Zurich, le 15 janvier 2015. La Banque Nationale Suisse a abandonné le cours plancher du franc suisse face à l’euro, dans la stupeur générale, en prévision de l’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE) qui était imminent (22 janvier). Cette décision qui a fait couler beaucoup d’encre est assez emblématique du comportement de diverses Banques centrales, qui désormais réagissent les unes aux décisions de politique monétaire des autres et sont pour certaines en plein « dilemme ». En apparence, les Banques centrales ne coordonnent plus vraiment leurs actions et se livrent à une guerre (monétaire) froide, preuve que l’économie mondiale est, de toute évidence, encore incapable de fonctionner sans « stimuli ».

Ayant mis un terme à son 3ème assouplissement quantitatif (QE3) en octobre 2014, il était largement attendu que la Fed poursuive la normalisation de sa politique monétaire en remontant son taux directeur au premier semestre 2015 ; et ce d’autant plus que l’économie américaine est proche du plein emploi et les marchés boursiers américains particulièrement bien orientés. La décision de la BCE de lancer à son tour un assouplissement quantitatif (dont le premier effet a été d’affaiblir l’euro face au dollar) a semblé modifier la fonction objective de la Fed. La nouvelle « cherté » du dollar est vue comme une raison valable de repousser la première hausse de taux (la Fed n’est pas « impatiente » de sortir de sa politique de taux bas). Et pourtant, la hiérarchie entre les taux d’intérêt et la croissance des Etats-Unis – favorable à la formation de bulles financières – plaide pour un resserrement de la politique monétaire américaine.

Les autorités monétaires de certains pays émergents, qui connaissent une inflation élevée et un ralentissement de leur croissance sont également en plein « conflit d’objectifs ». La Banque centrale russe, dans le but de freiner la chute du rouble et la sortie des capitaux du pays, a dans un premier temps augmenté son principal taux directeur de 5,5% à … 17% entre février et décembre 2014. Mais compte tenu du biais récessif de cette orientation de la politique monétaire, elle a emprunté le chemin inverse depuis le début de l’année, en faisant passer son taux directeur de 17% à 14% entre janvier et mars. La Banque centrale brésilienne devrait, quant à elle, suivre le même parcours (avec quelques mois de retard). Entre septembre 2014 et mars 2015, elle a procédé à 5 hausses de son taux directeur, qui est de la sorte passé de 11% à 12,75%. Mais compte tenu de la situation actuelle de l’économie brésilienne (risque de récession, politique budgétaire restrictive), elle risque de devoir revenir, tout comme la Banque centrale russe, à une stratégie différente et abaisser son taux directeur (malgré l’inflation persistante). La Chine (où les perspectives de croissance sont moins flamboyantes que par le passé) et l’Inde (où le taux d’inflation est en dessous de la valeur cible) ont également desserré leur politique monétaire, en dépit de l’existence d’une bulle du crédit en Chine et malgré le fait que les anticipations d’inflation demeurent élevées (et donc mal ancrées) en Inde.

En Europe, les Banques centrales du Danemark, de la Bulgarie, de la République tchèque, et de la Suède ont déjà vivement réagi aux décisions du 22 janvier de la BCE en lançant leur propre assouplissement (taux négatifs, achats d’obligations souveraines, intervention massive sur le marché des changes) afin de stabiliser (affaiblir dans certains cas) leur monnaie.

Plus généralement, 23 Banques centrales ont abaissé (au moins une fois) leur taux directeur entre janvier et février 2015 au niveau mondial, contre 11 sur la même période en 2014[1]. Le risque de déflation semblant s’atténuer début 2015, ce nouveau cycle d’assouplissement monétaire s’apparente à une « guerre des Banques centrales » qui ne dit pas son nom. Il pose également des questions auxquelles il est impossible de répondre actuellement : quelle est la limite à l’ « inventivité » des Banques centrales[2]? Quels seront in fine les effets de ces torrents de liquidité bon marché qu’elles déversent ?

L’excès de liquidité, ayant comme l’excès d’alcool son lendemain inévitable, le pire (nouvelles bulles d’endettement, valorisation excessives des marchés financiers, guerre des monnaies, dévaluations compétitives, protectionnisme déguisé, etc.) n’est pas improbable…


[1] http://www.centralbanknews.info/2015/03/monetary-policy-week-in-review-feb-23.html?utm_source=dlvr.it&utm_medium

[2] La généralisation des taux négatifs pratiqués par les Banques centrales est une « curieuse » nouveauté.

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