Parce qu’elle connaît une longue période d’essoufflement économique, la peur d’une « stagnation sans fin» de l’économie européenne donne des sueurs froides aux partis politiques au pouvoir. Les données récentes, concernant le taux de croissance, publiées pour la France (0%) et l’Allemagne (-0,2%) pour le 2ème trimestre, les soi-disant locomotives de l’économie européenne, renforcent cette crainte, et l’ardent désir de renouer avec les taux pré-crise n’a été jamais aussi grand. Dès lors, la croissance économique est considérée comme un remède prodigieux pour soigner tous les maux de l’économie : le chômage, la dette publique, la perte de pouvoir d’achat, pour ne citer que ceux là. Il n’est pas surprenant que les institutions européennes aient modifié leur fonction objective. Lors de l’élaboration des recommandations spécifiques à chaque Etat membre en été 2014, la Commission européenne a communiqué que « l’accent n’est plus mis sur le traitement des problèmes urgents provoqués par la crise mais sur le renforcement des conditions propices à une croissance durable et à l’emploi dans une économie d’après-crise ». De surcroît, la Banque centrale européenne a fait passer son taux directeur à son minimum historique afin de supporter les efforts de relance économique dans les pays de la zone euro en détresse.

En ce qui concerne le Luxembourg, les prévisions de croissance, effectuées par la Commission européenne, sont plutôt bien orientées[1] en comparaison avec les autres pays membres. Donc, si on veut bien croire les prévisions, le Grand-Duché dispose d’un environnement propice pour rendre le train de vie de son modèle socio-économique viable. Que ce soit pour combattre le chômage ou encore pour équilibrer les finances publiques, les politiques ne peuvent pas s’en passer de la croissance économique.

Pourtant, des critiques existent et remettent en cause cette « chasse » aux points de croissance. Des questions comme « Pourquoi relancer la croissance ? » sont posées sous prétexte que le Luxembourg compte parmi les pays les plus prospères au monde et n’aurait donc pas besoin de croître plus. Souvent, dans ce genre de discours, des conséquences comme la pollution de l’environnement, le stress ou l’encombrement des infrastructures sont considérés comme des conséquences directement liées au développement économique.

Mais en fait qu’est-ce que les économistes entendent par croissance économique ? La croissance économique désigne en premier lieu la hausse de la valeur ajoutée générée par la production de biens et services reposant sur des facteurs de production comme le capital, le travail, la terre, les matières premières ou encore le savoir-faire. Donc la croissance ne signifie pas singulièrement un accroissement quantitatif des biens et services, mais avant tout une augmentation de la valeur ajoutée. Cet accroissement peut être d’ordre extensive (l’augmentation des quantités de facteurs de production mis en œuvre) ou encore intensive résultant de l’amélioration de l’efficacité des facteurs de production. Donc, la croissance peut aussi comporter un volet « qualitatif », donc en produisant et consommant mieux avec les facteurs de production disponibles.

Un autre souci souvent reproché à la croissance économique est son impact négatif sur l’environnement ; une relation qui est notamment observable dans les pays en voie de développement ou en transition connaissant de vrais défis pour garantir une qualité d’air et d‘eau digne de leur nom. Toutefois, la situation n’est pas comparable pour des pays industrialisés comme le Luxembourg où des efforts sont déployés pour minimiser l’impact du développement économique sur l’environnement et la santé humaine. La situation s’est fortement améliorée en termes de qualité d’eau ou qualité d’air ces dernières décennies, une évolution qui ne fut possible que grâce à l’aide de la croissance. Certes, la mutation structurelle de l’économie luxembourgeoise ainsi que le progrès technique ont fortement contribué à cette évolution, mais avec une politique de « zéro » croissance ou de décroissance un tel développement n‘aurait pas été réalisable. Sans la croissance, les investissements entamés dans des technologies et processus aptes à internaliser les externalités négatives sur l’environnement n’auraient pas eu lieu. De surcroît, les produits et services portant le label socialement et écologiquement responsable prennent davantage une place importante dans les paniers des consommateurs. Cette tendance pousse les entreprises à développer et proposer de tels biens et services et contribuera davantage à baisser la consommation de matières premières et de limiter la charge environnementale tout en contribuant directement à la croissance économique.

L’économiste Solow[2] a développé la thèse selon laquelle l’innovation constitue le moteur principal de croissance. Selon lui, une croissance exponentielle n’est techniquement pas impossible. Sachant que des facteurs de production comme le capital ou le travail connaissent des rendements décroissants, le seul facteur pouvant contribuer à une croissance durable à long terme ne peut qu’émaner d’une source dont les ressources sont illimitées ; à savoir notre matière grise. Les idées et le progrès technique sont à la base la source principale des entrepreneurs, des chercheurs pour innover, et contribuer à la création de richesse d’un pays. Ce cercle vertueux permet de fournir la génération suivante en nouvelles idées qui contribueront à leur tour au développement économique. Ceci ne peut se faire que dans un environnement disposant d’institutions « inclusives », propices à l’accumulation du savoir faire, à la prise de risque et à l’innovation.

Donc si on envisage de freiner la croissance économique, on freine également l’être humain dans son ardeur à faire de nouvelles découvertes, à innover et entreprendre. En définitive, la croissance économique est nécessaire (quoique non suffisante) pour le développement propice d’une société. Dans l’idée du mois «Productivité : clé de la réussite économique future du Luxembourg» la Fondation IDEA avance des propositions qui permettraient au Luxembourg de renouer avec une croissance vigoureuse, harmonieuse, et soutenable. Cette publication conseillait notamment une amélioration du contexte institutionnel, un meilleur développement du capital humain et un cadre propice pour le développement des activités entrepreneuriales et R&D[3]– des mesures permettant de faire évoluer l’économie luxembourgeoise sans pour autant compromettre la capacité des générations futures à faire face à leurs propres besoins.


[1] 2,6% pour 2014 et 2,7% pour 2015 (DG ECFIN)

[2] Le modèle de Solow se fonde sur l’hypothèse que les facteurs de production (travail, capital) connaissent séparément des rendements décroissants. Ainsi, l’économie atteindra un stade où l’économie ne peut plus progresser. Selon Solow, une telle situation est utopiste, en raison du progrès technique faisant progresser la productivité des facteurs.

[3] Source: http://www.fondation-idea.lu/2014/06/04/396-2/

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