Nouveau paradigme pour une économie écologique

L’enjeu d’une économie écologique est de générer des richesses en protégeant l’environnement. Ce noble objectif est cependant parfois confronté à la réalité. Certaines activités polluantes sont sources de profit alors que d’autres, plus respectueuses de la nature, ne le sont pas.

Cette apparente incohérence trouverait-elle sa source dans l’inadéquation du modèle économique actuel au regard du respect de l’environnement ? De ce fait, l’expression croissance verte est-elle en adéquation avec la réalité ou bien relève-t-elle de la fiction ?

Dans le secteur du bâtiment par exemple, si les immeubles à énergie positive font l’objet d’une grande couverture médiatique, on omet de souligner que les investissements nécessaires pour réduire de manière substantielle les consommations énergétiques du parc immobilier existant ne sont généralement pas rentables.

En effet, les économies réalisées sur les consommations (électricité, gaz,…) suite aux travaux de rénovation ne permettent pas de compenser dans un délai raisonnable le montant des investissements consentis. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que les économies d’énergie ne soient pas simplement considérées comme des « non dépenses » mais comme de réels actifs financiers à part entière.

Or, cela est impossible dans le modèle économique actuel qui repose essentiellement sur la quantification de l’énergie humaine et dans lequel la protection de l’environnement n’est qu’un facteur d’ajustement– à travers la fiscalité (mesures fiscales incitatives ou dissuasives) ou la réglementation – et non un acteur du marché ; d’où l’opportunité de changer de paradigme économique.

Dans ce nouveau paradigme, la nature deviendrait un agent économique au même titre que l’être humain et ses différentes représentations dans la sphère économique (entreprises, fonds d’investissement, Etat-nations, associations). Ainsi les ressources naturelles ne seraient-elles plus considérées comme des substances – commodities en anglais – mais comme des acteurs économiques à part entière. Il en serait de même pour les animaux et les végétaux.

La nature serait représentée sur les marchés par des agents économiques, fictifs car « non humains », mais cependant rationnels. En pratique, cela n’est pas hors de portée. Avec l’automatisation et le développement d’algorithmes de plus en plus complexes fondés sur l’intelligence artificielle, le système financier mondial repose déjà sur des agents économiques rationnels…mais fictifs.

Il serait donc cohérent d’utiliser de tels algorithmes autonomes et intelligents en guise d’agents fictifs chargés de représenter l’environnement. Ce concept, encore très théorique à ce jour, ne sera peut-être pas appliqué en l’état. Cependant, le fait de faire passer la nature de simple substance étendue – selon l’expression de Descartes – à celui d’acteur économique à part entière apparaîtra nécessaire dans les prochaines années.

Le progrès économique ne se ferait plus alors au détriment de l’environnement car, avec un système financier et un système économique ainsi transformés, qui incorporaient la nature de manière intrinsèque, le progrès économique deviendrait indissociable du progrès écologique. Ce nouveau modèle donnerait alors tout son sens à l’expression croissance verte.

Une autre croissance est à craindre

L’année 2014 avait relativement bien commencé, sur le plan économique, pour la zone euro. Certains observateurs furent même gagnés par une « compréhensible quoique dangereuse » europhorie. Il faut dire que depuis 2010 et l’avènement de la crise des dettes souveraines, les raisons de se réjouir dans la zone euro ne sont pas nombreuses. Alors, quand en début d’année la hiérarchie des risques semblait s’inverser et indiquer que les pays émergents, victimes de sortie massive de capitaux, étaient le nouveau foyer en situation de crise, il a soufflé un vent légitime d’optimisme dans les pays de la zone euro. Il faut reconnaître qu’alors, les perspectives étaient plutôt bien orientées avec les sorties en récession de l’Italie, de l’Espagne fin 2013, et la fin effective ou annoncée des programmes d’assistance financière à l’Espagne, l’Irlande et le Portugal.

Dans ce contexte, le Luxembourg misant sur une reprise durable dans la zone euro, anticipait un taux de croissance de 3,2% en 2014 et 2015 et de 3,6% entre 2016 et 2018[1].

Mais depuis le vent a tourné, et une nouvelle récession de la zone euro semble de plus en plus probable comme en témoigne la série noire du mois d’octobre (mise en garde du FMI sur un risque de déflation dans la zone euro et révision à la baisse des perspectives de croissance pour 2014 et 2015, perte du AAA de la Finlande, chute de la production industrielle en Allemagne[2], forte volatilité des bourses européennes, mise sous perspective négative de la notation française, échec d’une émission espagnole, etc.).

Tenant compte de ce nouvel environnement moins porteur, le Luxembourg a révisé  « à la marge » ses prévisions de croissance pour 2014 (2,8%) et 2015 (2,7)[3]. D’après les documents rendus publics dans le cadre du budget nouvelle génération, cette croissance, largement supérieure à la moyenne européenne[4] et aux pays voisins, devrait majoritairement reposer sur les branches marchandes (hors secteur financier), le secteur non-marchand, et les activités exportatrices[5].

Si au regard de la croissance potentielle du pays (2,1%), le taux de croissance annoncé pour 2015 n’est pas hors de portée, il repose sur des hypothèses qui semblent pour le moins « hasardeuses».

La résolution du déficit de compétitivité-coûts de certaines entreprises non financières, nécessaire pour leur permettre de gagner des parts de marché, n’est toujours pas assurée. Il n’est dès lors pas certain que la contribution attendue du commerce extérieur, dans un contexte de faiblesse de l’activité chez les principaux partenaires commerciaux du Grand-Duché, soit aussi importante que prévue.

Aussi, il n’est pas acquis que la demande intérieure privée pourra fortement contribuer à la croissance de l’année prochaine, même en cas de poursuite des tendances récemment observées sur le front de l’immigration. Une hausse du taux d’épargne des ménages n’est pas à exclure compte tenu de la persistance du chômage – qui ne devrait pas reculer avant 2016- et de la perspective de nouvelles hausses d’impôt à venir avec la réforme fiscale annoncée; ce comportement d’épargne de précaution conjugué à la hausse de TVA (+2%) est un risque, aujourd’hui sous-estimé, pesant sur la demande intérieure[6]. Il en est de même, des mesures de consolidation contenues dans le paquet d’avenir « Zukunftspak ». Si cette consolidation – qui reposera à 70% en 2015 sur des hausses de recettes – est nécessaire (et pas forcément suffisante d’ailleurs) pour permettre au Luxembourg de respecter ses engagements européens en termes de déficits structurels, elle est susceptible d’avoir un impact à court terme sur la croissance[7] ; impact qui ne semble pas être pris en compte dans les prévisions.

En somme, le scénario de croissance retenu pour 2015 semble reposer sur des hypothèses très – voire trop ? – favorables. Si la croissance peut effectivement atteindre 2,7% en 2015, elle risque de reposer sur un scénario alternatif, à savoir un déficit budgétaire supérieur à la cible de 0,2% du PIB annoncée ; une alternative qui ne manquerait pas d’animer les débats au sein du Conseil national des finances publiques, en vue de déterminer le solde structurel correspondant. Les semaines à venir s’annoncent animées…


[1] Source: PSC 2014-2018.

[2] Statistiques publiées en octobre et concernant le mois d’août.

[3] Source: Projet de loi relatif à la programmation financière pluriannuelle pour la période 2014-2018.

[4] La croissance de la zone euro devrait être de 0,8% en 2014 et 1,4% en 2015.

[5] Le commerce extérieure devrait contribuer à plus de 60% de la croissance en 2015 (source: Projet de plan budgétaire 2014-2018)

[6] L’impact de la hausse de deux points de la TVA est très peu documenté; certes un effondrement de la demande comme au Japon n’est pas à craindre, mais le fait que les deux tiers des éléments imposables dans un supermarché soient taxés au taux réduit qui ne sera pas augmenté, ne saurait constituer à lui seul une indication suffisante sur le comportement des agents face à cette hausse de TVA.

[7] Effets sur l’investissement des entreprises et sur les dépenses de consommation des ménages.

Pourquoi poursuivre la voie de la croissance: démystification de la croissance économique !

Parce qu’elle connaît une longue période d’essoufflement économique, la peur d’une « stagnation sans fin» de l’économie européenne donne des sueurs froides aux partis politiques au pouvoir. Les données récentes, concernant le taux de croissance, publiées pour la France (0%) et l’Allemagne (-0,2%) pour le 2ème trimestre, les soi-disant locomotives de l’économie européenne, renforcent cette crainte, et l’ardent désir de renouer avec les taux pré-crise n’a été jamais aussi grand. Dès lors, la croissance économique est considérée comme un remède prodigieux pour soigner tous les maux de l’économie : le chômage, la dette publique, la perte de pouvoir d’achat, pour ne citer que ceux là. Il n’est pas surprenant que les institutions européennes aient modifié leur fonction objective. Lors de l’élaboration des recommandations spécifiques à chaque Etat membre en été 2014, la Commission européenne a communiqué que « l’accent n’est plus mis sur le traitement des problèmes urgents provoqués par la crise mais sur le renforcement des conditions propices à une croissance durable et à l’emploi dans une économie d’après-crise ». De surcroît, la Banque centrale européenne a fait passer son taux directeur à son minimum historique afin de supporter les efforts de relance économique dans les pays de la zone euro en détresse.

En ce qui concerne le Luxembourg, les prévisions de croissance, effectuées par la Commission européenne, sont plutôt bien orientées[1] en comparaison avec les autres pays membres. Donc, si on veut bien croire les prévisions, le Grand-Duché dispose d’un environnement propice pour rendre le train de vie de son modèle socio-économique viable. Que ce soit pour combattre le chômage ou encore pour équilibrer les finances publiques, les politiques ne peuvent pas s’en passer de la croissance économique.

Pourtant, des critiques existent et remettent en cause cette « chasse » aux points de croissance. Des questions comme « Pourquoi relancer la croissance ? » sont posées sous prétexte que le Luxembourg compte parmi les pays les plus prospères au monde et n’aurait donc pas besoin de croître plus. Souvent, dans ce genre de discours, des conséquences comme la pollution de l’environnement, le stress ou l’encombrement des infrastructures sont considérés comme des conséquences directement liées au développement économique.

Mais en fait qu’est-ce que les économistes entendent par croissance économique ? La croissance économique désigne en premier lieu la hausse de la valeur ajoutée générée par la production de biens et services reposant sur des facteurs de production comme le capital, le travail, la terre, les matières premières ou encore le savoir-faire. Donc la croissance ne signifie pas singulièrement un accroissement quantitatif des biens et services, mais avant tout une augmentation de la valeur ajoutée. Cet accroissement peut être d’ordre extensive (l’augmentation des quantités de facteurs de production mis en œuvre) ou encore intensive résultant de l’amélioration de l’efficacité des facteurs de production. Donc, la croissance peut aussi comporter un volet « qualitatif », donc en produisant et consommant mieux avec les facteurs de production disponibles.

Un autre souci souvent reproché à la croissance économique est son impact négatif sur l’environnement ; une relation qui est notamment observable dans les pays en voie de développement ou en transition connaissant de vrais défis pour garantir une qualité d’air et d‘eau digne de leur nom. Toutefois, la situation n’est pas comparable pour des pays industrialisés comme le Luxembourg où des efforts sont déployés pour minimiser l’impact du développement économique sur l’environnement et la santé humaine. La situation s’est fortement améliorée en termes de qualité d’eau ou qualité d’air ces dernières décennies, une évolution qui ne fut possible que grâce à l’aide de la croissance. Certes, la mutation structurelle de l’économie luxembourgeoise ainsi que le progrès technique ont fortement contribué à cette évolution, mais avec une politique de « zéro » croissance ou de décroissance un tel développement n‘aurait pas été réalisable. Sans la croissance, les investissements entamés dans des technologies et processus aptes à internaliser les externalités négatives sur l’environnement n’auraient pas eu lieu. De surcroît, les produits et services portant le label socialement et écologiquement responsable prennent davantage une place importante dans les paniers des consommateurs. Cette tendance pousse les entreprises à développer et proposer de tels biens et services et contribuera davantage à baisser la consommation de matières premières et de limiter la charge environnementale tout en contribuant directement à la croissance économique.

L’économiste Solow[2] a développé la thèse selon laquelle l’innovation constitue le moteur principal de croissance. Selon lui, une croissance exponentielle n’est techniquement pas impossible. Sachant que des facteurs de production comme le capital ou le travail connaissent des rendements décroissants, le seul facteur pouvant contribuer à une croissance durable à long terme ne peut qu’émaner d’une source dont les ressources sont illimitées ; à savoir notre matière grise. Les idées et le progrès technique sont à la base la source principale des entrepreneurs, des chercheurs pour innover, et contribuer à la création de richesse d’un pays. Ce cercle vertueux permet de fournir la génération suivante en nouvelles idées qui contribueront à leur tour au développement économique. Ceci ne peut se faire que dans un environnement disposant d’institutions « inclusives », propices à l’accumulation du savoir faire, à la prise de risque et à l’innovation.

Donc si on envisage de freiner la croissance économique, on freine également l’être humain dans son ardeur à faire de nouvelles découvertes, à innover et entreprendre. En définitive, la croissance économique est nécessaire (quoique non suffisante) pour le développement propice d’une société. Dans l’idée du mois «Productivité : clé de la réussite économique future du Luxembourg» la Fondation IDEA avance des propositions qui permettraient au Luxembourg de renouer avec une croissance vigoureuse, harmonieuse, et soutenable. Cette publication conseillait notamment une amélioration du contexte institutionnel, un meilleur développement du capital humain et un cadre propice pour le développement des activités entrepreneuriales et R&D[3]– des mesures permettant de faire évoluer l’économie luxembourgeoise sans pour autant compromettre la capacité des générations futures à faire face à leurs propres besoins.


[1] 2,6% pour 2014 et 2,7% pour 2015 (DG ECFIN)

[2] Le modèle de Solow se fonde sur l’hypothèse que les facteurs de production (travail, capital) connaissent séparément des rendements décroissants. Ainsi, l’économie atteindra un stade où l’économie ne peut plus progresser. Selon Solow, une telle situation est utopiste, en raison du progrès technique faisant progresser la productivité des facteurs.

[3] Source: http://www.fondation-idea.lu/2014/06/04/396-2/