Restriction du crédit malgré les actions de la BCE : erreur de diagnostic ?

Actuellement, la Banque centrale européenne (BCE) inonde les marchés avec de l’argent, pourtant les banques, c’est l’avis de nombreux commentateurs, ne le font passer qu’avec peine aux entreprises et particuliers. Comment s’explique cette situation qui s’apparente à une restriction du crédit?

Si la zone euro est « techniquement » en sortie de crise, elle n’est pas encore totalement tirée d’affaire. Pour accompagner la sortie de crise, la BCE, dont l’objectif principal est la stabilité des prix (c’est-à-dire contenant l’inflation à un niveau proche de 2%, pas 0%), a récemment annoncé un train de mesures afin de stimuler l’offre de crédit émanant des établissements de crédit et empêcher une spirale déflationniste dans la zone euro. Il y a pourtant tout lieu de craindre que ces mesures s’avèrent in fine inefficaces.

Selon un récent ouvrage , aux Etats-Unis, où la crise bancaire était déjà terminée en 2009, ce ne serait pas à cause des banques que la récession américaine a duré aussi longtemps, mais à cause de l’absence de demande de nouveaux prêts. Ce qui a été considéré comme un « credit crunch » dû à la situation des banques, était en réalité un refus du secteur privé de s’endetter à nouveau ; et ce serait ce « deleveraging » qui expliquerait la persistance dans le temps de la crise aux USA.

Ainsi, ce serait les entreprises, ne sachant pas comment investir l’argent du fait de la faiblesse de la demande effective, n’étaient pas « demandeuses » de nouveaux crédits. Ce résultat obtenu pour les Etats-Unis est il aussi robuste pour la zone euro ?

Jusqu’à présent, les gouvernements et les Banques centrales ont toujours présumé et argumenté que la situation était exactement l’inverse : ce sont les « mauvaises banques » qui n’accordent pas de crédit aux « bonnes petites et moyennes entreprises ». En conséquence, les politiciens et les Banques centrales essayent de donner davantage d’incitations aux établissements financiers à accorder des crédits. Cette mentalité s’est encore reflétée la semaine dernière lorsque la BCE a annoncé à nouveau une baisse des taux d’intérêt. En baissant ses taux, elle espère pousser les banques inondées avec de l’argent bon marché à prêter davantage aux entreprises et ménages, afin d’encourager la croissance à travers l’investissement et la consommation. En effet, les banques vont être désormais contraintes de payer pour stocker leur argent auprès de la BCE. En outre, la BCE a décidé de mener une série d’opérations ciblées de refinancement à long terme (Targeted Long Term Refinancing Operations, T-LTRO) en vue d’encourager le crédit aux sociétés non financières ainsi qu’aux ménages. Ces T-LTRO ont été conçues pour faire en sorte que les liquidités soient utilisées en vue de financer le secteur privé et non, comme ce fut le cas pour les LTRO spéciales à 3 ans de 2011 et 2012, pour acheter des titres souverains. Grâce à leur coût très faible, à leur durée (jusqu’à 4 ans) et à leur ciblage (ménages et entreprises non financières), ces mesures pourraient être extrêmement utiles pour améliorer l’octroi de crédits ; à moins que le problème majeur soit le faible appétit des agents économiques pour de nouveaux crédits.

En Espagne, Irlande, Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, il y a eu des bulles des prix de l’immobilier, comme aux Etats-Unis. En Italie et en Grèce, les dettes nationales sont extrêmement élevées et au Portugal, l’Etat et le secteur privé sont désespérément surendettés. Ainsi dans presque tous les pays européens une des priorités des agents économiques est la réduction de la dette. Les statistiques des Banques centrales montrent d’ailleurs que les crédits octroyés sont en train de régresser ; le recul du niveau des dettes privées ayant été plus prononcé aux Etats-Unis que dans la plupart des pays européens, il n’est par conséquent pas exclu, que vu les faibles perspectives de croissance, les agents continuent de vouloir se désendetter.

Au Luxembourg, la situation est plus détendue et ce sont surtout les pays du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) où le problème (surendettement excessif de tous les agents économiques) est plus aigu. Etant donné que finalement tous portent indirectement responsabilité de toutes les dettes, le problème des pays du Sud est également un problème du Luxembourg. Admettant que c’est vraiment le niveau faible de demande de crédit qui est à la base de la restriction de crédits, un assainissement des bilans des banques n’apportera cependant que très peu. Dans ces pays, l’économie est tellement mal en point que chacun essaie de réduire ses dettes autant que possible – toute personne qui pense ainsi (à se désendetter), ne s’intéresse pas aux crédits bon marché.

De nos jours, tous les acteurs (gouvernements, entreprises, ménages) cherchent à se désendetter en Europe. Le problème est que cette stratégie, quand elle se généralise à une part très importante de l’économie, devient fortement contre-productive : quand tout le monde cherche à se désendetter en même temps, la demande globale recule, les prix baissent davantage et la valeur réelle des dettes augmente .

Dans le contexte européen actuel (faible demande de crédit émanant des ménages et des entreprises et non pas restriction en provenance des banques), le « coup de pouce monétaire » apporté par la BCE risque d’être contre-productif. D’un côté, les T-LTRO risquent de ne pas attirer foule vu le manque de demande correspondante (puisque l’immobilier, les matières premières, et les dettes d’Etats en sont exclus), et d’un autre côté, l’argent emprunté auprès de la BCE dans les opérations de refinancement classiques risquent de continuer à soutenir les dettes publiques périphériques (les taux espagnols et italiens ont d’ailleurs beaucoup baissé après la réunion de la BCE du 5 juin dernier). Selon la maxime consacrée, « il faut de bonnes politiques économiques qui combattent le chômage, favorisent l’activité, assurent la compétitivité pour faire une bonne politique monétaire ». La zone euro en est là, et la politique monétaire ne sera pleinement efficace et ne fera repartir le crédit, que si les conditions propices aux nouveaux investissements et aux nouvelles demandes de crédits sont réunies, à savoir celles qui permettent, enfin, à la zone euro de renouer avec des perspectives de croissance solide.


[1] La BCE a décidé de baisser le taux directeur à 0,15%, le taux de prêt marginal à 0,40% et le taux de dépôt à – 0,10 % ainsi elle a annoncé que l’octroi illimité de liquidités à court terme pour les banques va être prolongé, au minimum jusqu’en décembre 2016 et qu’elle allait conduire une série d’opérations ciblées de refinancement à long terme (T-LTRO).

[2] Atif, Mian & Amir, Sufi, 2014: House of Debt: How They (and You) Caused the Great Recession, and How We Can Prevent It from Happening Again, University Of Chicago Press.

[3] En % du PIB ou du prix des actifs détenus.

Cracking down on tax havens

The European Summit in March 2014, was one of the major economic turning points in Luxembourg’s banking history. This date, Luxembourg and Austria agreed on backing the EU intentions on rising tax transparency, hence heralding the end of Luxembourg’s banking secrecy. This decision comes as no surprise. The banking industry anticipated this situation and had been preparing the loss of the banking secrecy already years before. Luxembourg had anyway been cooperative, especially when it came to tax frauds or illicit affairs. Moreover, the country ratified 70 double taxation conventions with other fellow member states. However, the most recent development will not be a painless procedure as smaller banks who are mostly dependent of the private banking sector are about to shut down their activities. How did it come to this situation?

Leaders of major developed economies have repeatedly pledged to crack down on so-called “tax havens” since the outbreak of the financial crisis in 2008. The intense pressure of rising public deficits was often the common ground of fear to initiate joint action on a supranational level in the pursuit of hunting down the “missing” wealth which is still continuously slipping past into tax havens. For most major economies targeting e.g. the wealth of the so called high net worth individuals (HNWI) is a welcoming source of revenue and even a popular measure for democratic elected politicians.

Despite the fact that in recent years, countries are joining forces for the sake of developing mutual standards of transparency and exchange of information, the act of signing and the implementation of the agreements have rather followed a sequential pattern and were focused only on a few countries.

The sequential implementation of agreements – or in other words, the fact that most of the agreements were not made simultaneously – was the main focus of Prof. Kai Konrad’s presentation “Strategic Aspects in the Fight against Tax Havens”[1] during the last CREA Conference Talk on “Tax competition and Public Finance”[2]. Largely based on his paper “Fighting multiple tax havens”[3], Konrad develops a game theoretical framework about the interactions between various tax havens by taking into account external pressure that actually arose from supranational organisations such as the OECD or the European Union. The sequential nature of deactivating tax havens may have proven to be successful at the initial phase, however this approach will change the nature of competition among tax havens that still remain active. In general the capital held by HNWI is highly mobile, so anyway they will always find ways to place their wealth under the most appealing conditions. As competition among “tax havens” will relax and the market changes to a more oligopolistic setting with high monopoly rents, the remaining tax havens continue to accumulate wealth, thus becoming even more reluctant on giving up their business model.

The author even goes as far that the sequential approach and further strengthening of the remaining players would generate a greater welfare loss among “non-tax haven” economies than in a situation with a large number of tax havens. Tax revenues will still remain low among non-haven countries, however fees on the sheltered capital become even higher (due to the higher monopoly rents), and the owners have to relinquish a larger share of their returns on capital.

The final point of his presentation was quite interesting, as Konrad predicts an equilibrium with two global tax havens. One sheltered by the United States (Delaware?) and another by China (Hongkong), two countries towards fellow member states wouldn’t even think to impose sanctions. One may still imagine a so-called tax haven in the Middle East (oil rich countries) to emerge by then, however this might depend on the evolution of the energy market and the reliability of alternative energy sources.

As Luxembourg already exited the “game”, private banking clients (mostly with lower levels of “wealth”) have been progressively drawing back their funds, so now efforts are initiated to attract HNWI clients to Luxembourg. In order to succeed in this operation, the financial centre has to promote its main assets and bring forward its long tradition of financial expertise and extensive knowledge of the needs of an international clientele. However, the success of this initiative depends as well on how the supranational institutions proceed in cracking down the tax havens that are left over. The sequential procedure as advanced by Konrad may be proven as inefficient as it diminishes competition gradually, hence reinforcing the position of the few tax havens that are left over. It will be difficult for Luxembourg to compete for HNWI in such an environment, as HNWI will always ensure that their wealth will find the most attractive home. And by taking out tax havens sequentially, the remaining tax havens will ever become more reluctant in giving up their status. If it comes to fighting tax havens, as mentioned by Konrad, a coordinated “big-bang” policy initiative forging a simultaneous multilateral agreement between all participants is probably the most appropriate measure to be taken as welfare losses in such an environment are less pronounced.


[1] This contribution does not aim at holding a debate on the meaning of a tax haven. It simply replicates the vocabulary as used by the speaker.

[2] 4th CREA Conference Talk on Economics – “Tax Competition and Public Policy, 20 June 2014

[3] Elsayyad, May & Konrad, Kai A., 2012. “Fighting Multiple Tax Havens,” Munich Reprints in Economics 13964, University of Munich, Department of Economics.

Idée du mois n°2 – Productivité: clé de la réussite économique future du Luxembourg

S’il est vrai que la reprise économique s’installe au Luxembourg et que les perspectives de croissance à moyen terme sont bien orientées, les défis que doivent surmonter l’économie du Grand-Duché demeurent. Parmi ces défis, il y a celui de la productivité, qui si elle demeure élevée, a fortement reculé depuis 2008. Sans des politiques économiques à la hauteur de l’enjeu, les gains de productivité à long terme risquent d’être modérés. Cette Idée du mois, après avoir exposé le concept de productivité et présenté son évolution au Luxembourg, fournit 3 propositions (améliorer le contexte institutionnel, développer le capital humain, développer les activités entrepreneuriales et de R&D) qui permettraient de stimuler à long terme la productivité.

Et si on agissait sur … pour améliorer la productivité au Luxembourg ?