d’études au Luxembourg et qui (re)partent dans un autre pays (en 2014-2015, l’université compte 57% d’étudiants non-luxembourgeois soit plus de 3 500 personnes) ;
  • d’actifs qui déménagent de l’autre côté de la frontière et qui continuent de travailler au Luxembourg, une catégorie qui était en hausse constante d’après une étude de l’observatoire de l’habitat de 2010[2] portant sur des données de 2001 à 2007 et qui atteignait alors 1 700 personnes (dernières données disponibles). Dans une enquête qui leur était adressée, 85% de ces « frontaliers atypiques» avançaient le prix du logement comme élément de motivation au départ. Il est probable que le phénomène se soit accentué depuis (prix du logement en hausse). Il faut ajouter à ce chiffre les « résidents » qui vivent en réalité dans une « résidence secondaire » en Allemagne, en Belgique ou en France, ils ne sont à priori pas comptés dans les statistiques des départs.
  • d’enfants qui accompagnent leurs parents dans leurs mobilités et représentent une part non négligeable : sur l’ensemble des personnes ayant quitté le pays, 1 867 avaient moins de 15 ans, 2 305 avaient moins de 20 ans ;
  • d’actifs « de passage » qui poursuivent leur carrière à l’étranger. S’il est difficile de mesurer la part de ces actifs de passage, la forte proportion de diplômés du supérieur parmi les résidents de nationalité belge (62%), française (56%), et allemande (48%) par rapport à la moyenne de l’ensemble des résidents (27%)[3] reflète bien le caractère mobile des actifs les plus qualifiés du « pays-métropole » que constitue à bien des égards le Grand-Duché ;
  • de « néo-retraités » originaires de pays tiers et qui rentrent dans leur pays d’origine après avoir travaillé au Luxembourg (en 2014, 45% des bénéficiaires du régime de pensions résidaient à l’étranger – soit 72 837 personnes – dont 15% dans un autre pays que la France, la Belgique et l’Allemagne[4]. Au Portugal, on dénombre par exemple 7 659 pensionnés « luxembourgeois ») ;
  • de nombreux autres cas de figure (stagiaires ayant résidé plus de 3 mois et qui repartent, entrée dans la vie active à l’étranger, année(s) sabbatique(s)/humanitaire(s), déménagement pour rejoindre une personne rencontrée à l’étranger, résidents suivant leur conjoint(e) dans leur mobilité professionnelle, etc.).

Les entrées et les sorties de 2015 représentent l’équivalent de 6,5% de la population totale

Un territoire dynamique comme le Luxembourg où se polarisent de nombreux emplois liés aux « fonctions métropolitaines supérieures[5] » est par définition un territoire où l’on observe une mobilité forte des personnes. Ainsi, depuis plusieurs années, la part des entrées et des sorties cumulées et rapportées à la population totale – une forme de mesure du « taux de mobilité » –  est en hausse. Elle atteint en 2015 l’équivalent de 6,5% de la population totale. Les entrants représentent 4,2% de la population et les sortants 2,3% : un niveau de migrations en cohérence avec la dynamique de métropolisation du pays, mais qui reste assez inédit à l’échelle d’un État. Pour les pays européens dans lesquels les données sont disponibles[6], l’indicateur est sensiblement plus faible : de 3,9% à Chypre, 3,5% à Malte, 2% au Danemark pour les taux les plus élevés à 1% en France, 1,5% en Allemagne, 1,9% en Belgique et 1,5% aux Pays-Bas pour les pays les plus proches.

Chiffre encore plus impressionnant : les entrées et les sorties de ressortissants étrangers représentent l’équivalent de 12,2% de la population résidente n’ayant pas la nationalité luxembourgeoise en 2015 ! (20 993 arrivées et 10 445 départs sur 285 700 résidents).

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Des « ambassadeurs » du Luxembourg

Une mobilité aussi forte a des conséquences qu’il ne faut pas sous-estimer si l’on veut garantir le développement du pays dans le futur, mais elle représente aussi un potentiel d’image à exploiter.

Attirer les talents au Luxembourg est primordial dans un contexte de concurrence accrue entre les métropoles dont la force économique repose notamment sur la présence d’actifs qualifiés. Dans le cadre du nation branding, faire en sorte que ses anciens résidents deviennent des ambassadeurs du pays pourrait être une piste à travailler (relire à ce sujet l’Idée du Mois d’IDEA « Nation Branding – nouveau positionnement du Grand-Duché », juin 2014[7]). Pourquoi ne pas encourager le développement des « clubs d’ambassadeurs » auxquels devraient participer les anciens habitants au même titre que les « expatriés » ? Après tout, il y a quelque part dans le monde au moins 100.000 personnes qui ont vécu au Grand-Duché au cours des 10 dernières années, en plus des nationaux Luxembourgeois expatriés…

Enfin, ce qui est vrai pour la plupart des métropoles en croissance l’est au Luxembourg à l’échelle nationale : il doit, pour rester dans la course, offrir les meilleures conditions de vie possibles à l’ensemble des résidents (nouveaux ou pas). Cela concerne presque tous les pans de la politique publique : l’offre éducative, culturelle, de loisirs, le logement, les transports, la protection sociale, les équipements de santé, la sécurité, etc. La hausse du nombre de résidents qui quittent le pays tout en y conservant leur emploi est un élément qui doit à ce titre interpeller les décideurs. La politique du logement est peut-être un levier à actionner…

Il parait qu’IDEA va prochainement plancher sur le sujet : ne partez donc pas tout de suite !


[1] Voir : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/regards/2016/PDF-16-2016.pdf

[2] Voir : http://www.statistiques.public.lu/fr/publications/autresacteurs/series-ceps/noteobservatoirehabitat/2010/14-2010/14-2010.pdf

[3] Données 2011, voir : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/RP2011-premiers-resultats/2013/19-13-FR.pdf

[4] Données IGSS, voir : http://www.isog.public.lu/islux/assurance-pension/series-statistiques.html

[5] Définition : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=outils/fonctions_res/accueil_fonctions_res.htm

[6] Données Eurostat (2014), calculs IDEA, données non disponibles pour les membres suivant de l’UE : Irlande, Grèce, Autriche, Roumanie, Slovénie et Royaume-Uni.

[7] Voir : http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/2014/07/IDEA_Id%C3%A9e-du-mois_3_nation-branding.pdf

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Tableau de bord de l’économie N°11 – Juillet 2016

Luxembourg

L’incertitude sur les marchés financiers et son impact sur le prolifique secteur des fonds d’investissement, a, entre autres, conduit la BCL à abaisser de 0,2% ses projections de croissance du PIB à 3,4% en 2016. En revanche, il progresserait de 4,2% en 2017 (4,6% selon le STATEC), soit +0,6% par rapport aux précédentes prévisions. La période de grâce se prolonge… un peu.

Le taux de chômage s’ancre à 6,5% en juin (exception faite des 6,6% d’avril). Pour 2016, la BCL se montre plus optimiste qu’auparavant en tablant sur un taux de 6,6%. Le nombre de demandeurs d’emplois a, quant à lui, reculé de 5,2% sur un an. Cette baisse bénéficie à toutes les catégories d’âge, particulièrement aux moins de 25 ans (-9,1%), mais est moins marquée pour les 50-59 ans. En revanche, le nombre de chômeurs inscrits depuis 24 mois et plus augmente (+1,6%).

Selon le STATEC, la croissance de l’emploi salarié reste soutenue – et enviable – mais pourrait s’infléchir sur la fin de l’année au vu de la progression ralentie de certains indicateurs, comme les offres d’emploi non satisfaites et le travail intérimaire.

Dans le projet de loi portant mise en œuvre de la réforme fiscale, la moins-value fiscale consécutive au changement des barèmes d’imposition des ménages est estimée à 170 millions d’euros pour 2017 puis à 230 millions d’euros, celle liée à la suppression de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire à 110 millions d’euros annuels. Pour le STATEC, ces mesures augmenteront le revenu disponible des ménages (+1,2%). Cela bénéficierait à la consommation privée, à l’investissement et à l’emploi avec un effet « ambigu » sur le chômage » mais contribuerait à la dégradation du solde extérieur (-0,2%) comme budgétaire (-0,7%).

Zone euro

A 2,2% au premier trimestre 2016, le taux de croissance de la zone euro a dépassé (!) les prévisions du FMI. Au lendemain du « 23 juin », devenu le Brexit Day, il prévoit une poursuite de l’embellie sur l’année mais remonte la garde pour 2017 (-0,2%). En revanche, pour la Commission les taux de croissance pourraient être revus à la baisse dans un intervalle de 0,1 à 0,2% dès 2016 et de 0,2 à 0,4% en 2017.

En Espagne, le nombre de chômeurs a diminué de 11% sur un an et les prévisions de croissance pour 2016 ont été revues à la hausse à 2,9%. Mais si le Partido Popular est sorti renforcé des élections du 26 juin (33% des suffrages), Mariano Rajoy pourrait de nouveau se trouver paralysé par un Parlement fragmenté. Dans ce contexte, le pays comme son voisin portugais, échappera vraisemblablement à la sanction financière européenne pour déficits excessifs, bien que la suspension de certains fonds structurels soit encore à discuter et la consolidation budgétaire à accélérer.

La dette publique de la zone euro est en hausse à 91,7% au premier trimestre 2016. L’hétérogénéité règne avec des ratios allant de 9,6% pour l’Estonie et 21,8% pour le Luxembourg à 176,3% pour la Grèce et 135,4% pour l’Italie.

L’Irlande a de quoi faire r(o)ugir avec un PIB en croissance de 26% en 2015, qui s’explique par des éléments « exceptionnels » (localisation d’actifs financiers de multinationales, transferts de brevets, activités de leasing intégrées aux comptes nationaux, etc.) et une réduction consécutive de son ratio de dette d’environ 17%. Malgré ces données « miraculeuses », elle affiche un déficit d’emplois de 7,9% par rapport à fin 2007 – une donnée comparable à l’Espagne ou à la Grèce.

La BCE confirme le cap accommodant de sa politique monétaire en laissant ses taux d’intérêt directeurs inchangés, soutenant notamment l’amélioration des conditions de l’offre de crédit. Elle n’exclut pas de les abaisser même « bien au-delà de l’horizon fixé pour les achats nets d’actifs » (mars 2017) au vu des « incertitudes actuelles », notamment sur l’état du bilan et la capacité de résistance de certaines banques européennes. « Wait-and-see » après « Whatever it takes ».

Reste du monde

Compte tenu du Brexit et de l’incertitude économique, politique et institutionnelle qui en découle(ra), le FMI a révisé à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2016 et 2017 par rapport à celles d’avril. Si l’économie mondiale (-0,1% en 2017) et la zone euro (-0,2%) ne devraient in fine n’être impactées qu’à la marge, l’économie britannique, elle, pourrait céder près d’un point de croissance en 2017.

Financement de la santé : ne gaspillons pas notre « période de grâce ». 

La Fondation IDEA asbl a récemment publié une Idée du mois, qui enfonce quelques tabous en matière de financement de l’assurance maladie-maternité. Le budget de la santé était en 2015 excédentaire à raison de 105 millions d’euros selon les données officielles. Il ne s’agirait pas là d’un simple accident : les perspectives budgétaires de la Caisse nationale de santé (CNS) demeureraient favorables dans les années qui viennent. A tel point que d’aucuns se posent (déjà…) la question de l’utilisation de ces mirifiques excédents.

Le papier d’IDEA corrobore ce constat de perspectives budgétaires assez favorables au cours de la décennie à venir – sauf accident économique et pourvu que l’immigration nette demeure (fort) soutenue. On peut parler, dans une certaine mesure, d’une « période de grâce ». Pourquoi ne pas fêter cette dernière avec des dépenses nouvelles, puisque tout va pour le mieux?

Pas si vite… La « période de grâce » reflète une évolution démographique demeurant relativement favorable sur une dizaine d’années, la population du Luxembourg étant relativement jeune grâce, notamment, à l’immigration soutenue. D’allié des caisses de santé, le facteur démographique se muerait cependant à terme en véritable défi au-delà de la période de grâce. Le Luxembourg serait alors, à son tour, rattrapé par le phénomène du vieillissement. Or les dépenses de santé tendent à augmenter de manière exponentielle à partir de l’âge de 50 ans.

Ce vieillissement serait réel, mais globalement assez mesuré sous le scénario « officiel » d’un Luxembourg à 1 million d’habitants d’ici 2050. Le coût des soins de santé serait par conséquent maîtrisable : il n’augmenterait qu’à raison de 0,5% du PIB d’ici 2060. Une facture non négligeable, mais nous serions loin de l’apocalypse budgétaire.

L’Idée du mois de la Fondation IDEA va cependant plus loin : elle examine divers scénarios alternatifs, qui reposent sur un scénario démographique moins « exaltant » tablant sur 700 000 résidents « seulement » d’ici 2060. Elle considère par ailleurs une évolution future des dépenses individuelles de santé qui soit plus en phase avec l’évolution passée, caractérisée par un dynamisme certain des dépenses. IDEA tient enfin compte de la nature de « bien supérieur » de la santé. C’est-à-dire un bien dont la consommation tend à augmenter systématiquement plus rapidement que le revenu.

Dans un scénario « Worst case » intégrant ces éléments (et divers aspects plus techniques), IDEA montre que les finances de l’assurance maladie-maternité pourraient – certes dans un cas un peu extrême – connaître un franc dérapage d’ici 2060, non pas de 0,5% du PIB mais de … 4% du PIB. Ce sont certes des conjectures se déployant sur une longue période. Un fait est indiscutable cependant : l’équilibre budgétaire des soins de santé est un monument en péril à moyen terme, même si on peut raisonnablement espérer une « période de grâce » d’une dizaine d’années. De considérables risques potentiels peuvent toujours se manifester. Attendre 10 ans ne constitue donc guère une option raisonnable, car il deviendrait alors fort difficile, sinon impossible, d’endiguer la dégradation en cas de matérialisation des risques. IDEA établit d’ailleurs clairement ce fait, à travers une simulation effectuée sur la base des règles budgétaires actuelles de la CNS. Des règles trop ancrées dans le court terme, à rebours d’une identification précoce des risques potentiels.

La conclusion ? Nous devrions profiter de la période de grâce non pas pour multiplier les dépenses nouvelles, mais pour mettre en place un système de surveillance proactive des dépenses de santé, sur un horizon d’au moins 15 ans – soit une période excédant la période de grâce. Cette dernière est un véritable don du ciel, dont rêveraient de nombreux pays. Ne la galvaudons pas…

Pour rappel, les blogs apportent un éclairage personnel, dont le contenu n’engage que leur auteur, autour d’un sujet d’actualité.

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Le “temps”, c’est de l’argent.

Overdose de Brexit et d’ « uberisation » ? Et si nous parlions de la pluie… et du beau temps ?

Ou plus précisément de l’impact économique de la météo[1] car il n’y a pas que le moral à être « météosensible ». Il n’aura échappé à personne que, pour l’heure, l’été est plutôt aux abonnés absents. Et d’après le plus fiable visionnaire, cela pourrait ne pas changer de sitôt

Qu’il s’agisse de consommation, de production, de transports, de tourisme ou de loisirs, un grand nombre de secteurs de l’économie sont sensibles aux aléas climatiques.

Côté consommation, le moral et les choix du client semblent liés au temps : les ventes de glaces pâtissent d’une météo peu clémente, comme les surgelés ou les boissons estivales (bière et rosé vs. Glühwäin et eau de vie ?) à la différence de la consommation énergétique. Les cafetiers souffrent également fortement des caprices de la météo car les terrasses désertées engendrent un manque à gagner en plus d’un surcoût de frais de personnel. Au Luxembourg l’Horesca estime ainsi qu’en « doublant » la capacité d’un établissement, les terrasses sont susceptibles de générer de 4 000 à 75 000 euros chaque mois[2]. La vente au détail (chaussures, vêtements, parapharmacie…) est également très météosensible comme en attestent les (très) bonnes affaires dès le début des soldes du fait d’importants stocks estivaux.

Côté transports, pensons aux conséquences économiques des intempéries qui ont immobilisé les frontaliers français après l’inondation d’un poste d’aiguillage à Bettembourg. Mais voyons-y aussi une opportunité commerciale pour les professionnels du voyage de combler les besoins de travailleurs en mal de vitamine D avec des weekends au soleil.

D’un aléa non maîtrisable, la météo est devenue un risque sinon maîtrisé, du moins, anticipé et indemnisé par la collectivité, les compagnies d’assurance ou les courtiers. Ce qui n’est pas une nouveauté si l’on songe aux dispositifs de gestion du risque climatique dans le secteur agricole ou sur les marchés financiers.

Pour autant, les dirigeants (et les « risk managers ») sont de plus en plus nombreux à intégrer les aléas météorologiques dans leurs prévisions financières (concept de « value at risk » appliqué) et à tenter de s’en prémunir. Citons notamment la mise au point d’indices sur les produits de grande consommation afin d’aider les distributeurs à approvisionner les rayons selon la météo. D’autres en ont même fait un argument de vente : de BMW, en 2009 remboursant 500 euros aux acheteurs de Mini décapotables en cas d’excès de pluie durant les mois de juin à août, à la « garantie soleil » de certains voyagistes. Autre illustration bien utile cette année : Rolland Garros. Depuis 2008, « l’assurance pluie » a été réintégrée aux Conditions Générales de Vente (CGV) induisant le remboursement du spectateur si la pluie arrête le jeu plus de 59 minutes dans la journée. Nous voici bien à l’abri.

Ne reste plus qu’à résoudre l’épineuse question de la productivité. Sous le soleil exactement.


[1]Selon Meteo Protect, courtier en assurance et réassurance, et conseiller en investissement, 70% des firmes dans les pays industrialisés seraient exposées aux aléas climatiques pour un montant allant de 25 à 35% du PIB : des conditions défavorables au quotidien pourraient ainsi détruire jusqu’à 500 milliards $ aux Etats-Unis et 400 milliards € en Europe chaque année.

Voir: http://www.meteoprotect.com/front/_media/pdf/en/WHITEPAPER_WeatherRisks_2016-03.pdf

[2] Selon François Koepp, le secrétaire général de la fédération.

Brexit – entre euroscepticisme ambiant et perspectives d’avenir britanniques (5/5)

L’un des arguments massue des pro-Brexit était la possibilité de redistribuer la contribution britannique au budget commun en cas de sortie. Mais ce serait occulter les avantages financiers dont ont tiré parti des régions populaires et rurales suite à l’intégration européenne leur permettant d’opérer un rattrapage [1]. Pour éviter le marasme, des crédits nationaux devront impérativement se substituer à ces fonds européens. Mais nul doute que les Brexiteers avaient déjà saisi leur calculatrice. Ils l’ont sans doute fait aussi pour prendre en compte le potentiel relèvement du coût de la dette suites à des « downgrades » de la notation souveraine, pour nous limiter à ces deux points précis.

En outre, si le taux de participation la rend, certes, incontestable (72,2%), ne convient-il pas tout de même de relativiser le « poids » de cette victoire (52%), dans le cadre de l’actuel scénario de flux migratoires et dans un pays de « tradition » eurosceptique, dont le discours politique était souvent critique vis-à-vis de Bruxelles et dont la relation avec « la chose européenne » (l’UE, ses émanations, ses prédécesseurs) a été quelque peu ambigüe ? On peut ainsi la mettre en perspective avec le rejet du Traité établissant une constitution pour l’Europe par les Néerlandais en 2005 – le « nee » ayant remporté 61,5% – ou avec le récent référendum consultatif par lequel la population (enfin, 32%) s’est opposée à plus de 60% à l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine (la lecture qui en a été faite est celle d’un signal négatif adressé aux dirigeants européens). De même, « l’adhésion pour l’UE » au Luxembourg, « eurolover » par excellence n’a pas été criante lors du référendum de 2005 avec 56,52% des suffrages en faveur du Traité établissant une constitution pour l’Europe. Enfin, mentionnons le « non » français à ce même référendum (à 54,7%) ou encore le rejet irlandais du Traité de Lisbonne en 2008 (53,4%). Les Britanniques n’ont pas le monopole de l’euroscepticisme, loin s’en faut.

Une lecture plus positive voudrait donc que 48% du corps électoral, soit 16 millions de forces vives dans ce pays que l’on dit si eurosceptique, s’est exprimé en faveur de l’appartenance à l’Union, conscient de ses travers probablement ; de ses bénéfices sûrement et des pertes potentielles certainement. Ils sont la preuve que « le doute est permis » et l’adhésion possible bien que l’isolement insulaire réduise les échanges « transfrontaliers » terrestres (au-delà du cas irlandais) et l’adhésion de fait. Une solution acceptable par/pour tous s’impose donc.

Pour certains, il faudrait que le Royaume-Uni intègre l’Espace Economique Européen ce qui impliquerait : 1) une application continue de toutes ces directives, si « malaimées » (that’s what they say), relatives au marché unique… Mais sans avoir son mot à dire sur leur conception ; 2) comble de l’ironie, une contribution au budget (quid du rabais « âprement négocié » en tant que membre ? ) et 3) a priori une entrée dans Schengen ; soit une adoption pleine et entière des libertés fondamentales. Accepter ces conditions serait un camouflet pour l’opinion britannique. Ainsi, la solution la plus vraisemblable serait celle d’un deal bilatéral. Or la Suisse a négocié le sien 10 ans durant. Et la sortie ? Car c’est bien sur cela que se sont exprimés les Britanniques : plusieurs années ont été nécessaires pour assurer celle du Groenland, territoire de 50.000 habitants!  Aussi après la « perte » de la deuxième économie de l’Union et, par là même, d’une voix favorable au marché et au commerce, un nouveau renforcement des forces centrifuges serait dramatique et rendrait l’Europe (encore) plus illisible, plus fragmentée aussi. Pour éviter le pire et garantir notre futur salut économique, politique et citoyen/sociétal, il faudrait un deal sans amertume, réfléchi, dans l’intérêt de tous.

Enfin, citons les résultats d’un récent Eurobaromètre: ils font état d’un accroissement de l’intérêt général pour les politiques de l’UE (54%, +11 points depuis 2013) mais aussi du sentiment des Européens que leur pays a bénéficié de l’adhésion à l’UE (60%, +6% par rapport à juin 2013). Il y a encore de l’espoir (si, si) alors profitons-en pour recadrer l’Europe et en expliquer sans jargon les avantages.


[1] Des subventions agricoles au Pays de Galles, aux fonds de convergence à la Cornouaille (dont le PIB est inférieur à 75% de la moyenne de l’UE et qui devait bénéficier de plus de 600 millions d’euros d’aides européennes sur la période 2014-2020 et en a perçu 1,17 milliards depuis 2000), l’intégration a grandement bénéficié à ces régions. De même, l’Irlande du Nord aurait dû percevoir près de 2,5 milliards d’euros d’ici à 2020 et aurait bénéficié, entre 1995 et 2016, outre des fonds agricoles, de 1,3 milliard d’euros dans le cadre du programme PEACE de soutien à la paix.