Ces derniers mois, l’arrivée de nombreux demandeurs d’asile occupe les débats et génère des crispations, voire une paralysie politique en Europe. Le terme de « crise » revient régulièrement alors même que la prolongation du phénomène de migration rend l’usage de ce terme questionnable. Par ailleurs, parler de crise reflète un état d’esprit négatif, alors que nous souhaiterions que les dirigeants luxembourgeois et européens saisissent l’occasion pour traiter aussi certains défis domestiques existants. A l’échelle européenne et internationale aussi, une autre politique est possible, fondée sur les principes de respect de la dignité humaine et de la solidarité et sans se ruiner pour autant.

1. Les défis posés par l’intégration des réfugiés au Luxembourg

Si nous réfutons un discours négatif au profit d’une « can-do attitude », nous n’ignorons pour autant pas les défis auxquels le Luxembourg et ses partenaires européens sont confrontés.

Un premier sujet est le logement. Le Luxembourg souffre déjà d’une pénurie de logements et les prix exorbitants empêchent nombre de jeunes (et moins jeunes) de se loger en ville. La construction de « villages containers » est une solution de court-terme, mais à moyen et long-terme, il faudra réussir à offrir un logement permanent à ceux dont la demande d’asile aura été acceptée. Ce pourrait être l’occasion pour le gouvernement et les communes de mener une politique de l’offre : faciliter et stimuler la construction de logements, notamment sociaux, pour loger tant les réfugiés que les résidents luxembourgeois ayant des revenus modestes. Une partie de ces logements devraient être construits dans des zones suffisamment centrales, par exemple à proximité de Luxembourg-Ville, afin d’encourager la mixité sociale et l’intégration.

Un second sujet important est la scolarisation des enfants des demandeurs d’asile et des réfugiés, qui ne parlent généralement aucune des langues véhiculaires du Luxembourg. Des cours de langue et des classes d’intégration supplémentaires sont donc indispensables, ce qui requiert des ressources financières et des moyens humains supplémentaires à court terme. Des activités sportives ou culturelles contribuant à mixer autochtones et réfugiés seraient également les bienvenues. Cet investissement initial peut porter ses fruits à moyen et long-terme grâce à une intégration réussie.

Le troisième défi est celui de l’intégration au marché du travail. Il nous paraît important, tant au niveau national qu’européen, de faciliter l’accès au marché du travail, par exemple par une période d’attente (avant de pouvoir occuper un emploi) harmonisée dans l’UE n’excédant pas six mois. Il est en effet essentiel de donner aux réfugiés la possibilité d’éprouver le sentiment de dignité que procure le travail et de subvenir au moins partiellement à leurs propres besoins. Une meilleure reconnaissance des diplômes et qualifications acquis à l’étranger est également nécessaire. En cas de doute sur les compétences de certains réfugiés, des tests et des formations devraient être organisés.

Ces trois exemples illustrent la complexité d’une analyse économique de l’afflux de demandeurs d’asile : à court-terme, des dépenses publiques sont requises pour l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile, mais un retour sur investissement à moyen-terme peut être anticipé à condition de fournir maintenant les efforts nécessaires. La même observation vaut au niveau européen, ainsi qu’à l’échelle internationale, avec comme difficulté supplémentaire à la modélisation de l’impact économique le fait qu’il dépende de multiples facteurs (pays de transit vs. pays de destination, législation en matière d’accès au marché du travail, etc.).

2. Perspectives européennes et internationales

Le nombre de réfugiés entrés dans l’UE en 2015 représente 0,2% de sa population totale, ce qui est loin d’être ingérable, y compris économiquement. La Commission européenne, s’appuyant sur plusieurs études, considérait d’ailleurs dans ses prévisions économiques publiées à l’automne 2015 que l’afflux de réfugiés aurait un effet marginal sur la croissance, l’emploi et les finances publiques.

Plutôt que le nombre de réfugiés, ce sont les divisions intra-européennes et l’insuffisante coordination qui constituent un problème inquiétant. La crise actuelle révèle des idées et conceptions différentes de l’UE et trahit une résurgence du nationalisme. Le régime d’asile européen commun, censé introduire des standards uniformes pour un traitement équitable des demandes d’asile, demeure très insuffisamment appliqué – en témoignent les nombreuses procédures d’infraction lancées par la Commission Européenne. Nous réclamons donc notamment (i) une mise en œuvre complète et accélérée du plan de relocalisation des réfugiés dans l’UE, (ii) la suppression de la disposition du règlement Dublin III selon laquelle le premier Etat membre d’entrée est responsable pour examiner la demande d’asile et son remplacement par un système de « quotas », et (iii) un soutien administratif accru aux Etats membres en difficulté et, si nécessaire, la constitution d’un organe européen qui pourrait étudier des demandes d’asile, ainsi qu’un véritable corps de gardes-frontières européens.

C’est en collaborant activement à une solution commune que les Etats membres parviendront à trouver une solution humainement acceptable et financièrement supportable. Créer une « forteresse Europe » en multipliant les murs externes et internes aurait un coût élevé : patrouilles aux frontières, freins à la libre circulation des marchandises, risques pour l’emploi des travailleurs frontaliers et les coûts d’une politique répressive. La fin de l’espace Schengen coûterait des milliards d’euros. Le Parlement des Jeunes regrette également la mise en place trop lente des hotspots et observe que la politique de retour semble inefficace pour l’instant. Nous appelons la Commission Européenne et les Etats membres à (i) mieux contrôler le respect du cadre légal de l’espace Schengen et (ii) créer des points d’entrée spécifiques allant plus loin que seuls quelques hotspots.

Par ailleurs, créer des « routes officielles » vers l’UE pour les demandeurs d’asile serait une méthode efficace pour lutter contre les passeurs et rendre le chemin vers l’UE moins dangereux sans explosion des coûts puisque les investissements humains et matériels pourraient se concentrer sur ces routes. Les pays de transit pourraient déjà enregistrer et identifier des demandeurs d’asile. En outre, accroître les options légales pour que les demandeurs d’asile puissent rejoindre l’Europe (visa économique pour ceux qui ont des compétences particulières, visa humanitaire pour l’espace Schengen) réduirait la pression migratoire en Grèce et dans les Balkans. Enfin, nous sommes également favorables à la mise en place d’une politique de réinstallation de réfugiés vulnérables directement depuis les pays voisins de la Syrie.

Enfin, soulignons que les pays voisins de la Syrie – en particulier le Liban, la Jordanie et la Turquie – font face à des défis politiques, économiques et sociaux bien supérieurs ! Le Parlement des Jeunes regrette le soutien encore insuffisant aux pays concernés et aux organisations internationales, et espère que les promesses de financement faites à Londres début février 2016 seront suivies d’effet. Un soutien matériel est essentiel pour financer des infrastructures de base et l’accès à l’éducation pour les enfants. Mais il nous paraît évident qu’accroître et améliorer la capacité d’accueil dans les pays tiers est un complément et non un substitut aux devoirs des Etats membres.

En guise de conclusion, rappelons que l’asile n’est pas un luxe mais un droit. Ce n’est pas le cœur léger que les demandeurs d’asile quittent leurs pays et souvent leurs familles. Leur afflux en Europe a un coût mais offre aussi de multiples opportunités,. Le problème n’est donc pas l’afflux de demandeurs d’asile mais l’incapacité des Etats membres à gérer collectivement ce phénomène. Si les dirigeants européens ne se réveillent pas, les coûts de la division et d’une intégration ratée pourraient rapidement devenir exponentiels.

Le Bureau Exécutif du Parlement des Jeunes

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