A en croire Sénèque, « un bien n’est agréable que si on le partage ». Cet adage résonne particulièrement à l’heure où l’économie du partage est aussi médiatiquement promue ou crainte qu’économiquement balbutiante. Explorant ces pratiques qui suscitent engouement et controverses, IDEA a élaboré une série de 4 contributions, intitulée « Monde du partage ou partage du monde ? ». Elles offrent plusieurs angles de vue sur la réalité de l’économie du partage au Luxembourg dont le deuxième volet sera celui du crowdfunding : « Bière qui mousse amasse la foule » (Claude Frisoni).

Si 4% des Français pensent que les FinTech pourraient désigner un appareil de Fitness (Deloitte – 2017), le crowdfunding, qui signifie littéralement « financement par la foule » est, quant à lui, une pratique ignorée de près de 40% des résidents luxembourgeois (TNS Ilres – 2017). En espérant que vous ne soyez pas de ceux-là pour la suite de l’article.

De l’importance de la proximité

Inutile de chercher, le Royaume-Uni en est le champion incontesté en Europe (143 plateformes sur 510 hébergées, plus de 70% des projets y sont localisés et 90% du total des capitaux levés, soit 1,8 sur 2 milliards). Suite à l’attentat de Manchester, des campagnes de crowdfunding ont d’ailleurs été lancées pour soutenir les familles des victimes et les SDF qui leur ont porté secours.

Si la générosité internationale est ici sollicitée, « l’ancrage local » d’un projet semble être un déterminant du succès des campagnes de financement. Ainsi, les projets transfrontaliers, c’est-à-dire réalisés ailleurs que là où est hébergée la plateforme, représentent moins de 8% des montants levés. De ce point de vue quantitatif, le Grand-duché n’est sans doute pas le mieux armé. L’historique du crowdfunding peut s’y résumer en quelques chiffres dont chacun appréciera le poids à l’aune de ses propres référentiels :

  • 46 campagnes financées, (et 81 n’ayant pas atteint l’objectif fixé),
  • pour un montant de 3 400 000 euros,
  • avec 17% de la population résidente ayant déjà financé un projet (Crowdsurfer et TNS Ilres).

D’ailleurs, deux plateformes de financement luxembourgeoises, offrant des récompenses symboliques (le produit ou le service financé), furent lancées en 2010 et 2014 mais n’ont pu se pérenniser faute, sans doute, d’attirer suffisamment d’adeptes pour porter comme financer les projets.

Par le peuple, pour le peuple ?

Mais de même que la taille n’augure pas de l’esprit, balbutiant ne signifie pas absent : en 2013, l’Artbook tiré du film d’animation franco-luxembourgeois Mr Hublot, couronné aux Oscars, a pu être financé à hauteur de 11.990 euros par 221 contributeurs (lorsque l’objectif était de 7000 euros) via une plateforme de crowdfunding.

Très récemment, des projets de financement participatif immobilier ont rencontré un succès fulgurant avec des promesses de retours très élevés pour l’investisseur (8% par an sur 28 mois), donc un coût important pour le porteur de projet, et des tickets d’entrée tout aussi « faramineux » (200 000 euros) – rétrécissant substantiellement la taille de la « foule ».

Une forme alternative d’intermédiation financière ? Pas si sûr…

Si le crowdfunding ne s’est pas taillé la part du lion (à peine a-t-il entamé la cerise sur le gâteau), cet effort de financement collectif de projets pourrait s’avérer un préalable autant qu’un complément aux institutions traditionnelles en permettant de tester le « produit » et de convaincre une future clientèle déjà bien acquise. Par ailleurs, il affiche ici et là des réussites qui n’auraient, peut-être, pas pu être financées autrement que par ce biais – certaines études tendant à montrer que « la foule » (vous) saurait se montrer plus audacieuse que « les experts » (les investisseurs avertis)[1].

Au Luxembourg plus spécifiquement, les raisons du bas vol peuvent être démographiques (« faible » population), culturelles (aversion au risque, esprit d’entreprise languissant, préférence pour le don et le mécénat « traditionnels ») comme financières (accès au financement ouvert, préférence pour des actifs sûrs). Pourtant, si les prêts comme les prises de participation participatifs ne sont pas sans risque, ils ne sont pas non plus sans attraits… ce que d’autres pays semblent avoir intégré en légiférant à l’image de la France ou de la Belgique, créant un patchwork législatif susceptible de nuire au développement d’un marché européen des capitaux d’amorçage (et, à moindre échelle, grand-régional).

Si l’on considère que les résidents gagneraient à diversifier leur épargne, à cultiver leur amour du risque et à développer leurs connaissances financières, un « crowdfunding act » peut s’avérer pertinent. Dans cette veine, le Ministre des Finances Pierre Gramegna a ouvert une brèche en évoquant notamment la possibilité d’un nouveau statut plus léger « d’intermédiaire en financement » (voir la réponse à la question parlementaire n°243 de juin 2014). Dans le domaine « éducatif », un module « montage de projet et crowdfunding » pourrait être intégré aux « entrepreneurial schools » récemment déployées. Enfin, dans le cadre de la création d’un écosystème favorable aux business-angels et au capital-risque[2], des mesures fiscales en faveur du financement participatif pourraient être étudiées à l’instar de nos voisins belges.

Dans une Union européenne bientôt amputée d’un Royaume Uni potentiellement « sans passeport », il est important de parfaire les effets d’image pour attirer… les fo(o)ules.


[1] Mollick, Ethan R. and Nanda, Ramana, Wisdom or Madness? Comparing Crowds with Expert Evaluation in Funding the Arts (August 26, 2015). Management Science, Forthcoming; Harvard Business School Working Paper No. 14-116. Available at SSRN: http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2443114

[2] Voir : Michel-Edouard RUBEN, (septembre 2016), Document de travail : « Productivité : tellement de désaccords (En fait non, pas tant que cela !) », p 18-19.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *