Série réforme fiscale (3/5) – Très cher emploi ?

Les contours de la réforme fiscale 2017, grand chantier de ce Gouvernement, ont été dessinés le 29 février, affinés le 21 avril, adoptés par le Conseil de gouvernement le 13 juillet avant d’être prochainement discutés à la Chambre des députés, et expliqués, jusqu’à fin septembre, par le Ministère des Finances, avec l’Administration des contributions directes, aux contribuables soucieux de connaître leur traitement fiscal futur. Un moment opportun pour IDEA de revenir sur les implications de cette réforme en matière de logement, de pensions, de marché du travail et d’innovation. Soit autant de défis à adresser et de recommandations à formuler.

« Le travail c’est la santé » chantait Henri Salvador et les chiffres lui donnent raison[1], puisque les chômeurs déclarent 2 fois plus fréquemment un « mauvais état de santé » que ceux en emploi. Le travail est par ailleurs un solide rempart contre le divorce des adultes, contre les difficultés scolaires des enfants et contre la pauvreté. Ainsi au Luxembourg, « seulement » 40% des chômeurs sont indemnisés, et le taux de risque de pauvreté est de 50% pour les demandeurs d’emploi, contre 11% pour ceux qui ont un emploi. Dès lors, une réforme fiscale qui se veut « un outil d’équité cherchant, notamment, à répondre aux défis actuels sur le plan social » devrait  (logiquement) chercher à favoriser la création d’emplois compte tenu des « bienfaits » susmentionnés du travail. L’emploi est cependant (relativement) absent des objectifs de la réforme, et… personne (nous inclus donc) ne s’en était vraiment ému après les présentations préliminaires du projet de réforme fiscale en février et avril 2016.

Les près de 500 millions d’euros annuels de baisse de la fiscalité en faveur des ménages permis par la suppression de l’IEBT et la modification des barèmes d’imposition ne permettront de créer (au maximum) que … 720 emplois par an selon les calculs du STATEC[2]. Sur la base d’un calcul de « coin de table », chaque emploi ainsi créé revient donc à plus d’un demi-million d’euros. Certains objecteront (peut-être) qu’il n’y a pas besoin de « coup de pouce » supplémentaire pour l’emploi dans un pays qui crée plus de 10.000 postes nets par an et qui dispose déjà d’un arsenal d’aides à l’emploi très fourni et à l’efficacité pas toujours (re)connue.

Néanmoins, parce qu’il y a plus de jeunes au chômage au Luxembourg que d’apprentis diplômés par an, parce que près de 50% des demandeurs d’emploi le sont depuis plus de 12 mois, parce que 50% des chômeurs de plus de 50 ans le sont depuis plus de 24 mois, parce que 70% des demandeurs d’emploi n’ont pas de diplôme de fin d’études secondaires, il n’est pas « insensé » de dire, malgré un taux de chômage « acceptable » de 6,5%, qu’il y a matière (et nécessité) à faire davantage.

Dès lors, l’impulsion fiscale en faveur des ménages (500 millions d’euros, dont près de la moitié ira aux frontaliers) n’aurait-elle pas été plus « utile » (pour l’équité, la cohésion sociale), si au moins une fraction avait été de préférence :

  • A l’ADEM (dont le budget de fonctionnement est de 28 millions d’euros) ?
  • Aux actions visant à doter les demandeurs d’emploi de meilleures compétences (20 millions d’euros dépensés en 2015 par le Fonds pour l’emploi)?
  • Au financement d’une politique de zéro charge ou de subventions salariales (Kombilohn) pour l’emploi d’un chômeur inscrit à l’ADEM sans condition d’âge ni de durée d’inscription afin de permettre une « montée » en puissance de l’initiative « Entreprises partenaires de l’emploi »?

[1] Voir : Partha D., Gallo W., Ayyagari P., Fletcher J., Sindelar J., (2011), « The effect of job loss on overweight and drinking » et Mesrine A., (2000), « La surmortalité des chômeurs : un effet catalyseur du chômage ? », Economie et statistique, n°334.

[2] Voir : http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/regards/2016/PDF-17-2016.pdf.

Productivité – tellement de désaccords (en fait non, pas tant que cela !)

Beaucoup d’observateurs s’inquiètent de ce que la productivité horaire du travail ait connu un ralentissement marqué depuis la crise dans l’ensemble des pays développés.

Une lecture attentive de la littérature économique montre que cette faiblesse des gains de productivité est en réalité davantage constatée qu’expliquée.

Comment œuvrer dans ce contexte d’incertitudes afin de redresser la croisance tendancielle de  la productivité au Luxembourg, faible depuis plusieurs années? En passant en revue les recommandations usuelles (investissements dans la R&D, éducation, réformes structurelles concernant le marché du travail et des produits), il semble qu’il faille les dépasser – sans pour autant les négliger – car « il n’est plus du tout garanti que les avancées technologiques et les innovations dans les processus et les modèles économiques qui en découlent se traduiront automatiquement par une amélioration des performances économiques et une plus forte croissance de la productivité », « les gains (passés) liés à la massification des études ne pourront pas être forcément reproduits à la même échelle à l’avenir », et parce que « les liens entre les réformes structurelles et la productivité sont en réalité ambigus ».

Il est par conséquent proposé dans cette publication 7 autres éléments qui pourraient venir renforcer la fonction objective des politiques en faveur de la productivité au Grand-Duché.

Le 25 octobre 2016 à 9h00, à la Chambre de Commerce (7, rue Alcide de Gasperi, Luxembourg-Kirchberg), le document de travail a été présenté lors d’une Matinale, en présence de Mme Sarah Guillou – Directrice adjointe – département innovation et concurrence de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).

Retour en images.

  • Public présent à la Matinale

  • Madame Sarah Guillou - Directrice adjointe - département innovation et concurrence de l'OFCE

  • Monsieur Marc Wagener - Directeur des affaires courantes de la Fondation IDEA asbl

  • Monsieur Michel-Edouard Ruben - Economiste auprès de la Fondation IDEA asbl

  • Monsieur Michel Wurth

  • Madame Sarah Guillou Monsieur Marc Wagener Monsieur Michel Wurth

  • Messieurs Vincent Hein Muriel Bouchet et Michel-Edouard Ruben - Economistes auprès de la Fondation IDEA asbl

Série Réforme fiscale (2/5) – Prévoyance-vieillesse : un goût de « trop peu » pour les bas revenus

Les contours de la réforme fiscale 2017, grand chantier de ce Gouvernement, ont été dessinés le 29 février, affinés le 21 avril, adoptés par le Conseil de gouvernement le 13 juillet avant d’être expliqués en septembre par le Ministère des Finances, avec l’Administration des contributions directes, aux contribuables soucieux de connaître leur traitement fiscal futur. Un moment opportun pour IDEA de revenir sur les implications de cette réforme en matière de logement, de pensions, de marché du travail et d’innovation. Soit autant de défis à adresser et de recommandations à formuler.

On ne va pas répéter ici les différents arguments relatifs à la soutenabilité à terme du système public de pension luxembourgeois. Rappelons seulement que ses perspectives semblent médiocres, même dans les rapports « officiels », même en cas de doublement de la population luxembourgeoise d’ici 2050 environ. Sous un scénario démographique moins « survolté », le taux de dépendance démographique (soit le rapport des effectifs à l’âge de la pension à la population en âge de travailler) se détériorerait davantage et en conséquence, l’équilibre financier des régimes de pension serait encore plus compromis – pour utiliser un terme empreint de pondération.

Se pose fréquemment dans ce contexte la question des « pensions complémentaires », ou plus exactement des dispositifs d’épargne visant à permettre aux particuliers de se constituer une « poire pour la soif » leur permettant de compléter leur pension légale. Ce qui pourrait s’avérer plus qu’utile en cas de limitation future des pensions publiques, par exemple. Ces pensions complémentaires peuvent revêtir plusieurs formes. Les pensions publiques étant souvent désignées sous le terme « 1er pilier », on parle du 2ème pilier pour qualifier les pensions complémentaires constituées en entreprises, qui feront l’objet d’un prochain billet d’IDEA. Enfin, le « 3ème pilier » repose sur une épargne purement individuelle constituée en vue de la pension.

La prévoyance-vieillesse est la pierre angulaire de ce dernier pilier. Ce dispositif est appliqué dans sa forme actuelle depuis l’année d’imposition 2002. Les particuliers qui souscrivent à un contrat de prévoyance-vieillesse auprès d’une banque ou d’une compagnie d’assurance investissent chaque année un montant donné, sous la forme de placements financiers encadrés par la loi. Les montants en question peuvent être déduits du revenu imposable, l’avantage étant dès lors proportionnel au taux marginal d’imposition. La déduction ne peut cependant excéder un plafond donné. Avant la réforme fiscale, ce plafond de déduction fiscale maximale dépendait de l’âge accompli du souscripteur au début de l’année d’imposition. Ainsi, il se montait à 1 500 euros par an pour une personne de moins de 40 ans et augmentait graduellement pour les âges ultérieurs, avant de plafonner à 3 200 euros pour les souscripteurs âgés de 55 à 74 ans.

A l’échéance du contrat, par exemple à l’âge de 60 ans, le souscripteur doit sortir soit intégralement sous la forme d’une rente viagère, soit avec une moitié en capital et une moitié en rente viagère. La rente mensuelle sera taxée au demi taux global, tandis que la moitié du capital perçu sera imposée au taux normal (l’autre moitié étant exemptée).

La réforme fiscale prévoit un double renforcement de la prévoyance-vieillesse :

  • Les plafonds déductibles ne sont plus fonction de l’âge : ils s’établiraient désormais uniformément à 3 200 euros. Le plafond est donc nettement rehaussé pour les plus jeunes souscripteurs. Ainsi, il passe de 1 500 à 3 200 euros pour une personne de moins de 40 ans.
  • Le mode de sortie sera plus flexible : le souscripteur pourra opter pour une sortie en capital uniquement, pour une rente viagère mensuelle uniquement, ou pour une combinaison des deux.

Si la prévoyance-vieillesse sort renforcée et devrait désormais davantage inciter les jeunes à souscrire, un problème préoccupant subsiste même après la réforme fiscale, à savoir le fait que la prévoyance-vieillesse est assez peu « rémunératrice » pour le segment le moins favorisé de la population. Le tableau ci-dessous permet de visualiser la situation « après réforme ». Sont considérés, afin d’éviter une complexité inutile, uniquement des souscripteurs relevant de la classe d’imposition 1, sans enfant et ne différant que par le niveau de leur revenu imposable ajusté. Il est par ailleurs supposé que les souscripteurs sortiront exclusivement en capital (ce qui, pour rappel, deviendra possible après l’entrée en vigueur de la réforme fiscale), 20 années après le versement considéré au tableau. Il peut par exemple s’agir d’un versement intercalaire[1], versé au milieu d’un contrat de 40 ans couvrant l’ensemble d’une carrière.

Après ces 20 ans, ils sont censés disposer de revenus imposables plus élevés que lors du versement, après une hausse réelle de leurs revenus de l’ordre de 2% l’an par hypothèse (qui reflète l’effet sur leurs rémunérations de l’avancement de leur carrière et de la hausse générale des revenus). Toujours afin d’éviter une complexité excessive, les calculs sont effectués dans un univers sans inflation et à taux d’intérêt nuls (un monde qui ressemble furieusement au nôtre, au demeurant…).

Tableau : Avantage fiscal net en « cycle de vie » d’un versement prévoyance-vieillesse, En euros et en %

Muriel

Sources : Administration des contributions directes, calculs IDEA.

Notes : taux marginal calculé en pondérant les différents taux couverts par la déduction de 3 200 euros (par exemple, trois tranches marginales sont concernées pour le revenu de 20 000 euros) ; taux de taxation intégrant l’impôt de solidarité « Fonds pour l’emploi ».

Le tableau se concentre sur le « sort fiscal » d’une tranche donnée de 3 200 euros investie dans le cadre de la prévoyance-vieillesse (montant maximal déductible). A ce versement correspondra un avantage fiscal immédiat, découlant de la déduction au taux marginal et figurant dans la colonne (4) du tableau. Cet avantage sera cependant à terme contrebalancé par la taxation à la sortie du capital, imposé à la moitié du taux global. La taxation à la sortie, qui par hypothèse s’effectuera 20 ans après le versement intercalaire des 3 200 euros considérés au tableau, est affichée à la colonne (5) du tableau. L’avantage fiscal net résultant de la différence de ces deux grandeurs figure à l’avant-dernière colonne et il est exprimé en pourcentages du versement initial, à la dernière colonne.

La conclusion qui se dégage du tableau est claire : compte tenu de la taxation du capital à la sortie et de la déduction de la prime au taux marginal de taxation, forcément réduit pour des titulaires de bas revenus, le « coup de pouce fiscal » de l’Etat ne représente pour ces derniers que 8% du versement initial de 3 200 euros, alors que le taux correspondant atteindrait plus du triple (!) à partir d’un revenu imposable de 50 000 euros. Alors même que les « bas revenus » auraient davantage besoin d’un revenu complémentaire lors de leurs vieux jours, afin de s’assurer un revenu décent. Sans compter l’importance que représente pour eux, relativement à leur revenu, un effort de 3 200 euros.

Le décalage est plus flagrant encore lorsqu’il est exprimé en termes absolus et sur l’ensemble de la période de contribution. Un individu (toujours de la classe 1 et sans enfant) ayant un revenu imposable de 20 000 euros lors du versement intercalaire et contribuant à la prévoyance-vieillesse à raison de 3 200 euros par an pendant 40 ans bénéficiera, sur l’ensemble de sa vie[2], d’un avantage fiscal net de l’ordre de 11 000 euros[3]. Un souscripteur semblable, à ceci près qu’il dispose d’un revenu imposable initial de 100 000 euros, profitera d’un gain fiscal net total plus élevé, de 30 000 euros environ. Tout cela, répétons-le, pour une contribution identique en termes absolus et sachant que cette dernière est bien entendu plus difficile à dégager pour le titulaire d’un revenu modeste. Qui ne bénéficiera par ailleurs que de faibles incitants fiscaux sur ses premières primes, ce qui pourrait d’entrée de jeu le dissuader de signer un contrat de prévoyance-vieillesse…

Les correctifs possibles sont multiples, le plus simple étant la transformation de l’actuel abattement au taux marginal en un crédit d’impôt « prévoyance-vieillesse », égal à la moitié du versement annuel, par exemple. Pour les revenus les plus élevés et pour une contribution maximal de 3 200 euros, ce crédit d’impôt serait plus ou moins en ligne avec le montant de l’avantage fiscal « immédiat » de la déduction, figurant à la colonne (4)). Pourrait s’ajouter à une telle mesure un recalibrage de la taxation à la sortie. Après tout, un particulier se constituant une épargne personnelle ne doit pas forcément supporter une taxe sur le patrimoine résultant de cette épargne[4], qui sera de toute façon consommée et donc taxée.

En conclusion, la réforme fiscale comporte des avancées intéressantes en termes de prévoyance-vieillesse. On peut cependant légitimement regretter que cette réforme ne constitue pas une opportunité de « redressement » d’une anomalie de longue date, à savoir l’inégalité des souscripteurs devant l’avantage fiscal net.


[1] Donc plus représentatif qu’un versement effectué soit tout au début, soit tout à la fin de la période de versement de primes. Le traitement fiscal de ces dernières varie en effet au fil du temps, dans la mesure où le taux marginal d’imposition augmente en fonction du revenu.

[2] Toujours dans notre monde sans inflation et sans intérêts.

[3] En supposant que les 262 euros d’avantage fiscal net sont représentatifs de l’ensemble de la période de versement des primes. C’est en grande partie le cas, le versement considéré au tableau étant censé être intercalaire (versement 20 ans avant la sortie, soit au milieu d’un contrat de 40 ans), donc assez représentatif. Une forte volatilité des revenus au cours de la période de souscription pourrait certes venir rompre cette linéarité.

[4] Voir le cas d’un particulier se constituant un avoir similaire en vue de sa vieillesse, sous la forme par exemple de SICAVs de capitalisation.


Le second pilier, parent pauvre de la réforme fiscale

Notre précédent blog a permis de faire le point sur le traitement du 3ème pilier, plus précisément de la prévoyance-vieillesse, dans la réforme fiscale. La principale conclusion du blog était que les avantages fiscaux résultant du dispositif de la prévoyance-vieillesse devraient être davantage ciblés vers les titulaires de revenus moins élevés qui, dans l’état actuel des choses, ne sont pas suffisamment incités à recourir à cet instrument.

Cet argument peut être « recyclé » dans le contexte des pensions complémentaires en entreprises, à savoir le « deuxième pilier » des systèmes de pension. Les entreprises ont la possibilité de proposer à leurs salariés, en vue de la constitution d’un complément futur de pension exempté d’impôts sur le revenu, un plan de pension constitué au sein de la société. Ce dispositif repose sur deux types de versements, c’est-à-dire en premier lieu une prime versée par l’entreprise elle-même et en second lieu un versement optionnel effectué à titre personnel par le salarié. Ce versement personnel est, à l’instar de la prévoyance-vieillesse (pilier 3), déductible du revenu imposable du salarié en question au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, mais jusqu’à un plafond de 1 200 euros l’an seulement. Soit un montant encore bien en retrait de la déduction prévoyance-vieillesse de 3 200 euros[1].

Par ailleurs, dans l’état actuel des textes, cette réforme fiscale ne remédie pas du tout à un effet d’éviction des « bas salaires » propre au second pilier. La composante centrale de la pension complémentaire en entreprise est la prime versée par l’entreprise, qui constitue un mode avantageux de rémunération du salarié. Du moins en principe…

Or la prime « pension complémentaire » de l’entreprise est soumise à un taux d’imposition forfaitaire libératoire de 20% (auquel s’ajoute une « taxe rémunératoire » de 0,9%). Comme le montre le tableau suivant, le versement de l’employeur constitue, à la faveur de cet impôt forfaitaire et de l’exonération des cotisations sociales, un mode de rémunération avantageux pour, par exemple, un cadre sans enfants de la classe d’imposition 1 ayant un salaire brut de 100 000 euros par an[2]. Pour un tel employé et après réforme fiscale, une augmentation de salaire « classique » coûtant 100 euros par an à l’entreprise ne rapportera en net à l’employé que 45 euros[3]. Par contre, pour un même coût de 100 euros à charge de l’employeur, l’employé bénéficiera dans le cadre d’un système complémentaire de pension d’un avantage net de 79 euros. Soit, par rapport à l’option « hausse directe des salaires », un gain de 34 euros (soit 79 – 45). Certes différé, mais néanmoins tangible, puisque tout à fait équivalent à une épargne.

La situation est toute autre pour un salarié similaire (même situation familiale notamment), mais dont le revenu imposable annuel ajusté est, à titre d’exemple, de l’ordre de 20 000 euros. Un coût pour l’entreprise de 100 euros rapportera en net à ce salarié 68 euros en cas d’augmentation salariale directe, et (comme son collègue) 79 euros dans le cadre d’un système complémentaire de pension. La pension complémentaire semble toujours plus avantageuse, à la faveur de l’impôt libératoire de 20% (+0,9%), mais à raison de 11 euros seulement (soit 79 – 68). Sachant que cet avantage est en outre différé dans le temps, il ne s’agit pas d’un élément vraiment décisif. Sans compter que l’avantage serait plus maigre encore, voire même inexistant, pour un revenu imposable inférieur à 20 000 euros[4].

Tableau : Traitement fiscal différencié d’une augmentation « classique » de salaire de 100 euros par rapport à un versement « deuxième pilier » de l’entreprise, En euros, sauf mention contraire

tableau

Source : Calculs Fondation IDEA asbl.

* : Impôt sur le revenu additionnel. Y compris le prélèvement « Fonds pour l’emploi » de 7%.

** : Impôt forfaitaire libératoire de 20% (le salarié n’aura en conséquence plus d’impôts à payer lors de la perception de la pension complémentaire), plus la taxe rémunératoire de 0,9%.

La conséquence : l’exclusion de fait, sinon de jure, des salariés à revenus modestes de nombreux régimes de pension complémentaire du 2ème pilier. Comment y remédier ? Tout simplement en abaissant le taux de taxation forfaitaire, en particulier pour les titulaires des plus bas salaires. A titre d’exemple, un taux forfaitaire ramené de 20 à 5% pour les revenus modestes ferait passer, pour un revenu de 20 000 euros par an, l’avantage net précité de 11 à 26 euros. Il en résulterait des pensions complémentaires d’entreprises plus « inclusives », et non réservées à un segment des salariés. Un tel ajustement se justifierait par le taux d’imposition plus bas qui prévaut, fort logiquement, pour les « bas revenus ». Or ce taux a été ajusté à la baisse dans le cadre de la réforme fiscale : il convient d’éviter le « grand écart » entre ce dernier taux d’une part et la taxation forfaitaire de 20% d’autre part.

En conclusion, la réforme fiscale comporte des avancées intéressantes en termes de pensions complémentaires. On peut cependant légitimement regretter que ces innovations se limitent au 3ème pilier et que la réforme ne constitue pas une opportunité de « redressement » de quelques anomalies de longue date, en premier lieu l’exclusion de fait de nombreux titulaires de bas revenus, qui pourraient fort légitimement aspirer à un « bas de laine » additionnel en vue de leur retraite.


[1] Au contraire de ce montant « prévoyance vieillesse » de 3 200 euros, qui a été revu à la hausse en particulier pour les plus jeunes, la déduction « second pilier » de 1 200 euros n’a de surcroît pas été adaptée à l’occasion de la réforme fiscale.

[2] Seuls les abattements forfaitaires et frais de déplacement sont considérés.

[3] En considérant un impôt marginal sur le revenu (y compris l’impôt de solidarité) de 41,7% du revenu imposable, plus les cotisations patronales et personnelles à la sécurité sociale.

[4] En cas de temps partiel, par exemple.

Merken

Evolutions du marché du travail : c’est graphe docteur ? (bis)

Particulièrement attendus et commentés, les chiffres de l’emploi sont tombés et s’avèrent plutôt conformes aux évolutions récentes.

Ainsi, l’emploi salarié total a progressé de 3% sur un an, avec des différences notables entre frontaliers d’une part (+4%) et résidents d’autre part (+2%) mais aussi, parmi ces derniers, entre luxembourgeois (+1% « seulement ») et résidents étrangers communautaires (+2,5%) ou de pays tiers (+8%). Spectaculaires en elles-mêmes, ces évolutions n’ont a priori rien de bien nouveau pour qui s’y intéresse…

Mais au-delà des tendances attendues et confirmées, c’est une autre donnée qui a, cette fois, retenu notre attention : au deuxième trimestre 2016, le nombre de salariés résidents étrangers a dépassé celui des salariés résidents nationaux. Les Luxembourgeois deviennent dès lors la troisième cheville ouvrière du pays, derrière les résidents étrangers et les frontaliers. Si cela n’a rien de surprenant au vu des évolutions à l’œuvre sur le marché du travail, cette distanciation n’en demeure pas moins symbolique et ne devrait pas manquer d’interpeller…

Emploi salarié LuxembourgSource: STATEC

Série Réforme fiscale (1/5) – Réforme-toit!

Les contours de la réforme fiscale 2017, grand chantier de ce Gouvernement, ont été dessinés le 29 février, affinés le 21 avril, adoptés par le Conseil de gouvernement le 13 juillet avant d’être en ce moment, et jusqu’à fin septembre, expliqués par le Ministère des Finances, avec l’Administration des contributions directes, aux contribuables soucieux de connaître leur traitement fiscal futur. Un moment opportun pour IDEA de revenir sur les implications de cette réforme en matière de logement, de pensions, de marché du travail et d’innovation. Soit autant de défis à adresser et de recommandations à formuler.

« Faciliter l’accès au logement » figure au menu du projet de loi portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017. Plus qu’un affichage, une cause nationale ? Résolument, car il y a péril en la demeure[1].

Mais de quel « chez-soi » est-il question ? Pour qui : (Néo)Propriétaires ? Bailleurs ? Locataires ? A quel prix ? Si le signal n’est pas très clair, la moins-value fiscale engendrée par les différentes mesures de la « réforme fiscale » l’est davantage : 11 millions d’euros pour 2017 puis 51 millions d’euros pour les années suivantes.

Tableau des mesures relatives au « logement » contenues dans le projet de loi portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017

Tableau de mesures

Force est surtout de constater que les fondations du rapport « à la pierre » n’en sortent pas ébranlées.  Primo-accédant comme propriétaires occupants sont (bien) servis. Si l’achat d’un bien est encouragé, sans tambour ni trompette, l’instinct de propriété, lui, est clairement entériné. Avec la suppression (assez « symbolique ») des loyers imputés pour les propriétaires de leur logis, c’est un idéal d’occupation qui est promu (au détriment d’un autre).  Si la « sélectivité sur base de critères socio-économiques » devait transcender cette réforme, seule l’introduction d’un critère d’âge fait vaguement figure de nouveauté en matière de logement. Dans cette veine, une lecture possible du message envoyé aux « jeunes » est : accédez à la propriété, l’Etat vous en saura gré.

D’autres mesures – bienvenues[2] ? – visent à stimuler l’offre. Ainsi l’abaissement temporaire du taux d’imposition de la plus-value résultant de la vente d’un bien vise à alimenter le marché mais aussi à assurer une certaine « rotation du parc ». 28% des ménages détenteurs de quelques 58000 biens immobiliers autres que les résidences principales au Luxembourg, dont environ 50000 maisons, appartements, immeubles et terrains constructibles, pourraient être concernés[3]. Déjà activée entre 2002 et 2007, les retombées de cette mesure sur les prix et le nombre de logement n’ont pas été estimées.

Mais convaincre les propriétaires non occupants et les bailleurs potentiels de céder ou d’exploiter leurs biens requiert plus que des carottes fiscales. La taxation étant déjà relativement avantageuse[4], le gain fiscal potentiel résultant de ces incitations semble « trop modeste » pour être décisif. De nature à précipiter des ventes déjà décidées (quelle aubaine !), la mesure ne devrait pas gonfler spectaculairement « le volume de biens disponibles ». L’absence de besoins immédiats en « trésorerie », l’ascension des prix immobiliers augurant de juteuses plus-values, le manque d’attrait d’autres actifs, la volonté de transmission, etc., sont autant de motifs de conservation de ses biens. Et attention à la douche froide du 1er janvier 2018 avec « l’augmentation (psychologique) du taux » – en réalité, un retour « à une certaine normalité » – qui pourrait engendrer une nouvelle période de disette (si tant est que la fenêtre temporelle actuellement ouverte motive les vendeurs) et, cerise sur le gâteau, se répercuter sur les prix de vente.

La politique du « stop and go » est source d’incertitude et d’incompréhension dans un domaine qui relève de l’intime et se nourrit « du temps long ». Les « soldes » semblent plus appropriées au commerce de détail. Mais quelles pistes favoriser alors ? Les avis sont partagés, de l’annonce de l’augmentation de l’imposition des ventes  à une date connue au rehaussement de l’abattement accordé. Toute mesure est recevable si elle ne génère pas un excès d’instabilité fiscale et réglementaire – confinant… au statu quo.

Néanmoins, le « cadeau fiscal » sur les gains locatifs issus de la location à des organismes sociaux reconnus pourrait, lui, bien augmenter le stock de biens disponibles pour des populations fragilisées. En effet, assortie de garanties sécurisantes contre les impayés et les dégradations (travaux de rénovation, entretien régulier et versement des loyers même en cas de non occupation), cette mesure, au-delà de l’attrait pécuniaire, pourrait convaincre des bailleurs potentiels, jusqu’alors craintifs et suspicieux, de combler ce « manque à louer ». Une méthode (très) douce pour lutter contre la vacance ?

Dans ce domaine si personnel qu’est le logement, la fiscalité peut sans doute beaucoup mais ne peut résolument pas tout. Toujours est-il que cette réforme n’en ébranle pas la charpente idéologique. Du statut matrimonial (avantage aux couples « officiels » au détriment d’un meilleur niveau d’équité horizontale du système fiscal) au statut d’occupation (augmentation des allègements pour les  propriétaires, aux retombées incertaines), un idéal immuable en sort valorisé. Mais ne lui jetons pas la pierre trop hâtivement car elle ouvre également des pistes prometteuses et laisse place au débat.


[1] Aparté: cette expression est le titre d’un film français dont la traduction britannique était… « Death in a French Garden ». Clin d’œil à ceux qui, « contraints » ou volontaires, s’installent aux frontières du Luxembourg ?

[2] Pour Julien Licheron, directeur de l’Observatoire de l’habitat, sans une mobilisation du foncier, augmenter l’habitat pourrait rester un vœu pieux, d’où la pertinence de mesures destinées à mettre des terrains sur le marché.

Voir : http://paperjam.lu/news/il-est-tres-difficile-dinciter-les-particuliers-a-vendre-leurs-terrains

[3] Voir : http://www.bcl.lu/en/publications/Working-papers/99/BCLWP099.pdf

28% de ménages au Luxembourg (52000) possèdent d’autres biens immobiliers que leur résidence principale (1,71 en moyenne) soit près de 90000 biens dont 65% sont situés au Luxembourg (58000) : 58% sont des maisons ou des appartements (33654), 13% sont des immeubles à appartements (7543) et 15% sont des terrains constructibles (8704).

[4] Tout d’abord, les gains réalisés sur la vente des résidences principales sont exonérés de même que les plus-values de spéculation et de cession réalisées par des personnes physiques sur des terrains cédés à l’Etat, aux communes et aux syndicats de communes.

Il est donc ici question des « autres biens », dont la base taxable est déjà allégée (avec un prix d’achat réévalué, des frais d’obtention déduits et un abattement décennal, doublé pour des conjoints imposables collectivement). Ce revenu extraordinaire est déjà imposé à la moitié du taux global (taux moyen d’imposition du contribuable). Avec un taux marginal maximal d’un peu plus de 40% (et d’environ 46% après réforme) avec le prélèvement « Fonds pour l’emploi », les plus-values de cession ne peuvent en pratique pas largement excéder 20% (22,89% après réforme) – sur la base des taux marginaux plafond.

Faut-il créer une Medical School au Luxembourg ?

Le 10 mars dernier, IDEA publiait une Idée du mois interrogeant sur les bénéfices potentiels à retirer de la création d’une Medical School au Luxembourg et concluant que cette option serait moins onéreuse et pourrait  induire des retombées favorables sur l’ensemble de l’économie luxembourgeoise, la santé n’étant de toute évidence pas seulement une « contrainte budgétaire » mais également une niche de diversification prometteuse et un moteur d’innovation et d’emploi. L’Association luxembourgeoise des étudiants en médecine (ALEM) avait abondé en son sens dans un billet invité à retrouver ici. C’est désormais à Henri Entringer, économiste de formation, directeur honoraire de la Commission européenne et membre de la Section des sciences morales et politiques de l’Institut grand-ducal, d’exprimer son point de vue.

L’idée de créer une Medical School (MS) été lancée en 2013 par l’Université du Luxembourg. Depuis lors elle est discutée en cercle restreint et défendue par des représentants du secteur de la santé, notamment par crainte d’une pénurie de médecins à partir de 2020. Cette situation résulterait principalement des difficultés que rencontrent les résidents luxembourgeois, ayant réussi le Certificat d’études supérieures en sciences médicales à l’Université du Luxembourg, de se faire admettre en 2e année de médecine dans des universités de pays avec lesquels un accord a été conclu.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour remédier à ce problème. La proposition préconisée jusqu’à présent par les porte-paroles du milieu médical consiste à offrir au Luxembourg un cycle de cinq années d’études médicales de base. Cependant, cette prise de position n’est pas seulement motivée par les entraves d’entamer des études de médecine à l’étranger. Il importe, pour mieux appréhender ce débat, de préciser les options possibles et d’examiner les avantages et les inconvénients d’une MS dans le contexte particulier du Luxembourg.

Medical School : plusieurs modèles envisageables

Le terme de Medical School désigne des établissements de formation médicale dont l’enseignement aboutit – sauf exception – au titre de médecin. Au-delà de cette définition assez générale, on peut schématiquement distinguer les trois catégories suivantes de MS :

– Les Medical Schools qui sont des Facultés de médecine d’une université. Tel est, entre autres, le cas des MS américaines qui correspondent étroitement aux Facultés de médecine telles qu’on les connaît en Europe.

– Certaines Medical Schools forment des médecins sans constituer une Faculté de médecine d’une université. On citera, à titre d’exemples, l’université médicale privée Paracelsus à Salzbourg ou encore laKassel School of Medicine (KSM) en Allemagne, qui collabore avec l’University of Southampton. Les études de 5 ans se déroulent pendant 2 ans à Southampton (université et hôpitaux) et à partir de la 3e année à Kassel. La formation se fait en allemand et en anglais. D’autres exemples relevant de cette catégorie de MS sont l’Asklepios Medical School à Hambourg (Asklepios Campus Hamburg – ACH) qui travaille en coopération avec la « Semmelweis Universität » de Budapest.

– Des Medical Schools qui ne forment pas de médecins mais d’autres professionnels de la santé.Ainsi, en Allemagne la Medical School Hamburg comprend une Fakultät Gesundheit-Fachhochschule qui forme, entre autres, des master en « Sportpsychologie » et une Fakultät Humanwissenschaften-Wissenschaftliche Hochschule qui délivre des diplômes de master notamment en « Medizinpädagogik » et en « Rechtspsychologie ». Mais cet établissement ne forme pas de médecins.

La MS, telle qu’elle est conçue au Luxembourg, ne peut aucunement être comparée aux Facultés de médecine d’universités, dont l’enseignement est principalement dispensé par du personnel académique, sélectionné selon des critères exigeants

Les avantages et inconvénients potentiels d’une Medical School luxembourgeoise

Les avantages présumés d’une Luxembourg Medical School (LMS) ainsi que les obstacles à surmonter pour la mettre en œuvre et garantir sa réussite sont détaillés et argumentés dans l’article de fond dont la référence figure à la fin de ce « blog invité ». On trouvera ci-après une brève description des principaux éléments de la controverse.

Un avantage souvent évoqué est la nécessité de remédier à une éventuelle pénurie de médecins. Selon les projections d’Eurostat, la population du Luxembourg de 65 ans et plus passera de 14,2% en 2015 à 21,8% en 2060. Par ailleurs, la nouvelle génération de médecins est moins disposée à renoncer à la qualité de vie au profit de l’activité professionnelle. Il convient de mentionner aussi l’effectif croissant de femmes dans le corps médical, dont les obligations familiales réduisent souvent le nombre d’heures pouvant être prestées. D’aucuns pensent que l’existence de la LMS permettrait de pallier la pénurie médicale en encourageant les Luxembourgeois établis à l’étranger à revenir au pays.

Cet argument est contesté par des représentants du ministère de la Santé. En effet, le nombre de généralistes a augmenté au Luxembourg entre 2008 et 2015 de 25%, alors que pendant la même période la population a crû de 19%. En outre, des besoins médicaux futurs pourraient être couverts par l’installation au Luxembourg de médecins étrangers, d’autant qu’ils bénéficient de conditions financières favorables dans notre pays, où les rémunérations sont nettement plus élevées que dans les pays limitrophes. Le recours à des médecins étrangers évite déjà à l’heure actuelle une pénurie de médecins. Ils représentaient en effet, en 2014, près de la moitié de l’ensemble des médecins et même 51% des médecins spécialistes. Se pose certes le problème de la compétence de ces médecins.

Autre avantage souvent cité d’une LMS : les gains sur le plan médical et en termes de politique de santé – l’enjeu majeur bien entendu. La présence d’une LMS pourrait influencer positivement le savoir-faire médical au Luxembourg. D’aucuns affirment que les soins de santé publics demeureraient davantage sous le contrôle du pays et que les règles administratives répondraient mieux aux besoins des résidents du Luxembourg grâce à la LMS. Ces gains potentiels supposent néanmoins des enseignants-chercheurs de premier plan, des étudiants doués, un programme d’études de haut niveau et une coopération intensive avec des Facultés de médecine de renom. Beaucoup de préconditions… Sur le plan linguistique (adaptation aux besoins des patients locaux), la création d’une LMS ne changerait sans doute pas grand-chose à la situation actuelle, compte tenu du nombre de médecins étrangers indispensable. En outre, le pourcentage des Luxembourgeois a plutôt tendance à diminuer dans la population résidente.

Enfin, les retombées favorables d’une LMS en termes d’innovation, de croissance économique et d’acquisition de prestige sont souvent mentionnées. Cependant, pour que la LMS puisse réellement constituer un élément central d’une zone d’activités et de compétences en matière de santé, voire une nouvelle niche de diversification, d’importantes mesures d’accompagnement devraient être développées. Une LMS n’intégrant pas de formations spécialisées (la neurologie et l’oncologie par exemple) serait peu susceptible de déclencher un effet d’entraînement majeur en termes d’innovation médicale. Avec ou sans LMS, il faudrait beaucoup de chance pour que les recherches entreprises au Luxembourg aboutissent sur le plan scientifique, médical et économique à des résultats internationalement reconnus et produisant un impact considérable au pays.

Quant aux incertitudes, obstacles et risques associés à la création d’une LMS, il y a lieu de mentionner notamment :

– Une faible influence sur l’effectif des médecins installés au Luxembourg. Le nombre d’étudiants de la LMS serait relativement faible et il est au surplus impossible de savoir combien de diplômés de la LMS s’installeraient au Luxembourg.

– Risque de compromettre l’attribution de places dans des universités étrangères. La création d’uneMedical School au Luxembourg peut avoir pour effet que des Etats dénoncent ou ne renouvellent pas les accords assurant aux étudiants en médecine ayant réussi la 1ère année à l’UL de passer en 2e année dans les universités partenaires. En effet, ces exceptions ont jusqu’à présent été obtenues en raison de l’absence d’une formation de médecins au Luxembourg.

– Problèmes de la spécialisation à l’étranger des diplômés de la LMS. Les généralistes ayant reçu leur formation médicale de base au Luxembourg et qui souhaitent devenir médecins spécialistes devront, en règle générale, poursuivre leurs études à l’étranger. Toutefois, des épreuves ou d’autres critères de performance exigés pourraient constituer un obstacle pour des étudiants insuffisamment formés dans la LMS.

– Difficultés à surmonter en termes d’organisation des études médicales. Les difficultés à surmonter en matière d’organisation de la formation médicale sont particulièrement périlleuses. Elles concernent, pour l’essentiel, le recrutement des professeurs chargés des cours en sciences fondamentales, le personnel enseignant la pratique médicale et la conversion des centres hospitaliers en hôpitaux universitaires.

– Les astreintes du trilinguisme. Un enseignement, tel qu’il est prévu, dispensé partiellement en allemand, en anglais et en français par les chargés de la formation, compliquerait sérieusement la gestion de la LMS. En outre, le multilinguisme véhicule trois visions médicales et trois cultures de formation, dont la cohabitation pourrait s’avérer difficile.

Le coût élevé d’une LMS. On ne peut ignorer qu’il s’agit en l’occurrence d’un projet entraînant des dépenses permanentes et croissantes et que le coût de pareilles réalisations est généralement sous-estimé.

            En définitive, le succès d’une LMS dépendra de la qualité des soins de santé que sa création assurera à la population. Dans cette perspective, plusieurs conditions doivent être remplies : une excellente formation ; des étudiants motivés et qualifiés ; l’adaptation du système de santé national à la situation nouvelle ; la certitude de pouvoir prendre en charge un coût important et croissant qu’une telle décision entraînerait.

Medical School au Luxembourg : pour une analyse précise et objective

Malgré les avantages présumés évoqués par des représentants du milieu médical, l’importance des problèmes à résoudre et en dépit du caractère irrévocable que représenterait la création d’une LMS, cette question n’a jusqu’ici soulevé que très peu d’intérêt auprès de la population du Luxembourg.

Etant donné que deux études de base sont actuellement disponibles et que deux autres sont en préparation sur des aspects particuliers, compte tenu des reports successifs de la décision et des déclarations récentes à ce sujet, on peut admettre que dans un proche avenir les autorités politiques luxembourgeoises se prononceront soit en faveur d’une Medical School, soit retiendront d’autres orientations en matière d’études médicales. C’est pourquoi il paraît à l’heure actuelle particulièrement souhaitable de faire connaître et comprendre les arguments avancés pour et contre une LMS. A cet effet, un texte détaillé et argumenté a été rédigé sur ce sujet, que l’on peut consulter sur Internet(voir https://joom.ag/ubMQ).

En conclusion, mettre sur pied une LMS remplirait assez bien les conditions susceptibles de convertir des incertitudes en risques et les risques en échec. Puissent les experts consultés, les hauts fonctionnaires concernés et le personnel politique luxembourgeois faire preuve d’assez de lucidité, afin de faire le bon choix, fondé sur la vérification des faits et le contrôle de la validité des raisonnements, entrepris avec impartialité, indépendance et à la lumière des objectifs poursuivis.

Idée du mois n°14 – WEF : pour un Luxembourg classé “au Top”

La Fondation IDEA asbl vient de publier sa nouvelle Idée du mois (IDM), portant sur la place du Luxembourg au sein du célèbre classement de compétitivité du World Economic Forum (WEF). Publié tous les ans vers la fin du mois de septembre, ce panorama détaillé de la compétitivité est suivi de près, par des chefs d’entreprises et investisseurs potentiels, par les médias, le monde politique ou par d’autres « leaders d’opinion ». Or le Grand-Duché fait actuellement assez pâle figure au sein de ce classement WEF, où il doit se contenter de la 20ème place, derrière l’Allemagne et la Belgique et de justesse devant la France. L’IDM montre comment le Luxembourg pourrait « à moindres frais » sortir de l’ornière, accédant enfin au « TOP 10 » du classement.

Un classement WEF emblématique, mais relativement médiocre pour le Luxembourg
Le WEF publie chaque année en automne son « Global competitiveness report », dont la pièce maîtresse est un classement international de compétitivité reposant sur plus de 100 critères répartis en 12 piliers. Or dans le plus récent rapport de compétitivité du WEF (2015-2016), le Grand-Duché a dû se contenter de la 20ème place, après l’Allemagne (4ème) et la Belgique (19ème) et pratiquement au même rang que la France (22ème). Il a d’ailleurs, au cours des années récentes, constamment oscillé autour de cette 20ème position.
Se pose dès lors la question suivante : comment le Luxembourg pourrait-il enfin se hisser parmi les dix premiers pays du classement ? Cette question de l’accès au « TOP 10 » est loin d’être purement académique ou anecdotique. Le classement WEF étant largement commenté dans les médias et scruté de près par beaucoup d’investisseurs potentiels, le choc psychologique que constituerait l’entrée du Luxembourg au sein du club des 10 pays les plus performants pourrait induire des retombées socio-économiques concrètes.

Le Luxembourg dans le « TOP 10 » : les leviers à privilégier
L’Idée du mois répond en deux temps à la question posée. Au moyen de la base de données détaillée élaborée par le WEF, elle identifie en premier lieu les indicateurs où le Luxembourg affiche un retard manifeste par rapport à ses concurrents étrangers. Elle sélectionne ensuite, parmi ces indicateurs, ceux qui permettraient d’améliorer avec une efficacité maximale le classement du Grand-Duché – en d’autres termes les « leviers d’action » les plus prometteurs. Il s’agit donc de déceler un « cheminement optimal » permettant au Luxembourg d’accéder au TOP 10 de la manière la plus aisée possible, en évitant de « courir plusieurs lièvres à la fois ».
Les principaux messages se dégageant de cette démarche originale sont les suivants :
– Le classement actuellement mitigé du Luxembourg dans la « league table » du WEF reflète en partie certaines imperfections affectant le calcul de l’indice, en particulier un indicateur « petite taille du marché » quelque peu discutable pour un petit pays très ouvert et une appréciation erronée de l’accès des résidents du Grand-Duché à l’enseignement supérieur.
– Ces imperfections n’expliquent cependant pas tout, loin s’en faut : leur correction ne ferait pas à elle seule basculer le Luxembourg dans le cercle des pays « les plus vertueux ». Il reste au demeurant à voir si le WEF serait disposé à introduire de tels amendements.
– Des ajustements plus fondamentaux et structurels seraient dès lors requis pour atteindre l’objectif « TOP 10 ». L’Idée du mois a présenté un itinéraire permettant de converger concrètement vers cette destination. Il faudrait cependant pour ce faire mobiliser une trentaine d’indicateurs, relevant de six grands domaines d’action : (1) l’éducation et la formation ; (2) la recherche et les brevets ; (3) les infrastructures, de transport notamment ; (4) la réglementation du marché des produits et la compétition ; (5) le marché du travail et les salaires et enfin (6) les formalités administratives lors de la création d’entreprises.

Ces indicateurs et domaines balaient un vaste champ. Des progrès décisifs en la matière supposent dès lors une démarche suffisamment large, de longue haleine et impliquant les différents acteurs concernés – d’autant que nombre de ces indicateurs échappent à la maîtrise directe des autorités nationales. Cette démarche se doit en outre d’être ambitieuse. Le Luxembourg ne peut en effet se contenter d’une simple convergence des indicateurs (ceux où il accuse un retard) vers les niveaux moyens de la zone euro ou des pays voisins. Il devrait au contraire cibler directement les « top performers ».

Nécessité d’une stratégie globale, mobilisant les forces vives de l’économie luxembourgeoise
Diverses recommandations concrètes sont avancées dans l’Idée du mois afin de permettre au Luxembourg de cibler efficacement le « top 10 » du WEF :
• La « mobilisation générale » des forces vives luxembourgeoises requise pour atteindre cet objectif pourrait prendre la forme d’un groupe de travail spécifique, constitué par exemple au sein de l’Observatoire de la compétitivité.
• Un travail de fond pourrait en parallèle être entamé avec le WEF, le cas échéant dans le groupe de travail en question, afin d’identifier plus précisément et à destination des « forces vives » luxembourgeoises chacun des indicateurs devant être améliorés, y compris la façon dont ils sont calculés (définitions, bases de données utilisées, traitement des données, méthodes de compilation de l’indicateur à partir des données). Ce travail de fond à accomplir avec le WEF permettrait par ailleurs de corriger les imperfections que présentent, dans le cas luxembourgeois, certains indicateurs, notamment celui qui se rapporte à la fréquentation de l’enseignement supérieur – cette dernière étant sous-estimée de manière flagrante pour le Luxembourg.
• Enfin, il convient de ne pas négliger la stratégie nationale de « nation branding ». De nombreux indicateurs du WEF sont d’ailleurs collectés via une enquête auprès des chefs d’entreprises. Une communication efficace permettrait d’améliorer la perception par ces derniers des forces de l’économie luxembourgeoise.

Même si elle doit être complétée par un travail de fond portant notamment sur les (nombreuses) interrelations entre les différents indicateurs, la démarche analytique présentée dans l’Idée du mois n°14 constitue un point de départ utile d’une telle stratégie d’ensemble.

Pour une coexistence harmonieuse entre salaires, productivité et « pouvoir vivre »

Marc Wagener et Muriel Bouchet, de la Fondation IDEA asbl, ont publié le 29 février 2016 le premier Working Paper de la fondation, consacré au thème « Inflation, Index et Productivité : un possible ménage à trois ? », où ils proposaient de mettre en place un lien plus systématique qu’actuellement entre l’évolution des salaires et celle de la productivité au Luxembourg.

Dans sa contribution, Michel Wurth réagit à cette proposition. Figure incontournable de l’économie luxembourgeoise, il s’y exprime à titre personnel pour donner son point de vue par rapport au Working Paper des deux personnes précitées, ceci en pleine conformité avec les règles de gouvernance de la Fondation Idea qui confèrent autonomie aux collaborateurs et indépendance académique quant au contenu des dossiers et recherches.


Le ménage à trois « Inflation, Index et Productivité » peut également se décliner en deux couples forcés de vivre ensemble dans une société moderne, à savoir Salaires – Profits et Productivité – Pouvoir vivre. Le premier est celui que les jeunes économistes apprennent pendant leurs études dans le chapitre sur la  théorie de la répartition des revenus, disant en gros que le travail et le capital sont chacun rémunérés en fonction de leur contribution (marginale) à la valeur de la production. Si tel n’est plus le cas, l’entreprise adapte la quantité de facteurs qu’elle souhaite utiliser jusqu’à ce que le nouvel équilibre soit retrouvé. L’application de cette théorie à la vie pratique se retrouve dans l’affirmation que « le Gouvernement et les partenaires sociaux conviennent que la politique salariale doit dans le moyen terme respecter l’évolution de la productivité générale de l’économie luxembourgeoise » (accord tripartite de 2006) et est encore confirmée dans l’accord bipartite UEL-Gouvernement de 2015: « le principe que la politique salariale doit être liée à la productivité est confirmé ».

Pourquoi donc tant de « mauvaise » foi  des uns (gouvernants) et des autres (syndicats) pour affirmer solennellement un principe et faire ensuite tout ce qui est en leur pouvoir afin qu’il ne s’applique pas? Car si l’évolution des salaires doit se faire en fonction de la productivité, elle ne peut plus résulter de leur adaptation mécanique à l’index! Il y a de bonnes et de mauvaises raisons pour expliquer ce paradoxe:

– historiquement, l’indexation a été introduite par le Gouvernement pour adapter les salaires des fonctionnaires, pour lesquels on ne peut pas mesurer la productivité dans la mesure où leur contribution au PIB n’a pas d’expression marchande, mais est valorisée à leur coût. De ce fait, une part croissante du PIB (administration de l’Etat, communes, éducation, santé, social) échappe à la logique de la théorie de la répartition des revenus;

– l’acquis social de l’indexation généralisée des salaires et pensions est traditionnellement considéré comme une vache sacrée, en dépit des modulations répétées qui se sont succédées depuis la dévaluation du franc en 1982 et depuis lors chaque fois que la dégradation de la productivité et la persistance d’une inflation plus élevée que chez nos voisins ont mis en cause la compétitivité de notre économie;

-l’évolution comparative de notre économie par rapport aux concurrentes, qui sont en premier lieu nos pays voisins. La performance de notre économie ayant été supérieure depuis de longues années, d’aucuns en concluent qu’il n’y a pas de feu dans la maison et  qu’il n’y a pas de justification pour changer les choses. C’est clairement l’attitude du Gouvernement actuel, quand il a décidé en 2014 de rétablir l’indexation malgré les dispositions différentes de l’accord de coalition. Une telle conclusion ne tient cependant  pas compte du fait que parmi nos voisins, celui pour qui le lien entre productivité et salaires est important, à savoir l’Allemagne, a eu le meilleur parcours. L’autre fait est qu’au Luxembourg, les secteurs qui ont connu une mauvaise évolution de la productivité (l’industrie, les banques commerciales,…) ont connu une croissance négative, en particulier depuis la crise de 2007 et ont fermé des capacités de production. A contrario, la performance de l’économie luxembourgeoise s’explique par l’émergence de nouvelles activités soutenues par un considérable flux d’investissements étrangers (fonds d’investissements, ITC, activités de sièges internationaux et sociétés financières, effets induits sur les services locaux et la construction) et par un essor important des services non marchands, le tout se traduisant à la fois depuis l’an 2000 par une évolution négative des finances publiques (Etat central en déficit pendant 13 des 15 dernières années) et une hausse considérable de l’emploi intérieur. L’enrichissement du mix sectoriel qui compose le PIB et le financement par la dépense publique de nouveaux services non marchands expliquent largement notre situation favorable, qui accélère les mutations du tissu économique tout en dégradant dans l’absolu la situation financière de l’Etat.

C’est ici qu’entre en jeu le deuxième couple, Productivité-Pouvoir vivre. Contrairement à la théorie de la répartition des revenus, on touche ici à la redistribution du revenu et à la prééminence du politique pour influencer le niveau du revenu attribué à chacun. L’indexation est un instrument considéré comme essentiel à cet égard (probablement à tort, car en termes absolus l’indexation échoit surtout aux titulaires de revenus élevés…). Elle est complétée par d’autres mécanismes tout aussi importants, comme l’impôt progressif sur le revenu, les prestations sociales, les transferts sociaux, etc. mais s’en distingue par le fait que l’indexation, une fois qu’elle est établie, est « automatique », qu’elle joue comme un effet cliquet en garantissant le pouvoir d’achat de ceux qui en bénéficient et ne demande ni intervention publique, ni mécanisme de négociation contradictoire. En d’autres termes, l’indexation est vue comme un élément de la paix sociale (elle l’est pour les bénéficiaires mais pas nécessairement pour ceux qui doivent payer) et surtout comme un instrument permettant à chaque personne qui en bénéficie (tout le monde à l’exception des exclus, c’est-à-dire des plus démunis qui n’ont pas de revenu, donc pas de revenu indexé) de « Pouvoir vivre ».

Toute la difficulté de l’exercice est donc de concilier les aspects « répartition » et « distribution » qui jouent dans une ligue différente: économique pour la première et sociale pour la deuxième. Si l’évolution économique est normale et surtout si l’inflation luxembourgeoise n’est pas supérieure à ce qu’elle est chez nos voisins et concurrents (elle l’a été malheureusement de façon structurelle  depuis l’an 2000, ce qui explique en partie la dégradation de la compétitivité mesurée en termes de CSU), il est possible de concilier le social et l’économique, notamment parce que chez nos voisins les salaires évoluent également tendanciellement avec l’inflation. Mais chaque fois qu’il y a crise, que l’eau rencontre le feu, il faut trouver autre chose car la prééminence du social sur l’économique risquerait d’être fatale pour notre économie hyper dépendante de l’investisseur étranger et donc de l’attractivité, qui doit être plus grande en comparaison à d’autres pays concurrents.

Alors que le patronat demande la prééminence de l’économique sur le social, le mérite de la contribution de Marc Wagener et de Muriel Bouchet, qui s’interrogent sur un possible ménage à trois qu’on peut également qualifier de « Salaires-Productivité-Pouvoir vivre », est de concilier les deux logiques  en proposant un mécanisme maintenant le principe de l’indexation, pour autant que l’économie reste dans une trajectoire compatible avec les grands équilibres économiques et introduisant un élément de correction en cas de dégradation importante de la productivité. Le Conseil Economique et Social, qui a été saisi par le Premier Ministre pour un avis sur le sujet « Analyse de la productivité, de ses déterminants et de ses résultantes, dans un contexte international », ferait bien de s’inspirer des pistes avancées, car le dialogue social, pour être et redevenir efficace, devra certainement préciser les conditions de coexistence d’un tel ménage à trois.

IDEA encourage vivement toute personne intéressée à lui transmettre sa contribution à ce débat, idéalement sous la forme d’un blog d’une à trois pages. Nous vous invitons à consulter notre rubrique publications/ billets invités pour quelques exemples.

Infographie n°1: La santé à la loupe

Retrouvez la version PDF de la Fiche IDEA intégrée au magazine Merkur dont l’édition de septembre/octobre 2016 portait sur le Luxembourg numérique.

Nous vous proposons une infographie qui, par la représentation visuelle de données, tâche de rendre les analyses et recommandations de nos publications accessibles au plus grand nombre.

L’infographie est suivie d’un article portant sur la même thématique qui la complète afin d’offrir, en 2 pages, un aperçu qui se veut éclairant sur un sujet socioéconomique pertinent.

Dans ce numéro: “formation à” et “budget de” la santé.