Venir, puis quitter le Luxembourg ? La question pourrait presque paraître provocatrice tant les effets de l’attractivité du Grand-duché sont visibles au quotidien. Ici, développement économique soutenu rime avec croissance de l’emploi et son corolaire : dynamisme démographique quasi inégalé et nourri par l’arrivée de nombreux nouveaux habitants. Sur ce diagnostic, peu d’observateurs se risqueront à la contradiction et la récente actualisation des statistiques de population par le STATEC[1] l’illustre une fois de plus. L’étude détaillée des données sur les mouvements démographiques sont riches d’enseignements sur les évolutions sociales et sociétales impulsées par les changements du tissu économique.
La plupart des regards et commentaires portent sur le solde migratoire, qui explique 81% de l’évolution de la population constatée depuis 2005. Mais il serait erroné de résumer l’enjeu de la mobilité résidentielle à ce seul solde, car il est bien la différence entre des arrivées et des départs, sans omettre les mouvements internes, bref, une histoire de stocks et de flux…
Double record migratoire
Entre 2005 et 2015, le Luxembourg a enregistré 203 875 «arrivées» de l’étranger. Mais dans le même temps, il existe une statistique moins commentée : 110 873 résidents ont quitté le pays sur cette même période. Ce niveau d’émigration a par ailleurs tendance à augmenter au fil du temps, atteignant même en 2015, à l’instar de l’immigration, un seuil sans précédent (12 644 personnes en 2015, contre 8 287 en 2005 ou 5 715 encore dix ans plus tôt). Deux records ont donc été battus.
C’est dans la deuxième moitié des années 1990 que le nombre de résidents quittant le pays a commencé à augmenter. Entre les années 1970 et cette période, il était peu ou prou stable autour de 6.000 départs par an. Par ailleurs, il semblerait que les phases de crise économique aient une influence négative sur le nombre de départs (début des années 1990, début des années 2000 et 2008-2009). L’immigration a quant à elle décollé dès 1985 et augmente de manière quasi discontinue depuis.
Si l’on met régulièrement en parallèle immigration et attractivité, la réciproque n’est pas aussi évidente. Il est donc important de se pencher sur les raisons de tous ces départs, qu’ils soient programmés à l’avance ou spontanés. L’analyse des statistiques et des études disponibles çà et là nous permet de faire ressortir quelques tendances lourdes, des ordres de grandeur, et à défaut, de poser quelques questions qu’il faudra continuer à explorer.
Départs à la retraite, poursuite de carrières internationales, mais aussi accès à la propriété : des motifs de départ très variés
En préambule, quelques remarques : les résidents partant étudier à l’étranger (environ 13.000 étudiants) ne sont pas comptés dans les départs étant donné qu’ils restent en règle générale inscrits dans leur commune d’origine. Par ailleurs, les étrangers, qui représentent 45,5% de la population résidente en 2015, ont contribué à hauteur de 82,6% aux départs enregistrés sur cette année, avec des degrés de mobilités variables selon les nationalités (voir tableau). Enfin, la proportion de départs est plus importante parmi la population en âge de travailler (et particulièrement entre 20 et 40 ans) que pour les autres tranches d’âge. Ces statistiques dessinent en réalité une mobilité beaucoup plus significative des « non-Luxembourgeois » et des actifs, qui, en quelque sorte, vont et viennent, avec toutefois une large prépondérance pour ceux qui viennent…
Sur les 12 644 départs en 2015, l’on peut considérer qu’ils sont composés notamment :
- d’étudiants qui ont terminé leur séjour d’études au Luxembourg et qui (re)partent dans un autre pays (en 2014-2015, l’université compte 57% d’étudiants non-luxembourgeois soit plus de 3 500 personnes) ;
- d’actifs qui déménagent de l’autre côté de la frontière et qui continuent de travailler au Luxembourg, une catégorie qui était en hausse constante d’après une étude de l’observatoire de l’habitat de 2010[2] portant sur des données de 2001 à 2007 et qui atteignait alors 1 700 personnes (dernières données disponibles). Dans une enquête qui leur était adressée, 85% de ces « frontaliers atypiques» avançaient le prix du logement comme élément de motivation au départ. Il est probable que le phénomène se soit accentué depuis (prix du logement en hausse). Il faut ajouter à ce chiffre les « résidents » qui vivent en réalité dans une « résidence secondaire » en Allemagne, en Belgique ou en France, ils ne sont à priori pas comptés dans les statistiques des départs.
- d’enfants qui accompagnent leurs parents dans leurs mobilités et représentent une part non négligeable : sur l’ensemble des personnes ayant quitté le pays, 1 867 avaient moins de 15 ans, 2 305 avaient moins de 20 ans ;
- d’actifs « de passage » qui poursuivent leur carrière à l’étranger. S’il est difficile de mesurer la part de ces actifs de passage, la forte proportion de diplômés du supérieur parmi les résidents de nationalité belge (62%), française (56%), et allemande (48%) par rapport à la moyenne de l’ensemble des résidents (27%)[3] reflète bien le caractère mobile des actifs les plus qualifiés du « pays-métropole » que constitue à bien des égards le Grand-Duché ;
- de « néo-retraités » originaires de pays tiers et qui rentrent dans leur pays d’origine après avoir travaillé au Luxembourg (en 2014, 45% des bénéficiaires du régime de pensions résidaient à l’étranger – soit 72 837 personnes – dont 15% dans un autre pays que la France, la Belgique et l’Allemagne[4]. Au Portugal, on dénombre par exemple 7 659 pensionnés « luxembourgeois ») ;
- de nombreux autres cas de figure (stagiaires ayant résidé plus de 3 mois et qui repartent, entrée dans la vie active à l’étranger, année(s) sabbatique(s)/humanitaire(s), déménagement pour rejoindre une personne rencontrée à l’étranger, résidents suivant leur conjoint(e) dans leur mobilité professionnelle, etc.).
Les entrées et les sorties de 2015 représentent l’équivalent de 6,5% de la population totale
Un territoire dynamique comme le Luxembourg où se polarisent de nombreux emplois liés aux « fonctions métropolitaines supérieures[5] » est par définition un territoire où l’on observe une mobilité forte des personnes. Ainsi, depuis plusieurs années, la part des entrées et des sorties cumulées et rapportées à la population totale – une forme de mesure du « taux de mobilité » – est en hausse. Elle atteint en 2015 l’équivalent de 6,5% de la population totale. Les entrants représentent 4,2% de la population et les sortants 2,3% : un niveau de migrations en cohérence avec la dynamique de métropolisation du pays, mais qui reste assez inédit à l’échelle d’un État. Pour les pays européens dans lesquels les données sont disponibles[6], l’indicateur est sensiblement plus faible : de 3,9% à Chypre, 3,5% à Malte, 2% au Danemark pour les taux les plus élevés à 1% en France, 1,5% en Allemagne, 1,9% en Belgique et 1,5% aux Pays-Bas pour les pays les plus proches.
Chiffre encore plus impressionnant : les entrées et les sorties de ressortissants étrangers représentent l’équivalent de 12,2% de la population résidente n’ayant pas la nationalité luxembourgeoise en 2015 ! (20 993 arrivées et 10 445 départs sur 285 700 résidents).
Des « ambassadeurs » du Luxembourg
Une mobilité aussi forte a des conséquences qu’il ne faut pas sous-estimer si l’on veut garantir le développement du pays dans le futur, mais elle représente aussi un potentiel d’image à exploiter.
Attirer les talents au Luxembourg est primordial dans un contexte de concurrence accrue entre les métropoles dont la force économique repose notamment sur la présence d’actifs qualifiés. Dans le cadre du nation branding, faire en sorte que ses anciens résidents deviennent des ambassadeurs du pays pourrait être une piste à travailler (relire à ce sujet l’Idée du Mois d’IDEA « Nation Branding – nouveau positionnement du Grand-Duché », juin 2014[7]). Pourquoi ne pas encourager le développement des « clubs d’ambassadeurs » auxquels devraient participer les anciens habitants au même titre que les « expatriés » ? Après tout, il y a quelque part dans le monde au moins 100.000 personnes qui ont vécu au Grand-Duché au cours des 10 dernières années, en plus des nationaux Luxembourgeois expatriés…
Enfin, ce qui est vrai pour la plupart des métropoles en croissance l’est au Luxembourg à l’échelle nationale : il doit, pour rester dans la course, offrir les meilleures conditions de vie possibles à l’ensemble des résidents (nouveaux ou pas). Cela concerne presque tous les pans de la politique publique : l’offre éducative, culturelle, de loisirs, le logement, les transports, la protection sociale, les équipements de santé, la sécurité, etc. La hausse du nombre de résidents qui quittent le pays tout en y conservant leur emploi est un élément qui doit à ce titre interpeller les décideurs. La politique du logement est peut-être un levier à actionner…
Il parait qu’IDEA va prochainement plancher sur le sujet : ne partez donc pas tout de suite !
[1] Voir : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/regards/2016/PDF-16-2016.pdf
[2] Voir : http://www.statistiques.public.lu/fr/publications/autresacteurs/series-ceps/noteobservatoirehabitat/2010/14-2010/14-2010.pdf
[3] Données 2011, voir : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/RP2011-premiers-resultats/2013/19-13-FR.pdf
[4] Données IGSS, voir : http://www.isog.public.lu/islux/assurance-pension/series-statistiques.html
[5] Définition : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=outils/fonctions_res/accueil_fonctions_res.htm
[6] Données Eurostat (2014), calculs IDEA, données non disponibles pour les membres suivant de l’UE : Irlande, Grèce, Autriche, Roumanie, Slovénie et Royaume-Uni.
[7] Voir : http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/2014/07/IDEA_Id%C3%A9e-du-mois_3_nation-branding.pdf