Marquées par la plongée des bourses, déprimées par l’abysse dans lequel s’enfoncent les prix du pétrole, malgré quelques soubresauts, les semaines se suivent et se ressemblent. Si les turbulences sont inhérentes aux marchés financiers, elles deviennent sources d’inquiétude lorsqu’elles reflètent des troubles diffus et généralisés de l’ordre et de la confiance à l’échelle mondiale… Et le G20, réuni vendredi et samedi, n’a pas accouché de solutions miracles. Les menaces qui planent sur la croissance ne manquent donc pas. Aperçu non exhaustif. Pour se faire peur. Mais pas trop non plus…

Les interrogations persistantes sur la vigueur de l’économie chinoise, qui, en 2015, a affiché son plus « faible » taux de croissance depuis 1990 avec 6,9%, grèvent le moral de la planète entière. La chute des cours se poursuit dans un contexte de perte de valeur du yuan face au dollar. Et la décision de la Banque centrale chinoise (PBOC) d’abaisser le taux de référence de la devise, à son plus bas niveau depuis un mois, n’est pas de nature à rassurer… Elle contredit les déclarations, en marge du G20, de son gouverneur, Zhou Xiaochuan, selon qui il n’y avait pas de fondement pour une baisse de valeur persistante du renminbi. Les autorités multiplient les mesures pour contenir les dérapages monétaires et boursiers mais, si le droit de cession des titres peut, par exemple, être limité[1], l’état d’esprit des acteurs économiques, lui, ne se décrète pas… Au-delà de sous-jacents en berne, l’une des menaces qui plane sur la santé chinoise est peut être le pessimisme[2] latent contre lequel l’autorité n’est pas un rempart. Le Gouvernement devra se montrer malin…

Outre la Chine, l’or noir fait figure de trublion de la reprise mondiale. On pensait avoir touché le fond en le découvrant, puis on a trouvé le schiste, mais, finalement, on creuse encore le trou. Et les fonds souverains des pays producteurs de pétrole, devenus les poules aux œufs d’or de l’investissement public[3], goulument gavées par des prix bien dodus, pourraient crier famine. L’effondrement des cours pose la question des futures recettes et missions de ces instruments de gestion de la rente des hydrocarbures. S’ils devaient répondre aux revendications sociales croissantes dans les pays producteurs, ils fond-raient… Lentement mais sûrement[4]. Or les perspectives sont plutôt noires. Si le ministre saoudien du pétrole, Ali al Naïmi, s’est dit confiant sur le succès de l’accord[5] prévoyant un gel de la production pétrolière aux niveaux du mois de janvier, il a immédiatement douché les espoirs des plus optimistes : une réduction de la production n’aura pas lieu. Alors, « déclaration de guerre énergétique » aux Américains et à leur pétrole de schiste, dit moins rentable à ces niveaux de prix ? Il s’en est défendu. En revanche, les incertitudes planent sur la stratégie iranienne : avec la levée des sanctions internationales, l’Iran compte bien imposer son tempo dans le concert des nations productrices. Si les fluctuations des cours du pétrole ne sont pas insolubles en elles-mêmes, les rivalités géopolitiques dont elles sont, en partie, le reflet pourrait l’être… « Stabiliser le marché », « faire remonter les cours » : les réponses seront sans doute (géo)politiques ou ne seront pas.

Pour autant, si ces menaces, quotidiennement martelées, sont notoires, elles ne doivent pas en occulter d’autres…

OCDE et FMI ont tiré la sonnette d’alarme : faute de bois, le feu s’éteint. Comment raviver la flamme d’une croissance mondiale qui pourrait se tarir ? En dynamisant l’offre… et la demande ! Dans une note préparatoire au G20, le FMI a ainsi appelé à des politiques budgétaires de court terme, favorables à l’investissement, « là où il existe des marges de manœuvre ». Des organisations internationales incitant ainsi à la dépense publique : inquiétant volte-face ?

Sur le plan monétaire, si les Banques centrales européenne ou japonaise[6] affichent des objectifs louables pour justifier de politiques (très)accomodantes, il est nécessaire de s’interroger sur leurs limites dans un contexte où l’effondrement des prix du pétrole enlise les anticipations d’inflation et affaiblit consécutivement la crédibilité des banquiers centraux. Il en va ainsi de la BoJ dont la politique monétaire accommodante, pourtant l’un des piliers des Abenomics, ne parvient pas à doper l’inflation, retombée à 0 en janvier après deux mois de croissance modeste. Pour Jean-Marc VITTORI[7], les « taux [d’intérêt]négatifs constituent la meilleure preuve que la crise est loin d’être finie »[8]. Et que le surendettement se normalise. Ces taux bénéficient, entre autres, aux Etats endettés (empruntons, empruntons), qui voient le poids des intérêts payés sur leur dette se réduire. Vertueux. Inversement, ils tendent à miner la rentabilité des institutions financières. Plus généralement, ces taux négatifs contribuent à alimenter la morosité ambiante, renforçant un sentiment d’impuissance générale. Alors, les politiques monétaires « de la dernière chance », ultime fuel du moteur de la croissance mondiale ? Sombre perspective.

Pour conclure, n’oubliez pas que “tout est bruit pour qui a peur” – Sophocle, Antigone.


[1]Une mesure prise en janvier 2016, après l’emballement des marchés, prévoyait que les actionnaires détenteurs de plus de 5 % des titres d’une entreprise ne pouvaient pas vendre leurs actions et ce, pour trois mois.

[2]Selon les dernières perspectives de l’OCDE, après s’être établi à 8,7% en 2015, le taux de croissance de la demande intérieure serait de 6,9% en 2016 et de 6,4% en 2017.

[3] Selon le SWFI le montant de leurs actifs est passé de moins de 3 milliards de dollars en juin 2001 à plus de 7 milliards aujourd’hui.

[4] Si les réserves importantes accumulées mettent les Etats producteurs du Golfe à l’abri du besoin pour un certain temps, leurs déficits se creusent (39 milliards de dollars en 2015 en Arabie Saoudite selon le FMI). Pour d’autres, comme la Russie, le Nigeria ou le Venezuela,cette chute a nécessité de puiser dans les réserves pour faire face aux conséquences économiques et sociales. Source : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/note_mca_ifri-ocppc_fr.pdf

[5]Suivant un pacte conclu entre l’Arabie Saoudite, la Russie, le Venezuela et le Qatar

[6]En juin 2014, la BCE a amorcé sa politique de taux négatifs puis confirmée, notamment le 3 décembre avec l’annonce de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif. Le 29 janvier, la BoJ a pris la décision inédite d’introduire un taux d’intérêt négatif. De même, le 17 février dernier, la Riksbank, banque centrale de Suède, a abaissé son taux de -0,35 % à -0,5 %.

[7]Il est éditorialiste au quotidien français les Echos. Source:http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021715112171-dans-le-monde-etrange-des-taux-dinteret-negatifs-1202035.php

[8]Avec des taux d’intérêt négatifs les banques voient, par exemple, leurs dépôts auprès de la BCE non pas rémunérés, mais amputés, à hauteur d’un taux d’intérêt annuel de -0,3%.

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