Grèce: Echec et mélodra(ch)me

Quelle est la situation actuelle (au 30 juin 2015, 13heures 20)?

Puisque les autorités grecques n’ont pas su trouver la semaine dernière un accord au sein de l’Eurogroupe avec leurs « créanciers officiels » (BCE, FMI, autres pays de la zone euro), elles ont décidé (dans la nuit du vendredi au samedi) d’un référendum (pour le 5 juillet) qui portera sur la proposition des créanciers datant du 25 juin[1]. Cela a accéléré les retraits d’argent aux distributeurs automatiques dans le pays, décidé l’Eurogroupe à ne pas poursuivre le plan d’aide à la Grèce (pour le moment) au-delà du 30 juin, et motivé la décision de la BCE de ne plus augmenter les liquidités d’urgence apportées aux banques grecques via le dispositif exceptionnel ELA (emergency liquidity assistance). Les caisses des banques grecques, déjà sous pression, n’étant plus alimentées en argent frais supplémentaire au travers de l’ELA, il a été décidé d’un contrôle des capitaux (possibilité de retrait de 60€/jour et fermeture des banques jusqu’au 7 juillet). C’est ainsi la deuxième fois depuis 2013 qu’il y a un contrôle des capitaux dans la zone euro (la première fois c’était à Chypre) ; pour la deuxième fois dans un pays de la zone euro, un euro n’est plus vraiment équivalent à un euro des autres pays…

Comment en est-on arrivé là ?

Cela fait 5 mois que le gouvernement grec (en poste depuis le mois de janvier) négocie avec ses créanciers officiels – jadis « Troïka » rebaptisée depuis février « Institutions » – et que la Grèce et les Institutions s’échangent des « propositions » sans parvenir à un accord final convenable pour tous. Selon le dernier projet de proposition d’accord (daté du 26 juin) qui circule[2] (et qui diffère par endroit de celui du 25 juin), la Grèce et ses créanciers avaient cependant fait plus de 90% du chemin. Il ne restait en réalité que quelques désaccords à « clarifier » pour prolonger le plan d’aide : la question de la TVA (la Grèce voulait des hausses de TVA qui rapportent 0,93% du PIB et les Institutions 1% du PIB), la question de la taxe exceptionnelle de 12% sur les profits des entreprises de plus de 500.000 euros (les Institutions n’en veulent pas), quelques points techniques concernant les pensions, ou encore la question des dépenses militaires. Vu tout ce qui avait déjà été fait (et somme toute le peu qu’il restait à faire) le « moment » de ce référendum semble résolument mal choisi. Par ailleurs, il est surprenant que le gouvernement grec demande à son peuple de trancher dans 7 jours une question (Faut-il accepter les propositions des Institutions ?) qu’il n’est pas parvenu à trancher depuis 5 mois…

Que peut-il se passer jusqu’au 5 juillet ?

La meilleure chose serait sans doute que le gouvernement grec et les Institutions retournent à la table des négociations, trouvent un accord et que le référendum du 5 juillet n’ait pas lieu (un peu comme en 2011 quand un autre gouvernement grec évoquait déjà la possibilité d’un référendum) ; ou que le gouvernement grec appelle à voter pour le oui au référendum. Ce serait faire volte-face certes puisque le 29 juin au soir à la télévision le premier ministre appelait à voter pour le non ; mais ne vaut-il pas mieux un tel revirement et avoir un accord (qui pourrait être expliqué (politiquement) par les différences qui existent entre les textes du 25 et du 26 juin) plutôt que de risquer de mettre encore plus à mal l’économie grecque?

S’il n’y avait cependant aucune évolution de la situation jusqu’au référendum, et que le gouvernement continuait à préférer le non, la Grèce connaîtrait une semaine particulièrement désagréable. Tout d’abord, elle ne pourra sans doute pas honorer le remboursement de 1,6 milliard d’euros qu’elle doit au FMI pour le 30 juin (pas une catastrophe immédiate certes, mais un précédent quand même inquiétant). Ensuite, le contrôle des capitaux (retrait possible de 60 euros par carte bancaire par jour) n’est probablement pas tenable toute une semaine pour les banques grecques dans un contexte où la BCE a décidé de ne plus leur apporter d’argent frais supplémentaire (maintien de l’ELA à son niveau actuel). On estime qu’il y a 14 millions de cartes bancaires en Grèce, à raison de 60 euros de retrait (par précaution) par jour, cela représenterait jusqu’à 840 millions d’euros ; le système bancaire grec n’a pas les moyens de subir une telle saignée sur une semaine à niveau d’ELA constant. Aussi, il a été instauré un comité d’approbation des paiements pour les importateurs et les transferts vers l’étranger (paiement d’études dans les universités à l’étranger, soins médicaux, etc.). Le volume de transactions que risque de devoir valider ce comité rend son travail titanesque et particulièrement difficile à tenir dans la durée. Ajoutons à cela que ce contrôle des capitaux est un sérieux frein aux investissements étrangers (les investisseurs ne risquent pas d’aller investir dans un pays où leur argent risque d’être gelé), et risque d’impacter négativement la saison touristique (les touristes ne voudront pas aller dans un pays, sans savoir s’ils pourront retirer autant d’argent qu’ils le souhaitent dans les distributeurs automatiques).

Si la Grèce ne rembourse pas le FMI le 30 juin est-ce (très) grave?

Vraisemblablement, la Grèce ne pourra pas honorer l’échéance du 30 juin vis-à-vis du FMI. Ce sera « un nouveau moment Lehman » ; non pas que cela débouchera sur une crise de la même ampleur, mais il s’agit dans une certaine mesure d’un pas supplémentaire vers le défaut de paiement (et donc vers l’inconnu). Certes, le pire ne serait pas forcément pour l’immédiat. Ne pas honorer le FMI le 30 juin n’est pas du point de vue des agences de notation synonyme de « défaut de paiement » mais plutôt d’un « incident de paiement ». Les statuts du FMI permettant de la souplesse dans le paiement des « arriérés » ; il sera encore possible de «(re) discuter » pour un paiement plus tard et d’avancer (certes pas très calmement) vers le référendum.

Que risque-t-il de se passer avec le référendum ?

Déjà, organiser un référendum en une semaine (dans un pays qui n’en a pas organisé depuis 1974 et la fin de la dictature des colonels) n’est pas une mince affaire. Cela aura un coût (budgétaire) et fera des mécontents (les grecs de l’étranger ne pourront par exemple pas prendre part au vote). Si le « oui, nous acceptons les propositions des Institutions du 25 juin » l’emporte dans les conditions actuelles (le gouvernement appelle à voter non), ce serait un désaveu cinglant pour le gouvernement Tsipras et probablement le début d’une période d’instabilité politique en Grèce (démission du premier ministre, nouveau gouvernement). Comment accepter et mettre en œuvre (au nom du peuple) un accord pour lequel on avait appelé à voter non ? Si le « non, nous n’acceptons pas les propositions des Institutions du 25 juin » l’emporte, l’on risquerait de passer d’une situation de « dialogue de sourds » à « plus de dialogue possible du tout », sauf revirement inattendu de la position des Institutions. La BCE n’aurait alors sans doute pas d’autre choix  que de continuer à maintenir l’ELA à son niveau actuel (même si le gouvernement grec commence à menacer de l’attaquer en justice si elle décidait cela après la victoire du non au référendum). La Grèce, qui doit rembourser 3,5 milliards à la BCE le 20 juillet, risquerait, s’il n’y avait toujours pas de nouvel accord à cette échéance, de ne pas le pouvoir ; cet éventuel nouvel « incident de paiement » vis-à-vis de la BCE pourrait être le coup de grâce précipitant le GREXIT (retour à la drachme en Grèce).

Quels seraient les effets d’un GREXIT ?

Personne ne le sait avec certitude ; car aux coûts économiques (instantanés) s’ajoutent des coûts économiques (sur le long terme), voire des coûts géopolitiques (sortie de l’UE ? sortie de l’OTAN ?). Les effets (économiques) dans l’immédiat seraient a priori assez limités pour les autres pays européens. La Grèce ne représente que 2% du PIB de la zone euro et les prêts qui lui ont été consentis par les autres états membres sont déjà enregistrés dans la dette publique au sens de Maastricht et ne conduiraient donc pas à une envolée des dettes publiques de la zone euro. De plus, puisque ces prêts ont des maturités longues, techniquement le GREXIT ne signifierait défaut de paiement vis-à-vis des autres pays qu’à partir de 2020 (date des premières échéances de remboursements) à moins de demande de remboursements ancitipés par le FESF. Une réaction très négative (forte volatilité) sur les marchés financiers internationaux n’est toutefois pas à exclure. S’agissant du risque de contagion aux autres pays les plus vulnérables de la zone euro (Portugal, Espagne, Italie) cette hypothèse semble exclue compte tenu des pare-feux érigés par la zone euro depuis la crise (Mécanisme européen de stabilité, possibilité d’achat d’obligations souveraines par la BCE, Union bancaire).

Le plus dur serait à supporter par la Grèce elle-même : accélération de la fuite de capitaux, gestion d’une nouvelle monnaie, renchérissement des importations sans « boom des exportations » (base industrielle très faibles en Grèce). Le tourisme, secteur important, ne connaîtrait pas non plus forcément un essor soudain, car un GREXIT et une perte sévère de la valeur de la monnaie et des actifs sont de nature à générer dans le pays de sérieux troubles sociaux. En réalité, un GREXIT conduirait probablement à une profonde récession, à une hausse du chômage, et de sérieux problèmes de changes (le pays ne disposant que de peu de réserves en devises).

A plus long terme, un GREXIT pourrait poser la question (de façon permanente puisqu’ il y aura eu un antécédent) de l’irréversibilité de la zone euro. Une et indivisible avant, la zone euro changerait de nature et passerait de « véritable union monétaire » à « ensemble de pays en change fixe ayant une monnaie commune qu’ils peuvent abandonner » : une porte ouverte à d’éventuelles attaques spéculatives contre l’euro.

Quels seraient les effets d’un GREXIT sur le Luxembourg ?

Dans le scénario « optimiste », la zone euro ne connait pas de nouvel épisode récessif et au-delà de la perte que constituerait un non remboursement de la Grèce et de quelques séances de bourse agitées, il n’y a pas d’effets de contagion significatifs aux autres pays. Alors, comme l’ensemble des autres pays de la zone, le Luxembourg ne serait impacté que marginalement par un GREXIT.

Dans un scénario pessimiste, le GREXIT plonge la zone euro dans une nouvelle période de turbulence (montée des primes de risque, attaques spéculatives, grande volatilité, les bourses dévissent forcément, montée du chômage, frilosité des investisseurs étrangers envers la zone euro, nouvelle récession). Les perspectives de croissance du Luxembourg (plutôt bien orientées actuellement) s’en trouveraient affectées (notamment par le canal du commerce et de l’investissement en cas de crainte des investisseurs concernant la viabilité de la zone euro).

En vérité, comme toute première fois, personne ne sait anticiper vraiment ce qui se passerait en cas de GREXIT dans les autres pays de la zone euro.

Quelle est l’issue la plus souhaitable?

Le préférable (mais sans doute impossible) serait que la Grèce et les Institutions trouvent un  « commun accord de dernière minute» capable de mettre tout le monde d’accord et éviter la tenue du référendum ; cela voudrait dire que le gouvernement grec et les Institutions ont pu surmonter leur dernier différent, que le plan d’aide serait prolongé au-delà du 30 juin, que la BCE apporterait des liquidités supplémentaires aux banques grecques, que le FMI serait payer à temps, etc.

Le second best serait un référendum avec une large victoire du oui (idéalement soutenu par l’actuel gouvernement), et un accord signé dans la foulée par le gouvernement grec (qui met par la suite en œuvre les réformes consenties dans la cadre de ce nouvel accord) bien assisté par les européens (investissements en Grèce, restructuration de la dette publique grecque, apport de liquidité par la BCE, etc.) ; ou (car c’est une hypothèse à envisager) une victoire du non qui débouche sur un accord assez rapidement entre la Grèce et les Institutions (ce qui suppose implicitement que les deux partis auront mis beaucoup d’eau dans leur ouzo).

Le scénario catastrophe serait une très courte victoire du oui ou du non (du genre 49%-51%) – qui déboucherait sur une crise politique en Grèce -, accompagnée de la double décision des Institutions de ne pas proposer un nouveau plan d’aide et de la BCE de mettre fin au dispositif ELA en faveur des banques grecques. Ce serait sans doute une situation semblable au « chaos » pour la Grèce… et pour la zone euro (puisque la Grèce est – et il est bon de ne pas l’oublier – un membre de la famille…).


[1] Voir: http://blogs.ft.com/brusselsblog/files/2015/06/Table-compromise-250615-Version-CLEAN.pdf

[2] Voir : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-5270_en.htm

Vieillissement au Luxembourg: quel impact sur nos entreprises ? (2/2)

Consommation et vieillissement : un couple harmonieux?

L’incidence du vieillissement démographique sur la sécurité sociale et sur son financement est souvent abordée dans le débat public. Un angle de vue différent, bien que tout à fait complémentaire, a cependant été privilégié par IDEA à travers une série de deux blogs. Le premier blog, publié en mai, visait à étudier l’incidence du vieillissement sur les effectifs des entreprises. Le présent blog tente quant à lui de mieux cerner l’impact du vieillissement sur la consommation privée (niveau absolu et composition par produits).

Effet sur la consommation totale des ménages (sur le chiffre d’affaires des entreprises)

Une théorie souvent évoquée pour appréhender les inflexions, au cours d’une vie, de l’épargne et par conséquent de la consommation des ménages est la « théorie du cycle de vie ». En vertu de cette théorie, l’individu représentatif tend à accumuler une épargne pendant ses années d’activité, en vue de la constitution d’une « poire pour la soif » servant à financer la consommation au cours de la phase ultérieure d’inactivité. En vertu de cette théorie, les personnes âgées auraient dès lors tendance à dépenser une plus forte proportion de leurs revenus que les individus relevant d’autres classes d’âge, de sorte que le vieillissement induirait mécaniquement une diminution de l’épargne globale des ménages. Cette diminution aurait pour contrepartie une consommation privée accrue – donc un surcroît de chiffres d’affaires pour les entreprises nationales et étrangères.

Cette théorie semble séduisante : le vieillissement favoriserait la demande adressée aux entreprises, ce qui permettrait de contrecarrer (partiellement) les répercussions plus négatives du vieillissement – on songe en premier lieu à ses retombées négatives sur les finances publiques et in fine sur la fiscalité. Trop beau pour être vrai sans doute: la théorie du cycle de vie ne semble guère confirmée par les faits, comme le montre (notamment) le graphique suivant élaboré pour la France par l’Insee:

Tableau 1: Taux d’épargne selon la tranche d’âge de la personne de référence

vieillissement

Source : Insee

Le lien entre l’épargne et l’âge irait, selon ce graphique certes franco-français, résolument à rebours de la théorie du cycle de vie. L’épargne tendrait en effet à augmenter avec l’âge – sauf pour la classe 60-69 ans, dont le taux d’épargne décroche légèrement par rapport aux 50-59 ans. Une telle configuration, plutôt contre-intuitive, pourrait refléter l’existence de pensions généreuses – le cycle de vie épargne / désépargne étant bien entendu moins rationnel dans un tel contexte – ou encore la volonté de certains ménages de laisser à leur progéniture un héritage important.

Au total, il semble assez aléatoire de tabler sur un impact significativement positif du vieillissement sur la consommation des ménages. Un effet de rétrécissement du marché pourrait même être observé si l’épargne tendait réellement à augmenter avec l’âge, comme le suggère dans le cas français le graphique ci-dessus.

Effet du vieillissement sur la composition de la consommation / sur le chiffre d’affaires des différents secteurs

L’effet du vieillissement sur la consommation devrait en outre être fort variable d’un secteur économique à l’autre, car la composition de la consommation des personnes âgées tend à différer de celle de classes d’âge plus jeunes.

Ce tableau élaboré par l’Insee – décidément en pointe en la matière – illustre cette assertion. On notera par exemple la décrue relative des dépenses de restauration et hôtels, de la communication, des transports (les dépenses en relation avec l’automobile notamment) ou de l’habillement. Par contre, la part des « meubles, articles de ménages et entretien de la maison » tend à augmenter avec l’âge, les seniors ayant tendance à rester davantage à domicile. Il en est de même de l’alimentation.

Attention toutefois : ces chiffres peuvent également refléter d’autres paramètres que l’âge, dont le niveau des revenus (qui peut décliner en France suite au passage à la pension, les pensions étant moins généreuses qu’au Luxembourg). L’évolution illustrée au tableau pourrait également refléter l’histoire spécifique de chacune des générations (l’impact différé des conflits mondiaux et des privations associées par exemple). De mêmes groupes d’individus devraient idéalement être observés tout au long de leur vie dans le cadre d’études longitudinales de la consommation, ce qui n’est bien évidemment pas le cas dans le tableau ci-joint.

Tableau 2 : Structure des dépenses en fonction de l’âge de la personne de référence – en % en 2011

tableau dépensesSource : Insee

(1) Notamment : biens et services de soins personnels, bijouterie et maroquinerie, dépenses relatives aux gardes d’enfants hors du domicile, assurances et services financiers, divers autres services (services juridiques, cotisations à des associations…).

Un exercice certes peu scientifique à proprement parler mais néanmoins instructif consiste à combiner les coefficients du tableau de l’Insee – en supposant qu’ils sont assez stables d’un pays à l’autre – avec les projections par classes d’âge de la population luxembourgeoise. Ces coefficients pourraient certes être affectés, dans le cas luxembourgeois, par un niveau absolu des pensions nettement plus élevé qu’en France ou par d’autres spécificités luxembourgeoises.

Le point de départ de l’exercice est la projection de référence du Groupe de travail vieillissement du Comité de politique économique, qui prévoit pour le Luxembourg une population d’1 million d’habitants vers 2050 – cette projection faisant l’objet d’une répartition par classes d’âge.[1] Nos calculs, combinant ces éléments d’information et les enseignements du tableau ci-dessus, suggèrent que du seul fait du vieillissement de la population luxembourgeoise (à l’exclusion donc de toute autre effet : croissance économique, hausse de la population – ce dernier effet devrait être assez massif, …), la consommation de produits alimentaires et boissons non alcoolisées augmenterait d’ici 2050 de 3%. A noter également une progression du même ordre de grandeur des biens et services divers (comprenant notamment les services à la personne[2]), des dépenses d’ameublement ou d’entretien de la maison et des dépenses personnelles de santé. Marqueraient surtout le pas l’habillement–chaussures (-4%), les dépenses d’enseignement des ménages (-5%) et la branche restauration–hôtels (-3%).

Ces effets sont finalement assez mesurés (surtout par rapport à l’effet attendu de la forte augmentation de la population), car selon la projection de référence du Groupe de travail vieillissement la population luxembourgeoise vieillirait moins qu’ailleurs au sein de l’Union européenne, à la faveur d’une immigration toujours soutenue. Notons cependant que le Groupe de travail est assez volontariste en la matière : il prévoit un doublement de la population d’ici 2050. Des projections tablant sur une immigration moins forte auraient pour effet d’accentuer les mutations de la consommation liées au vieillissement.

Il importe également de prendre en compte des effets plus qualitatifs du vieillissement. Ainsi, il semble que les consommateurs plus âgés privilégient davantage la qualité des biens et soient moins sensibles aux effets de mode et aux achats compulsifs, ce qui laisse augurer un allongement du cycle de consommation des produits.

Attention par ailleurs: les considérations précédentes se réfèrent à la demande adressée aux firmes nationales et étrangères. Si l’économie nationale s’avérait incapable de faire face aux augmentations de certaines composantes de la consommation mises en exergue ci-dessus, l’écart correspondant entre la demande et l’offre serait assuré par des importations…

Au total, ces considérations suggèrent :

  • que le vieillissement ne devrait guère affecter la consommation globale – pas d’une manière permettant d’amortir l’impact du vieillissement sur les finances publiques en tout cas. La théorie du cycle de vie semble a priori un peu chimérique et par ailleurs ce « gâteau global » que constitue le PIB devrait être négativement affecté par l’augmentation prévue du taux de dépendance démographique – qui implique « toutes autres choses égales par ailleurs » une décélération de la progression de l’offre de travail.
  • que l’évolution des chiffres d’affaires due au vieillissement devrait être différenciée d’une branche à l’autre. Devraient figurer parmi les gagnants les dépenses d’alimentation, les dépenses en relation avec la maison et – c’est quasiment une lapalissade – les services à la personne et la santé. Le tout au détriment des dépenses d’habillement, de transport, de communication ou encore des hôtels et restaurants.

Ces résultats encore exploratoires demandent confirmation. Compte tenu de l’importance cruciale des enjeux (pour les entreprises mais également pour les administrations publiques via les services à la personne par exemple), les pouvoirs publics devraient tenter de mieux cerner les évolutions envisageables. Notamment en reproduisant au Luxembourg les remarquables travaux de l’Insee en la matière.

 


[1]Voir: http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/european_economy/2014/pdf/ee8_en.pdf.

[2] Selon de récentes statistiques du RETEL (http://www.mte.public.lu/retel/Tableau-de-bord-juin-2015.pdf), le secteur d’activité « Santé humaine et action sociale » est d’ailleurs celui où les créations nettes d’emplois ont été les plus élevées en 2014, ce qui montre que la montée en puissance de ces activités est déjà en cours actuellement.

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Digital (4) Education – la stratégie digitale pour former les futurs spécialistes TIC ?

Le Luxembourg – un acteur mondial et un centre international d’excellence dans le domaine des technologies de l’information et des communications (TIC). Ceci est la vision d’avenir du gouvernement et pour réaliser cet objectif, Claude Meisch, Ministre de l’Education nationale, a présenté en mai la stratégie numérique « Digital (4) Education » – qui s’inscrit dans l’initiative Digital Lëtzebuerg qui vise à renforcer et à consolider à terme la position du Luxembourg dans le domaine de l’ICT et de hisser le pays au rang de centre d’excellence « high tech ».

Digital (4) Education est une stratégie digitale qui s’articule autour de cinq dimensions (Digital Citizens, Digital Peer, Digital Learners, Digital Workers et Digital Entrepreneurs) qui se déclinent en des projets spécifiques qui mettent à disposition des acteurs de l’enseignement les outils nécessaires pour créer des situations d’apprentissage favorisant le développement des compétences requises au 21ème siècle que ce soit pour la vie quotidienne ou pour le travail.

Un point intéressant de cette nouvelle stratégie est que pour contrecarrer activement le manque de talents dans le secteur des TIC – on estime qu’il manque actuellement environ 1.000 programmeurs IT au pays et 10.000 dans la Grande-Région – Digital (4) Education prévoit de former les élèves au codage informatique. Avec ce programme co-organisé avec le Service nationale de la jeunesse et le Service de coordination de la recherche et de l’innovation pédagogiques et technologiques, le ministère de l’Education veut stimuler la créativité, développer les compétences digitales des jeunes et instaurer une culture numérique au Grand-Duché. Dans ce contexte, il est intéressant de constater qu’IDEA avait déjà avancé, dans l’Idée du mois n°5 portant sur les résolutions culturelles, une proposition très similaire qui proposait notamment de lancer un vaste programme « le code informatique est aussi important que le permis de conduire », un programme qui aurait comme objectif de familiariser les lycéens avec le code informatique.

De nos jours, il est bien connu que les nouvelles technologies deviennent de plus en plus importantes ; il faut en conséquence adapter notre système scolaire à cette nouvelle donne. Dans ce sens, la volonté du Ministère à répondre à la vague de « digitalisation » pour préparer la nouvelle génération de « digital natives » aux nouvelles exigences et attentes du marché du travail est bienvenue.

Mais quelles seront ces attentes à l’avenir et quels sont les profils recherchés ? D’après une étude sur les « e-jobs »[1] (les emplois dans le secteur des TIC) de l’Institut Universitaire International Luxembourg, le Luxembourg est le pays, parmi tous les pays de l’OCDE, qui présente le plus haut ratio d’activités TIC (ensemble des activités qui permettent de produire, traiter et transformer l’information et la communication en utilisant un procédé électronique) rapporté à son économie. Ceci souligne le fait que les TIC représentent déjà un secteur économique de poids au Luxembourg, mais aussi qu’elles sont indispensables aux autres activités économiques. En outres, l’étude montre que développement des TIC a créé de nouveaux besoins qui ont conduit à de nouveaux métiers qui n’existait pas il y 10 ans[2]. Face à la composition spécifique du secteur des TIC au Luxembourg où 92% des entreprises du secteur sont des entreprises avec moins de 20 salariés, respectivement où 62% des entreprises comptent qu’un seul salarié, les employés sont supposés être pluridisciplinaires et d’assumer plusieurs tâches. Par conséquent, l’employé doit posséder à côté des compétences techniques spécifiques aux métiers ICT, également des compétences sociales, managériales et entrepreneuriales. Selon les auteurs de l’étude, l’employé idéal aura « des bases solides en IT, dispose de compétences comportementales, de soft skills de type organisationnel, de négociation, etc. tout en ayant des compétences business de type stratégique, marketing, finance, légal, etc. ».

Vu que les offres de formation au niveau national ainsi qu’au niveau européen ne prévoient pour l’instant pas encore de programmes certifiés qui combinent les trois volets de compétence – les compétences comportementales, managériales et business – le Luxembourg pourrait faire partie des « first mover » dans ce domaine en offrant une telle formation dans son programme universitaire. Les avantages d’une telle formation, organisée en étroite collaboration entre l’Université et les entreprises du secteur TIC, seraient multiples : les étudiants profitent d’une formation qui satisfait les exigences du marché du travail et les attentes des entreprises qui font parti du programme et qui donnent aux étudiants la possibilité d’apprendre directement sur le terrain ; et les entreprises auraient ainsi la possibilité de contribuer davantage à la conception des cours pour soutenir ainsi le développement de l’économie et de l’employabilité des diplômés.

La nouvelle stratégie numérique est donc certainement un premier pas dans la bonne direction, mais probablement pas suffisant pour préparer les jeunes au mieux aux défis du marché du travail et, donner envie aux jeunes à poursuivre leurs études dans le domaine des TIC pour devenir les spécialistes TIC de demain dont le Grand-Duché aura besoin.


[1] http://www.iuil.lu/uploads/documents/files/e-jobs-rapport-final-light.pdf

[2] Selon l’étude « e-jobs », les profils recherchés à l’avenir se trouvent dans les domaines de la Sécurité, du Cloud, de la Gestion de données (Business intelligence et Big Data) et du Développement d’applications mobiles.

Dossier thématique sur l’Europe

A l’occasion de la 12e présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne qui commencera le 1er juillet 2015, la Fondation IDEA asbl a l’honneur de vous préseter un dossier thématique sur l’Europe. Il reprend un ensemble de contributions réalisées par IDEA qui traitent de l’Union européenne, de la zone euro et du nation branding.

Au total, ce dossier contient quatre « Idées du mois » ainsi que trois contributions blog – des publications qui portent sur des thèmes très variés comme notamment la situation actuelle de la zone euro, les écarts des performances économiques entre la zone euro et les Etats-Unis, la stratégie européenne « Europe 2020 », l’image de marque du Luxembourg, le Plan d’investissement dit « Plan Juncker », le Pacte de stabilité et de croissance, ou encore le risque de déflation au sein la zone euro.

Commander le dossier thématique Europe à info@fondation-idea.lu

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Chômage : un mal dominant !

La question du chômage est au cœur des réformes engagées et envisagées au Luxembourg. Ainsi, dans le dernier Programme national de réforme du Grand-Duché il est dit que « le risque d’un chômage élevé est devenu une préoccupation de premier plan ». Alors que la croissance du PIB et de l’emploi seraient à des niveaux « convenables » au moins jusqu’en 2019 au Luxembourg, le taux de chômage (actuellement 6,9%) pourrait progresser jusqu’à tutoyer les 8%. C’est là une indication qu’il est peu probable que l’on observe un retour rapide du taux de chômage luxembourgeois vers les taux d’avant crise. Comment lutter, efficacement, contre ce chômage dont la composante structurelle ne cesse d’augmenter ?

Au Luxembourg, le chômage revêt des réalités multiples. Il varie ainsi du simple au double entre les cantons de Grevenmacher et d’Esch ; il touche plus souvent les résidents étrangers (taux de chômage de 7,5% pour les résidents étrangers ressortissants de l’UE, 14% pour les ressortissants de pays tiers) que les Luxembourgeois (taux de chômage de 3,5%) ; concerne principalement des actifs non ou peu qualifiés (le taux de chômage est de 10% chez ceux qui ont au maximum un niveau d’éducation secondaire inférieur, et de moins de 4% chez ceux qui ont un diplôme de niveau tertiaire) ; et menace davantage les jeunes (dont le taux de chômage est plus élevé que la moyenne de la population active) et les seniors demandeurs d’emploi (qui ont plus de difficulté à retrouver du travail que la moyenne).

Il est un fait que la bataille contre le chômage est « compliquée », et que le « problème » du chômage est difficile à résoudre (sinon il aurait déjà été réglé). Puisque le chômage est multiforme (frappe les jeunes, les moins qualifiés, les résidents étrangers), il en résulte qu’il n’y a pas de remède unique au problème. Il ne suffit donc pas d’augmenter (ou de diminuer) la protection de l’emploi, ni de miser sur l’amélioration de la conjoncture économique, pour remédier au niveau de chômage relativement haut que connaît le Luxembourg (plus de 18.000 chômeurs, plus de 20.000 demandeurs d’emploi en incluant les personnes affectées à une mesure pour l’emploi). Les sources du chômage sont multiples, les solutions à envisager doivent en conséquence comporter plusieurs dimensions et se penser sur plusieurs horizons.

A court terme, le principal enjeu pour les pouvoirs publics luxembourgeois, en ce qui concerne la lutte contre le chômage, est d’arriver à intégrer sur le marché du travail les moins qualifiés. Les expériences internationales montrent que les initiatives qui fonctionnent en ce sens combinent : baisse du coût du travail des travailleurs les moins qualifiés (via des allègements de cotisations sociales ou des salaires minimum différenciés (par âge, branches, durée de chômage, etc.)), des incitations à prendre un emploi (y compris des « petits-boulots ») (logique d’insertion pour éviter tout éloignement prolongé du marché du travail), la formation (avec l’objectif de faire remonter la productivité des travailleurs les moins qualifiés). Le grand écart qui existe entre les salaires minimum au Luxembourg et dans les régions limitrophes fait que toute action sur le coût du travail au voisinage du salaire social minimum devrait être de très grande ampleur pour avoir un impact significatif sur l’emploi des peu qualifiés résidents. Parce qu’une telle démarche est peu probable, les mesures d’incitation et la formation sont les alternatives à privilégier. L’incitation au retour à l’emploi suppose de pousser à la recherche active d’emploi les chômeurs indemnisés (renforcement des contrôles), de  « récompenser » le retour à l’emploi des plus modestes, de décourager l’inactivité (en parvenant à augmenter le nombre de chômeurs bénéficiant du RMG participant à des activités d’insertion par exemple), et de s’assurer que les prestations sociales ou le système de taxation n’agissent pas comme des trappes à inactivité (à cet égard, les effets de débordement de l’augmentation prévue de la subvention loyer sont à surveiller). S’agissant de la formation à direction des chômeurs, il semble que malgré la richesse de l’offre (qui émane d’organismes privés, d’asbl, de Chambres professionnelles), elle ne touche pas nécessairement sa cible ; il y a sans doute une « rationalisation » à effectuer en ce sens. Dans un premier temps, une vaste réflexion sur le sujet (dans le cadre des débats en cours sur la maison de l’orientation par exemple) serait bienvenue.

A moyen terme, il convient d’améliorer la capacité de l’enseignement à préparer les jeunes à entrer directement dans la vie active (notamment en rapprochant l’école de l’entreprise et en anticipant les besoins en main d’œuvre de demain), d’afficher des objectifs quantitatifs et qualitatifs en termes de contrats d’apprentissage signés (afin de pouvoir piloter au mieux cette politique), de valoriser et populariser certaines formations en lien avec des secteurs porteurs qui rémunèrent souvent au voisinage du salaire minimum (construction, Horeca, agents de sécurité, agents de nettoyage), de prendre des mesures « ciblées » sur les jeunes dans des familles touchant le RMG afin de minimiser leur risque d’échec scolaire, de matérialiser l’objectif d’offrir la plus large palette d’alternatives possibles aux décrocheurs (école de la deuxième chance, alternance, accompagnement renforcé vers l’emploi via la Garantie pour la jeunesse, etc…)

A plus long terme, il faut parvenir à gommer les différences de niveau très marquées parmi les élèves en fonction de leur niveau socio-économique et le déterminisme dans l’orientation des élèves suivant leur « background » social. Aussi (et surtout), il faut œuvrer à conserver et renforcer la position compétitive et attractive du Grand-Duché afin que le territoire, dont la population active est en constante hausse, puisse continuer à fournir des possibilités d’emplois au plus grand nombre.

S’agissant des seniors, les réformes, certes bienvenues, visant à augmenter leur taux d’activité (réforme du système de pension, réformes des systèmes de préretraite) risquent d’augmenter à l’avenir leur probabilité de se retrouver au chômage. Pour éviter que ce risque ne se matérialise et que de plus en plus de seniors connaissent un épisode de chômage entre leur dernier emploi et la retraite, il faut que le vieillissement actif soit un vieillissement productif.  Cela pose donc la double question du niveau de qualification des (futurs) seniors et du coût du travail (l’indexation automatique des salaires tirant, de jure, la rémunération à la hausse avec l’ancienneté). Concernant les seniors chômeurs (actuels), leur profil (seulement 11% ont un diplôme de niveau supérieur, 42% font l’objet de reclassements externes ou sont reconnus comme travailleurs handicapés, près de 60% ont déjà passé plus de 12 mois au chômage) laisse supposer que certains d’entre eux ont une probabilité très faible de réintégrer le marché « régulier » du travail ; l’intérim pourrait être alors un moyen de les « réactiver » ; pour ceux qui ont une bonne probabilité de retrouver un emploi, il faudrait leur réserver un traitement particulier (conseillers Adem spécialisés dans le chômage des seniors, contact fréquent avec l’Adem, place prioritaire dans les placements dans le cadre du programme « entreprises partenaires de l’emploi », activités sportives, etc.) afin d’augmenter encore davantage leur probabilité de réintégration du marché du travail.

La lutte contre le chômage est, notamment depuis la crise, l’une des priorités du Luxembourg. Que le taux de chômage soit encore proche des 7%, en dépit des efforts répétés et des moyens consentis, démontre à quel point le problème est complexe. Ce texte se veut une « modeste contribution à la cause.