Alors qu’un large mouvement de contestation déferle actuellement sur la France, avec pour déclencheur apparent le renchérissement du prix des carburants, nous avons examiné l’évolution des prix à la pompe de l’essence et du diesel routier au Luxembourg – certes un cas particulier à de nombreux égards. A première vue, le renchérissement des prix en question ne souffre aucun doute. Ainsi, au Grand-Duché le litre de gasoil routier coûtait à la pompe 1,162 euros à la mi-novembre 2018, contre à peine plus d’un euro un an plus tôt et environ 50 cents en moyenne en 1995.

Une analyse plus fine montre cependant qu’il convient d’aller (bien) au-delà de ces premiers chiffres : au moins trois facteurs additionnels doivent être pris en compte.

En premier lieu, les prix à la pompe sont gonflés par le phénomène général de l’inflation. Lorsqu’ils sont corrigés de cette dernière (« déflatés », en jargon économique), les carburants manifestent certes toujours une sensible tendance au renchérissement depuis 1995, mais elle paraît déjà nettement plus tempérée. De 1995 à 2018 (moyenne depuis le début de l’année) et de manière cumulée, les prix des carburants auraient en effet progressé de 36% au-delà de l’inflation générale. Ce serait +31% pour la super sans plomb 95 octane, +34% pour la 98 octane et +44% pour le gasoil routier. Cependant, cette hausse est tout sauf récente. Les prix réels des carburants ont généralement culminé en 2012 et depuis lors ils ont en moyenne diminué de 17% – et même de 19% pour le diesel. Toujours en termes réels, les carburants ne sont pas plus onéreux actuellement qu’en 2005.

Graphique : Evolution des prix réels liés à l’utilisation de véhicules personnels

(indices 1995 = 100 ; prix déflatés par l’indice des prix à la consommation national)

Sources : STATEC et calculs IDEA.

Le poids important des accises (même au Luxembourg…) a contribué à tempérer l’évolution des prix à la pompe. A contrario, le prix du mazout, où les accises jouent un rôle beaucoup plus réduit et qui reflète par conséquent davantage les soubresauts des cours pétroliers, a plus que doublé même en termes réels (+120% pour les prix hors inflation du gasoil de chauffage de 1995 à 2018).

Deuxième élément à considérer : d’autres postes liés aux véhicules individuels que les carburants ont connu une évolution nettement plus favorable. C’est le cas de la composante « automobile » de l’indice des prix à la consommation du STATEC, avec un prix réel moyen en recul de 16% depuis 1995. L’évolution est plus marquante encore pour les « pièces détachées et accessoires », qui ont vu leur prix réel diminuer de quelque 45% de 1995 à 2018. Dans le même temps, les entretiens et réparations (de même que les autres services aux automobilistes) ont certes vu leurs prix augmenter. Compte tenu des poids respectifs dans le « panier de la ménagère », toutes ces évolutions se sont mutuellement neutralisées de 1995 à 2018 de sorte que globalement parlant, conduire ne coûterait plus cher aujourd’hui que voilà un peu plus de 20 ans.

Enfin et en troisième lieu, les véhicules tendent à moins consommer actuellement que voilà vingt ou trente ans. Selon le Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA)[1], la consommation moyenne des voitures à essence en France serait ainsi passée de 8,68 litres au 100 en 1990 à 7,31 en 2017 (-16%). Il se pourrait certes qu’en parallèle, les distances annuelles parcourues ou la puissance des véhicules tendent à progresser avec l’augmentation graduelle du pouvoir d’achat (les données du CCFA sont assez mitigées de ce point de vue. Elles indiquent par exemple pour la France une stabilité globale des distances parcourues depuis 1990. Au Luxembourg, les embouteillages croissants pourraient certes induire une augmentation « autonome » de la consommation…).

Ces évolutions en sens divers (prix des carburants, des autres postes liées aux automobiles, de la consommation moyenne et des kilomètres parcourus) peuvent être résumées par un simple indicateur, à savoir la part de la consommation finale des ménages affectée aux carburants et plus largement à la conduite automobile (achats et utilisation des véhicules personnels). Cette donnée permet d’intégrer une variable additionnelle d’importance, à savoir l’évolution du revenu disponible des ménages (à travers leur consommation totale). Or en 2017, cette part s’établissait selon le STATEC à 13,7%. Contre 14,4% en 1995. Toujours ce constat d’une stabilité d’ensemble…


[1] Voir L’industrie automobile française – Analyse et statistiques 2018, Comité des Constructeurs Français d’Automobiles, https://ccfa.fr/wp-content/uploads/2018/09/analyse_statistiques_2018_fr.pdf.

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