Ce blog a été rédigé pour le numéro de janvier/février d’Entreprises magazine.

A l’évocation des mutations du travail, l’invocation de la « formation » est devenue (quasi) machinale. Telle une panacée, elle aurait acquis « un statut de médecine universelle permettant à la fois d’insérer systématiquement dans le monde du travail les personnes qui en sont le plus éloignées et d’offrir des perspectives de promotion sociale à tous les salariés ». Aussi, le Luxembourg a créé un cadre favorable au développement de la formation professionnelle continue (incitants financiers (1999) ; congé individuel de formation (2003), congé linguistique pour l’apprentissage du luxembourgeois (2009)…). Mais son essor, bien que soutenu, est loin d’être uniforme.

FPC : de quoi parle-t-on ?

La formation professionnelle continue (FPC) est « un dispositif qui permet d’acquérir, de maintenir et d’étendre des connaissances et aptitudes professionnelles, de les adapter aux exigences sociales et technologiques ou d’obtenir une promotion professionnelle »[1]. Acteurs majeurs du dispositif, les entreprises luxembourgeoises peuvent obtenir une participation financière de l’État depuis 1999[2]. En 2015, le coût total des cours était estimé à 320 millions d’euros (+30% par rapport à 2010) avec une participation étatique de près de 40 millions d’euros (+60%) qui bénéficie à des entreprises rassemblant 57,1% de l’ensemble des salariés du secteur privé (Observatoire de la Formation).

Luxembourg, un bon formateur ?

Un constat préalable : le Luxembourg est, derrière la Suisse (13%) et l’Allemagne (21%), le pays de l’OCDE où la part des travailleurs occupant un emploi dans un secteur sans lien avec leur domaine d’études est la plus faible (23%). Un second constat : l’accès à la formation professionnelle continue progresse, partout. Au niveau européen, la part des salariés ayant bénéficié d’une formation payée par leur employeur est passée de 26% à 39% et de 37% à 49% au Luxembourg en 10 ans[3]. En 2015, 77% des entreprises d’au moins 10 salariés y ont ainsi offert des formations, contre 71% en 2010 (CVTS).

Quelles entreprises ? La taille et le secteur comptent.

A y regarder dans le détail, le tableau ne s’avère pas uniformément aussi flatteur.

Si la FPC progresse dans les entreprises de taille moyenne (50 à 249 salariés) où 62% des salariés ont participé à des cours en 2015, elle reste l’apanage des « grandes » (plus de 250 salariés) (graphique 2).

La répartition sectorielle des entreprises « formatrices » d’au moins 10 salariés est également instructive : 36% des salariés du secteur de la construction avaient bénéficié d’une formation contre 76% dans les services financiers et autres[4] . Outre des divergences sectorielles, certaines données suggèrent un accès inégal entre salariés d’un même secteur (graphique 1).

Enfin, les données du cofinancement public nous apprennent que les entreprises du secteur financier et assurances, où les diplômés du supérieur sont les plus représentés (52,3%[5]), sont à la fois les mieux couvertes (20,4% des entreprises et 81,4% de l’effectif salarié du secteur) et les principales bénéficiaires (25% des dépenses publiques).

Part des entreprises Part dans l’emploi Distribution de l’aide de l’Etat
1000 et + 0,8% 31% 37,8%
250 à 999 29,2%
50 à 249 3,6% 25,4% 23,1%
10 à 49 17,1% 24,8% 8,2%
1 à 9 78,6% 18,7% 1,5%
Sources : STATEC ; Observatoire de la Formation

La récente réforme des aides à la formation professionnelle continue[6], avec l’abaissement du taux de cofinancement public de 20 à 15%[7] et le plafonnement de l’investissement en fonction de la masse salariale, en faveur des microentreprises, ambitionne de corriger ces biais de « taille ».

FPC = Formation Pour Cadre ?

Qui a accès à la formation ? Tout le monde ! Mais selon de récentes données de l’Observatoire de la Formation, les salariés seniors et non qualifiés suivent respectivement 2 et 3 fois moins de formations que les cadres et dirigeants. Ainsi, les non qualifiés représentent 13% de l’effectif salarié mais 6% des formés, le plus grand écart se situant entre les femmes dirigeantes et les femmes non qualifiées qui bénéficient de 5 fois moins de formations par an. Vous avez dit « médecine universelle » ?

Il est frappant, à défaut de surprenant, de noter que les plus diplômés bénéficient et font valoir leur droit à la « diplomation à vie » quand les salariés les moins armés, occupant les emplois les moins qualifiés et les moins sécurisés semblent mis au ban plus que sur les bancs. Or, il ressort d’un rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) français, où, précisons-le, l’écueil de la « fin de l’emploi » est évité, que si moins de 10% des emplois seraient à risque face aux mutations technologiques, près de 20% d’emplois manuels et peu qualifiés seraient exposés (ouvriers non qualifiés, agents d’entretien, caissiers…). Par ailleurs, face à l’évolution des technologies ou de la nature du travail, et compte tenu de la hausse tendancielle de la proportion de seniors dans l’emploi total, leurs besoins en formation pourraient devenir patents.

Ainsi, la réforme déjà mentionnée vise également à améliorer l’accès de ces publics plus fragiles à la formation professionnelle continue (cofinancement des formations dispensées à des salariés en CDD de moins de 18 mois (jusqu’alors exclus) ; contribution publique pour les non diplômés en poste depuis moins de 10 ans et pour les seniors majorée de 20 pp). Si la volonté affichée d’un meilleur ciblage est à saluer, ces conditions, aussi avantageuses soient-elles, supposent que les employeurs aient une « vision » pour ces salariés opérationnels et qu’ils puissent leur libérer du temps de travail mais aussi qu’une offre de formation adaptée existe. Or on relève un risque potentiel de « saupoudrage » : les salariés participent à plus de formations mais elles durent moins longtemps. Mais pour s’ « adapter aux exigences sociales et technologiques » de demain, les moins qualifiés pourraient nécessiter des formations plus ciblées, plus longues et par conséquent plus coûteuses[8]. En la matière, la formation et l’insertion des personnes sans emploi a, elle, été musclée avec des résultats probants[9].

Se former à quoi ?

L’immense majorité des entreprises forme son personnel à acquérir des compétences « métiers » étroitement liées aux responsabilités et fonctions exercées (75% des cours et 62% des compétences jugées importantes pour l’avenir), plus qu’à des besoins « futurs » (graphique 4).

Sur l’acquisition de compétences en informatique, l’Observatoire de la formation relève qu’elle concerne 2% des formations dispensées aux salariés non qualifiés et 8% aux cadres. Or les besoins en personnels formés aux sciences et techniques devraient s’accroître[10], dans un contexte relativement tendu. La part relative des élèves sortant de l’enseignement secondaire général avec un diplôme à « dominante scientifique » est en baisse, 11% d’étudiants suivent un parcours ingénieur (contre 15,8% en UE) et le taux d’étudiants formés en « Science, Technology, Engineering, Mathematics » est parmi les plus faibles d’Europe. Par ailleurs, le manque de main-d’œuvre qualifiée et les difficultés de recrutement sont considérés comme des freins au développement des entreprises.

Si la formation professionnelle continue n’a pas vocation à former des spécialistes ni à corriger des inadéquations entre système éducatif et marché du travail, elle peut résolument contribuer à améliorer les compétences professionnelles digitales des salariés – notamment les plus fragiles et les plus âgés.

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En complément du « quoi » se pose alors la question du « comment », notamment de la place du numérique dans l’acquisition de savoirs, son utilisation restant faible[11]. Son développement présente des avantages pour les PME comme pour les salariés en termes de coût et d’organisation du temps mais nécessite d’acquérir une place à part entière afin de tenir compte de la charge de travail représentée par des formations non présentielles.

Pour conclure, en matière de formation, limiter les effets de « désirabilité sociale » et d’aubaine, confinant à « former pour former », est nécessaire. De ce point de vue, les effets de la réforme ne seront observables qu’à compter de 2019 mais ne suffiront probablement pas à renforcer massivement l’accès à la société de la connaissance et la capacité à s’y adapter. Il conviendra alors d’analyser l’évolution de la part des bénéficiaires parmi les publics cibles prioritaires, la progression des dépenses en formation des entreprises de moins de 10 salariés mais aussi l’éventuelle baisse de celles des autres entreprises face à la baisse du cofinancement public. Pour s’assurer que le remède ne soit pas pire que le mal…

Ces constats posent, outre la question ressassée – mais primordiale – d’un accès plus égalitaire à la formation professionnelle continue (entre entreprises, secteurs et salariés), celle de la qualité de la formation et consécutivement de sa capacité à maintenir l’employabilité.

Face à ces défis, plusieurs pistes peuvent être esquissées comme par exemple les comptes individuels de formation assurant mémoire, transparence, suivi et responsabilisation (« compte formation de l’agent public » au Luxembourg, compte personnel d’activité (CPA) en France, réflexions sur un “compte personnel pour les actifs » dans le rapport « Arbeiten 4.0 » en Allemagne etc.) ; la prolongation ciblée du Congé Individuel de Formation pour des formations plus longues (CSL, OCDE) ; l’évaluation des programmes de formation, voire des subventions différenciées en fonction de leur contenu ; la fixation d’objectifs contraignants en termes de formation de salariés seniors et non qualifiés ; etc.


[1] Loi du 19 décembre 2008 portant réforme de la formation professionnelle.

En plus de la « formation professionnelle continue », il existe la formation professionnelle de base, la formation professionnelle initiale et la formation de reconversion professionnelle.

[2] Loi du 22 juin 1999 ayant pour objet le soutien et le développement de la formation professionnelle continue; la modification de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales.

[3] Elle serait passée de 49% à 62% selon la Conditional Vocational Training Survey (CVTS), conduite auprès des entreprises d’au moins 10 salariés hors agriculture, administration publique, santé et éducation tandis que l’European Working Conditions Survey (EWCS) porte sur les ménages résidents. Quoiqu’il en soit, sur 10 ans, les deux enquêtes font état d’une progression supérieure à 10 pp.

[4] D’après les données de l’Observatoire de la Formation, les inégalités d’accès varient entre les secteurs avec un rapport de 1 à 7 entre salariés non qualifiés du commerce d’une part et de la finance et assurance d’autre part.

[5] STATEC, (juillet 2013), « Niveau d’éducation de la population du Grand-Duché de Luxembourg ».

[6] La loi du 29 août 2017 portant modification du Code du Travail, en ce qui concerne le volet « Soutien et développement de la formation continue» affiche des objectifs de simplification administrative et de soutien financier plus ciblé sans freiner les investissements des entreprises dans la formation continue de leurs salariés.

[7] Depuis l’introduction du principe en 1999, ce taux a régulièrement varié (10% en 1999, 14,5% en 2002, 20% en 2012 et 15% en 2017).

[8] Pierre Cahuc, Marc Ferracci, André Zylberberg, (octobre 2011), « Formation professionnelle: pour en finir avec les réformes inabouties ».

[9] En octobre plus de 5000 personnes étaient affectées à une mesure pour l’emploi dont plus de 40% comportaient une dimension « formation ».

[10] De 22400 salariés aujourd’hui (6% emploi total), le nombre de professionnels à attirer ou former pourrait s’établir à 27300 en 2025.

[11] 19% des organismes de formation ont proposé des modules de e-learning ; pour 2% seulement, il s’agit du mode d’organisation le plus utilisé.

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