Pacte de stabilité: sortir du piège de la complexité

La Commission européenne a le 13 janvier 2015 présenté de nouvelles orientations (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-3220_fr.htm), visant à « clarifier » le traitement, dans le cadre de la gouvernance et de la surveillance européennes des finances publiques, des réformes structurelles, des investissements et des cycles économiques. Il s’agit là d’une « énième refonte » des règles du jeu (ou plutôt de leur interprétation) en la matière, que le présent blog va tenter de remettre en perspective.

Un peu d’histoire tout d’abord…

La gouvernance budgétaire européenne repose principalement sur cet élément fondateur que constitue le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Le PSC a pour l’essentiel été établi en 1997 et il est entré en vigueur en 1999. Il a fait l’objet d’une importante réforme en 2005, sous la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne (UE) et suite à des pressions de l’Allemagne et de la France, qui voulaient s’affranchir des contraintes du PSC initial – dérapage des déficits et des dettes par rapport à la philosophie initiale oblige. Cet « aggiornamento » de 2005 poursuivait officiellement l’objectif d’un PSC plus « intelligent » et plus « flexible », censé favoriser une meilleure prise en compte notamment du contexte économique d’ensemble, des réformes structurelles et des investissements – précisément les points qui ont fait l’objet des nouvelles orientations de la Commission de janvier 2015. L’histoire a donc bien tendance à se répéter. La réforme de 2005 est apparue dans la droite ligne de la déclaration d’octobre 2002 de Romano Prodi, qui affirmait alors – en tant que Président de la Commission européenne – que « le Pacte de stabilité est stupide, comme toutes les décisions rigides ». Même si elle poursuivait certains objectifs louables, la réforme de 2005 a contribué à compliquer une gouvernance budgétaire européenne déjà passablement complexe.

Dans le sillage de la crise économique et financière, particulièrement virulente en 2009, le PSC a encore été étoffé et complété de 2011 à 2013 par le « Six-Pack » (cinq règlements et une directive sur les cadres budgétaires nationaux), le « Two-Pack » et le Traité (intergouvernemental) sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG), signé par tous les Etats membres de l’UE sauf le Royaume-Uni et la République tchèque. Le TSCG (qui renferme le Pacte budgétaire, prévoyant une surveillance plus étroite et des sanctions plus automatiques) a été transposé en droit luxembourgeois essentiellement par la loi du 12 juillet 2014 relative à la coordination et à la gouvernance des finances publiques. Les trois principaux aspects de cette loi sont l’ancrage en droit luxembourgeois de l’objectif de solde structurel « équilibré » (« règle d’or »), du « mécanisme de correction d’erreurs » et enfin l’institution d’un organisme national indépendant de surveillance budgétaire, le Conseil national des finances publiques (CNFP).

Ces refontes successives, qui ne se sont pas accompagnées d’un effort équivalent de consolidation des textes, ont donné lieu à un ensemble relativement indigeste et illisible, comportant nombre de redondances et échappant à la compréhension des experts les plus érudits. On se bornera à citer quelques exemples, qui montrent que la gouvernance budgétaire européenne repose sur plusieurs strates intimement imbriquées, une complexité croissante se manifestant aux différents niveaux. Les lignes qui suivent mettent l’accent sur l’articulation économique de ces différentes strates et non à proprement parler sur l’agencement juridique de ces règles. Elles ne font par ailleurs qu’esquisser le cadre de gouvernance.

  • Un premier jalon, qui constitue en quelque sorte la pièce maîtresse de tout l’édifice de surveillance budgétaire, est le seuil dit « de Maastricht» d’un déficit effectif – c’est-à-dire observé – des Administrations publiques n’excédant pas 3% du PIB. En cas de violation de cette valeur de référence de 3%, un mécanisme dit « correctif » de correction des déficits est déclenché (volet correctif du PSC). Sauf « circonstances atténuantes » (les « facteurs pertinents », pouvant être invoqués par les autorités européennes ou nationales) et dérapage temporaire, limité et exceptionnel des déficits par rapport au seuil des 3%.
  • A ce solde de 3% correspond un second critère « de Maastricht», portant cette fois sur l’endettement (la fameuse limite des 60%). Avant la réforme de 2005 du PSC, cet objectif était en pratique largement subordonné à l’objectif des 3%. Le critère d’endettement a cependant été activé par le « Six-Pack » de 2011, selon une formule pour le moins compliquée dont la seule description épuiserait déjà l’espace dévolu au présent blog.
  • Le volet « préventif» du PSC : afin de circonscrire au mieux toute éventualité de violation du critère de 3%, les Etats membres doivent graduellement converger vers l’équilibre budgétaire ou, pour utiliser la « novlangue » actuellement en vogue, vers un « objectif budgétaire à moyen terme » (OMT). Attention : cet OMT ne correspond pas à l’équilibre budgétaire au sens strict – soit un solde public effectif de 0% du PIB. Il varie d’un pays à l’autre, en fonction notamment des caractéristiques économiques nationales et du taux d’endettement, autour de cet équilibre sensu stricto. Au Luxembourg, par exemple, l’OMT est actuellement un surplus des Administrations publiques de 0,5% du PIB.
  • Plus important encore : l’OMT, qui s’est suite au TSCG transmuté en une « règle d’or» ne correspondant au passage nullement à la « règle d’or » chère aux classiques (qui n’est autre que le solde budgétaire hors investissements publics), est calculé en termes structurels. Schématiquement, au moyen de méthodes économétriques déjà passablement complexes et très sensibles aux statistiques utilisées, l’OMT est expurgé de l’incidence budgétaire de la conjoncture économique. L’intention est une fois de plus louable : les soldes budgétaires sont artificiellement flattés en période de haute conjoncture et se détériorent mécaniquement durant les creux conjoncturels. Ce retraitement statistique présente cependant un inconvénient de taille: la pierre angulaire actuelle de la surveillance budgétaire européenne (la « règle d’or ») est une variable calculée au moyen de logiciels économétriques, qui repose sur la notion de croissance potentielle et n’est par conséquent pas du tout observable. Le solde structurel calculé de la sorte peut être affecté par des aléas méthodologiques ou par des révisions statistiques – ces dernières étant difficilement évitables, surtout dans de petites économies très ouvertes. Les soldes structurels ont leur utilité, mais ils devraient être utilisés avec circonspection dans un tel contexte et non pour effectuer de multiples « réglages fins » de la politique budgétaire. Leur calcul doit en outre reposer sur des méthodes robustes et pleinement transparentes.
  • La trajectoire vers l’OMT: le solde des Administrations publiques corrigé de la conjoncture (et des mesures temporaires) doit tendre vers l’OMT, à une vitesse prédéterminée. Schématiquement une fois encore, un Etat membre doit améliorer son solde structurel – donc « non observable » comme expliqué ci-dessus – à raison de 0,5 point de PIB par an tant qu’il n’a pas rejoint son OMT (ce taux de 0,5% est ajusté en fonction de la conjoncture ou en cas d’endettement élevé). S’ajoute à ce critère une norme de dépenses des Administrations publiques, qui n’est dans les faits pas vraiment une norme de dépenses, puisque ces dernières sont (notamment) expurgées de l’impact des nouvelles mesures adoptées en matière de recettes publiques… Cette norme devrait à l’évidence être (fortement) simplifiée et devenir une norme de dépenses à part entière.
  • Le mécanisme de correction d’erreurs se situe encore une étape plus loin : un écart donné par rapport à l’OMT ou par rapport à la trajectoire vers l’OMT (soit vers la « règle d’or ») doit être éliminé au plus vite, en fonction de modalités pouvant légèrement varier d’un pays à l’autre. Le tout, une fois encore, par rapport à un indicateur non observable et susceptible d’être révisé ex post, à cause de révisions statistiques ou pour des raisons relevant de la méthodologie de calcul des soldes structurels. Dans les différents Etats membres, une instance indépendante (il s’agit du CNFP au Luxembourg) est chargée de veiller à l’application de ce mécanisme de correction d’erreurs (MCE). Sa tâche ne sera pas aisée : il lui faudra appréhender correctement le solde structurel, puis vérifier que son évolution est conforme. Dans le cas contraire, cette instance indépendante devra activer le MCE, ce qui amorcera de nouvelles mesures de consolidation budgétaire. Il est tout à fait possible qu’elle déclenche ce mécanisme, pour constater ex post – sur la base de nouvelles statistiques sur les finances publiques, de chiffres révisés du PIB, d’une nouvelle estimation de la croissance potentielle ou suite à un quelconque aléa méthodologique – qu’en définitive la trajectoire d’évolution vers l’OMT était tout à fait conforme… Une correction « ex post » de sens opposé (dérapage par rapport au MCE constaté trop tard) est bien entendu tout aussi concevable.

Si l’OMT et la « règle d’or » sont non observables, ils peuvent par contre donner lieu à des actions concrètes : par exemple l’activation du MCE, ou même à terme (et il est vrai en l’absence répétée de réactions gouvernementales) à l’application de sanctions à l’encontre d’un Etat membre. Les nouvelles orientations récemment publiées par la Commission européenne se situent dans le prolongement de ces réformes. Elles reposent sur (1) une prise en compte mieux balisée des réformes structurelles, (2) une spécification accrue des règles relatives aux investissements et (3) une prise en considération plus fine des cycles économiques, soit trois aspects déjà considérés lors de la réforme de 2005 mais faisant désormais l’objet de « clarifications ». La nouvelle interprétation du PSC doit en principe permettre d’assurer une mise en œuvre plus souple (encore) de la gouvernance européenne des finances publiques, mais cet assouplissement s’effectue généralement dans des limites très étroites, du moins sur papier. Ces précautions ne sont pas inutiles, au vu des dérapages budgétaires observés par le passé. Mais dans ce cas, quelle est la « valeur ajoutée » réelle des multiples et complexes amendements au PSC ?

Ainsi, la clarification de la « clause d’investissement », qui constitue l’une des figures de proue des « clarifications » du 13 janvier, prévoit que les Etats membres peuvent temporairement s’écarter de l’OMT ou de la trajectoire vers cet objectif, avec toutefois plusieurs cercles concentriques de limites : (1) un creux conjoncturel marqué ; (2) une marge de sécurité suffisante par rapport au critère « Maastricht » de 3% du PIB et ne pas excéder ce seuil; (3) des niveaux totaux d’investissement devant augmenter en conséquence ; (4) les investissements nouveaux doivent être éligibles (cofinancement par l’UE par exemple); (5) l’écart par rapport à l’OMT doit être compensé dans le cadre des programmes de stabilité ou de convergence.

De même, les Etats membres sont encouragés à accroître leurs contributions au « Plan Juncker » d’investissements (voir à ce sujet http://www.fondation-idea.lu/2014/11/27/le-plan-juncker-dinvestissements-un-utile-jalon-qui-devrait-cependant-etre-renforce/), ce qui est tout à fait bienvenu. Ces contributions ne seraient  pas prises en compte dans la définition des trajectoires requises d’ajustement budgétaire (soit pour ramener le déficit à 3% ou en deçà, soit pour rejoindre l’OMT). Cependant, cette clause ne permettra de prévenir le déclenchement de la procédure de déficit excessif (déficit supérieur à 3% du PIB) que « pour autant que l’écart soit mineur et présumé temporaire »…

Autre illustration du grand écart entre une créativité débordante et des limites extrêmement étroites : la clarification de la prise en compte des réformes structurelles. Est réaffirmé le principe selon lequel un écart budgétaire par rapport à l’OMT (ou par rapport à la trajectoire vers l’OMT) ou une prolongation du délai de correction des déficits excessifs peuvent être tolérés, mais pour autant que l’écart en question soit dû à la mise en œuvre de « réformes structurelles » majeures ayant des « effets budgétaires positifs à long terme qui soient démontrables ». Reste à voir comment on peut démontrer de tels effets à long terme, sur la croissance potentielle par exemple. Sur cette base, ne pourrait-on pas affirmer par exemple qu’une augmentation (certes majeure) des dépenses de garde d’enfants devrait être déduite de tout écart par rapport à l’OMT car en incitant les mères à travailler, ces dépenses vont conforter la croissance potentielle future ? Des questions similaires peuvent se poser pour toute réforme potentielle, tant l’effet sur la croissance à long terme est difficile à appréhender.

On ouvre donc une fois de plus une véritable boîte de Pandore en définissant de manière ouverte les « réformes structurelles », concept vague s’il en est. Pour « limiter les dégâts », diverses digues ont été érigées afin de contrer les conséquences potentielles de cette initiative (écarts temporaires, ne pouvant dépasser 0,5% du PIB, marge de sécurité par rapport aux 3% qui ne peuvent par ailleurs être dépassés, OMT à atteindre dans les 4 ans suivant l’activation de la clause, monitoring des réformes, …).

On ne remettra nullement en question ici la nécessité d’une gestion rigoureuse des finances publiques, surtout en période de haute conjoncture. Mais on notera que les autorités européennes continuent à compliquer à outrance le cadre budgétaire européen, tout cela pour un assouplissement passablement étriqué du cadre budgétaire. Pour utiliser un jargon d’économiste, ces autorités semblent ignorer l’indispensable compromis (« trade-off ») entre la complexité du cadre et son contenu effectif (sans parler de sa mise en œuvre sur le terrain). L’idéal serait un cadre simple renfermant des règles fortes. L’aboutissement d’un processus de refonte et de réinterprétation sans fin est un cadre extrêmement complexe renfermant des règles édulcorées et instables.

Les orientations publiées le 13 janvier dernier s’inscrivent dans cette « tradition », même si l’intention de la Commission, tout à fait louable, est de clarifier l’application des différents critères. Elles pourraient au demeurant donner l’impression que les règles de gouvernance peuvent varier au gré des circonstances.

Tout se passe comme si les autorités nationales et européennes n’avaient toujours pas tranché le débat « règles versus discrétion », pour recourir à un anglicisme souvent utilisé en économie. Le choix initial de ces autorités a plutôt consisté à privilégier les « rules » (critères de 3 et 60%, clairement définis et observables), c’est-à-dire à opter pour un ensemble de règles assez facilement applicables, certes selon des procédures déjà assez lourdes et formelles. On a cependant assisté par la suite à l’émergence graduelle, par touches successives, d’un cadre s’appuyant en apparence sur des « règles » mais obéissant dans les faits à l’idée un peu fallacieuse selon laquelle il convenait de coller au plus près à des circonstances en perpétuelle évolution. Un chien qui tente de mordre sa queue en quelque sorte…

Le résultat : un véritable dédale, qui échappe à la maîtrise des experts les plus avertis. Il en résulte a fortiori une appropriation par l’opinion publique tout à fait inexistante, ce qui contribue à accentuer le déficit démocratique et à accroître la défiance de la population vis-à-vis de l’indispensable responsabilité budgétaire. Les résultats des élections dans divers pays de la zone euro ne mettent pas en exergue une adhésion particulièrement inconditionnelle au cadre de gouvernance budgétaire européen…

Les efforts de consolidation budgétaire sont pourtant nécessaires : le ratio de dette publique a selon la Commission atteint près de 95% du PIB dans la zone euro en 2014, avec des pointes de 176% en Grèce, 132% en Italie, 128% au Portugal, … Il s’y ajoute l’impact prévisible du vieillissement de la population : « no place for complacency »…

Quels éléments de « solution » ? Selon l’adage « less is more », probablement un retour à l’esprit d’origine du PSC, en élaguant au maximum les règles d’exception, dont la portée est d’ailleurs souvent restreinte comme souligné supra. S’impose particulièrement une refonte/coordination/consolidation/simplification des textes et procédures existants – le critère décisif étant que le tout doit être raisonnablement maîtrisable par l’opinion publique. Un cadre bâti sur des règles, des exceptions, des contre-exceptions, des calculs faits plus ou moins en vase clos et potentiellement divergents d’une source à l’autre est intrinsèquement instable. Un tel cadre budgétaire, trop compliqué et en chantier permanent en fonction d’impératifs politiques divers, ne peut être réellement crédible et applicable.

Enfin, une application du cadre de gouvernance empreinte de la plus grande orthodoxie en période de haute conjoncture est essentielle. L’expérience grecque, notamment, montre qu’il est pour le moins difficile – sinon impossible – de restaurer des finances publiques excessivement dégradées en période de basse conjoncture. D’autant que les multiplicateurs budgétaires tendent à être plus élevés durant une telle période : il en résulte un impact bien amoindri de la consolidation sur les déficits, un déclin du PIB qui « gonfle » les ratios d’endettement, etc. Seule une action résolue et correctement expliquée, dans le cadre d’une gouvernance transparente et menée à bien surtout en période de haute conjoncture, permettrait de prévenir de tels effondrements économiques et sociaux.

La Commission européenne en est pleinement consciente : ses orientations du 13 janvier renferment une matrice précisant les efforts budgétaires attendus en périodes de basse et haute conjoncture et prévoyant en particulier une intensification des efforts en cas de conjoncture favorable. Il reste cependant à voir comment cette « matrice » (qui connaît d’ailleurs trois nuances de situation conjoncturelle défavorable et seulement une nuance neutre et une positive…) sera effectivement mise en œuvre, d’autant qu’elle repose sur la notion non observable d’ « output gap » ou « écart de production », susceptible de subir de nombreuses révisions ex post. Il serait plus important à cet égard d’appliquer quand il se doit les sanctions prévues. L’application (équitable) de ces dernières serait autrement plus utile en période de haute conjoncture que lors des phases descendantes du cycle économique. En d’autres termes, il faudrait privilégier une application contra-cyclique des sanctions (qui sont à ce jour toujours restées lettre morte). Pour que les digues de la rigueur budgétaire tiennent le coup en cas de tempête, elles doivent être renforcées lorsque le temps est clément. Elles doivent par ailleurs être à la fois flexibles et robustes (sur le principe « le roseau plie mais ne rompt pas »).

« Last but not least » : un élargissement significatif du champ d’action du budget européen, qui ne porte actuellement que sur 1% environ du PIB de l’Union européenne, constituerait une modalité de coopération budgétaire entre Etats membres particulièrement efficace et transparente…

Merken

Krise der Gesundheitsversorgung – eine Chance für Luxemburg

Versteht man Gesundheitsversorgung, so wie die Erziehung, als “Sachleistungen” entwickelter Demokratien an ihre Bürger, sozusagen als ausgleichendes Element einer zunehmenden Polarisierung zwischen armen und reichen Bürgern (OXFAM International, 2014), so ist das westliche Gesundheitssystem nicht mehr gesund.

Seine „Ökonomisierung“ hat nicht nur den Beruf des Arztes zu einem “Geschäftsmodell” auf einem “Medizinmarkt” gemacht, sondern führt zunehmend zu einem “unlogischen”, inhumanen und ungerechten Versorgungssystem, ohne seine primären ökonomischen Ziele der Kosten- und Qualitätskontrolle zu erreichen. Der jahrzehntelange Fokus auf das Krankenhaus als „pseudoindustriellen Betrieb“ und die Vernachlässigung der regionalen, ambulanten und chronischen Versorgung hat bereits jetzt in vielen Ländern eine sozial und regional zerrissene Versorgungssituation geschaffen, die politisch problematisch wird.

Der Autor dieses Blogs plädiert in einem kürzlich veröffentlichen Buch dafür, diese Krise als Chance für eine grundlegende Neuausrichtung zu verstehen, bei dem auch in der Gesundheitspolitik die Begriffe der Nachhaltigkeit, der Subsidiarität und der Suffizienz eingeführt werden (STEIN, 2014) . Er stellt ein globales Konzept vor, in dessen Zentrum die Metamorphose des Akut-Krankenhauses alter Schule in eine schlanke, modulare und regional vernetzte Struktur steht unter dem Leitmotiv “ambulant vor stationär” und “Synergie statt Konkurrenz” – mit der Perspektive, die Region und ihre Menschen wieder in den Mittelpunkt sowohl einer sozialen wie auch ökonomischen Aktivität zu stellen.

Luxemburg könnte hier mit seinem rein solidarisch finanzierten Gesundheitssystem, seinem bislang universellen Zugang zu qualifizierter Pflege und Medizin und seinen traditionellen Vorteilen der kurzen Wege und der pragmatischen und kulturübergreifenden Herangehensweise europaweit punkten – wenn es eine Reihe strategischer Fehler der letzten Jahre korrigiert und eine realistische Analyse seiner Stärken und Schwächen vornimmt.

So wie eine kleine Volkswirtschaft unterliegt auch ein kleines Gesundheitssystem spezifischen Gegebenheiten wie einem geringen Volumen seltener und komplexer Krankheitsbilder, sozusagen einem fehlenden „Skalierungseffekt“, der Abhängigkeit von ausländischem Know-how in Form des Imports oder „Re-Imports“ von Ärzten und Gesundheitsberufen und einer insgesamt höheren Volatilität des Systems.

Anders als die großen Flächenländer muss Luxemburg klare politische und organisatorische Prioritäten definieren:

  • Priorität für die regionale und wohnortnahe, oft ambulante Versorgung der gesamten Bevölkerung und Konzentration hochkomplexer Leistungen in ein Zentrum oder ins Ausland
  • oder die Schaffung attraktiver medizinischer Zentren mit überregionaler Bedeutung , die aber dann notwendigerweise die Basisversorgung und den Zugang zur Medizin reduziert.

Hier sind in den letzten „fetten“ Jahren aufgrund fehlender Strategiebildung manche Dinge falsch gelaufen, so hat man nicht das enorme Potential einer einheitlichen Krankenversicherung CNS in Punkto Kosten-und Qualitätstransparenz ausgeschöpft. Der Krankenhaussektor wurde personell, finanziell, organisatorisch und vor allem administrativ ausgebaut, ohne ein klares Gesamtkonzept der medizinischen Versorgung mitzuliefern, im Gegenteil, man lieferte sich noch inner-luxemburgische Konkurrenz und setzte falsche Anreize. Und ein Herzstück des luxemburgischen Modells, die europaweit vorbildliche Verzahnung ambulanter Medizin mit dem Krankenhaus, über die Regionen , den Belegarzt und die kurzen Wege wurde vernachlässigt, nicht intelligent weiterentwickelt und letztendlich marginalisiert. Dieses findet seinen Niederschlag in der aktuellen Krise der pädiatrischen und der regionalen geburtshilflichen Versorgung (FEIST, 5.12.2014).

In Wirklichkeit ist die globale und die luxemburgische Krise der Gesundheitsversorgung eine riesige Chance für das Land – warum?

  1. Intelligente regionale Gesundheitsversorgung ist sowohl ein neuer Wirtschaftsfaktor wie auch bei ca. 300 Regionen der EU ( NUTS level 2) ein denkbarer Faktor von Technologie- und Wissens-Transfer.
  2. Sinnvolle politische und administrative Reformen sind bei entsprechender Unterstützung der „Major Player“ eher zu realisieren , als in großen Flächenstaaten – wie die Fusion der Kranken- und Pflegeversicherung und der Sozial- und Gesundheitsdienste nach skandinavischem Vorbild, die konsequente Kosten- und Qualitätstransparenz auf dem Niveau der CNS und IGSS oder die Fusion der derzeit wuchernden Unterstützung-Strukturen und Logistik für Krankenhaus und Gesundheitseinrichtungen.
  3. Der konsequente Bottom-Up Ansatz der im Buch beschriebenen Gesundheitsversorgung (STEIN, 2014) – von zu Hause über die konsequente ambulante Behandlung bis zu einem modernen, modularen und schlanken Krankenhaus neuen Typs gäbe einen wichtigen Technologie- Forschungs- und Organisationsimpuls für die Region, für kleinere und mittlere Unternehmen, und könnte weit in die „Grande Région“ ausstrahlen.
  4. Entscheidend, und leider oft auch Hauptschwierigkeit von Synergien, ist die intelligente und konstruktive Vernetzung von Akteuren und Institutionen. Hier kann Luxemburg nur noch an sich selbst scheitern, denn die Vorarbeiten in Punkto IT Vernetzung (eSanté …) , Public-Private-Partnership und Integration der niedergelassenen Ärzte und Gesundheitsdienstleister sind vorhanden und bei traditionell kurzen Wegen zeitnah zu optimieren.
  5. Die Größe des Landes und die begrenzten Ressourcen erlauben nicht, „Alles anzubieten“ und zwingen im Bereich Spitzenmedizin und Forschung zu klaren Schwerpunkten und Zentren- bzw. Cluster-Bildung, warum nicht über die Landesgrenzen hinaus. Und auch hier könnte Luxemburg punkten, wenn es sich wichtige Schwerpunkte sucht, wie z.B. Versorgungsforschung oder Grundlagenforschung ausgewählter „Volkskrankheiten“.

Es ist nicht verwegen, anzustreben, dass Luxemburg einmal als europäische Modellregion „Gesundheit“ antritt. Es ist sogar im Grunde zum Erfolg und zu einer proaktiven Strategie Gesundheit verdammt, denn die Dinge ohne Strategie laufen zu lassen, würde zu einem doppelten Desaster führen: weiterhin überhöhte Kosten für ein System , das mit seinen großen Konkurrenten im Ausland nicht mithalten kann, und dennoch schrittweise Erosion der Basisversorgung.

Der Wirtschaftsbereich Gesundheit, der in Deutschland 11 % des BSP ausmacht, kann nicht nur die Region sozial und ökonomisch beleben, sondern auch im Nation branding dem Land ein ganz neues und unerwartet (positives ) Image verleihen – im Zeitalter von LuxLeaks ein nicht zu unterschätzender Aspekt.


Verweise:

FEIST, P. (5.12.2014). All an d’Stad? Lëtzebuerger Land.

OXFAM International. (20. 1 2014). Rigged rules mean economic growth increasingly “winner takes all” for rich elites all over world. Von www.oxfam.org: http://www.oxfam.org/en/pressroom/pressreleases/2014-01-20/rigged-rules-mean-economic-growth-increasingly-winner-takes-all abgerufen

STEIN, B. (2014). Das kranke System: Von der Krankheitswirtschaft zum Menschkümmern. Hamburg: Tredition ; ISBN: 978-3-8495-9794-8.

Déflation, “LA” bombe à retardement pour la zone euro?

Le phénomène de déflation est de plus en plus souvent évoqué en zone euro. Une telle insistance est compréhensible. D’aucuns se souviennent en effet du cas du Japon qui, de 1998 à 2011, s’est complètement enlisé dans la déflation. Ce phénomène s’est accompagné dans ce pays d’une longue période de stagnation de l’activité économique. Ainsi, de 1997 à 2011, le PIB en volume du Japon ne s’est accru que de 0,5% par an en moyenne. La croissance a certes repris en 2012 et 2013, mais elle s’est limité à 1,5% chacune de ces deux années.

La crainte suscitée par ce « spectre japonais » a été ravivée en zone euro par une évolution de l’inflation au sein de l’Union monétaire qui, selon certains intervenants, rappelle furieusement l’amorce de la déflation dans l’Empire du soleil levant. L’objectif primaire de la politique monétaire de la BCE est « une inflation inférieure à, mais proche de 2% à moyen terme ». Comme l’illustre le graphique suivant, le taux annuel d’inflation dans la zone euro a oscillé autour de 2% de 2001 à la fin 2007, l’inflation moyenne s’étant établie à 1,9% au cours de cette période. Au plus fort de la crise, l’inflation annualisée de la zone euro a brutalement décliné, pour devenir légèrement négative de janvier à août 2009. L’inflation a cependant repris un mouvement ascendant dès septembre 2009, pour culminer à 3% vers la mi-2012. Elle s’est enfin continuellement affaissée dans un contexte de chute libre des cours du pétrole, pour s’établir à -0,2% en zone euro au mois de décembre 2014 selon les estimations rapides d’Eurostat.

Graphique 1 : Inflation annuelle dans la zone euro (sur base de l’indice harmonisé des prix à la consommation)
En %

déflation_graphique1

Source : Eurostat

Ce résultat suffit-il à parler de déflation au sein de la zone euro ? Pourquoi convient-il absolument d’éviter un tel scénario de déflation ? Connaissons-nous une situation « à la japonaise »? Cette contribution vise à fournir quelques éléments de réponse à ces questions éminemment complexes.

La déflation au sein de la zone euro ? Les faits

Une définition classique de la déflation est un taux annualisé d’inflation significativement et durablement négatif. Ainsi, on ne peut qualifier de déflation au sens propre du terme le « mini épisode » d’inflation négative de 2009. Cette définition est cependant assez réductrice, car certains pays ou catégories de biens peuvent déjà se caractériser par un sensible recul des prix, ces reculs étant « noyés » dans la moyenne.

Dans l’ensemble de la zone euro, l’inflation sur base annuelle serait désormais légèrement négative, puisqu’elle s’est établie à -0,2% en décembre selon l’estimation précitée d’Eurostat. Elle atteignait encore +0,3% le mois précédent. Ce taux d’inflation négatif est certes en grande partie le reflet des prix de l’énergie, en recul de quelque 6,3% sur un an. L’indice des prix hors énergie aurait pour sa part augmenté de 0,6% de décembre 2013 à décembre 2014 (+0,8% si les biens alimentaires non traités sont également neutralisés). D’aucuns affirment que cette inflation tendancielle ou « sous-jacente » demeurant positive, le risque de déflation n’est pas avéré.

L’inflation faible ou négative se diffuse cependant à d’autres segments de l’indice des prix de la zone euro que l’énergie. Ainsi, le taux d’inflation annuel des biens industriels hors énergie était de 0,0% en décembre selon l’estimation d’Eurostat. Par ailleurs, s’est ajouté à la baisse des prix énergétiques un recul de 1% sur un an du prix des aliments non transformés, ces derniers représentant tout de même 7,5% de la pondération de l’indice des prix total en zone euro.

Enfin, selon les données d’Eurostat portant sur novembre 2014 (les données exhaustives par pays n’étant pas encore disponibles pour décembre), en termes de taux d’inflation annuels quatre pays de l’Union étaient résolument en déflation en novembre, à savoir la Bulgarie (-1,9%), la Grèce (-1,2%), l’Espagne (-0,5%) et la Pologne (-0,3%). Trois autres pays se caractérisaient par un taux nul, à savoir l’Estonie, Chypre et la Slovaquie. Cette liste sera vraisemblablement bien plus étoffée en décembre. Ainsi, les données luxembourgeoises publiées par le STATEC pour décembre 2014 mettent en relief une inflation nettement négative (-0,9% sur base de l’indice harmonisé des prix à la consommation et -0,6% sur base de l’indice national).

Graphique 2 : Taux d’inflation annuels en novembre 2014
En %

déflation_graphique2Source : Eurostat

Des taux d’inflation négatifs sont donc d’ores et déjà observés, y compris pour l’ensemble de la zone euro en décembre 2014, même si l’inflation sous-jacente de la zone demeure pour l’instant positive. La zone euro se trouve donc actuellement à la croisée des chemins. S’il est un peu prématuré de parler à ce stade de déflation au sens strict du terme, la situation n’en est pas moins préoccupante. Des taux d’inflation extrêmement bas peuvent en effet se muer aisément en déflation pure et simple en cas de choc économique négatif (chocs géopolitiques, perte soudaine de confiance des entreprises ou consommateurs, appréciation intempestive de l’euro, etc.) ou simplement en cas de poursuite du recul des prix de l’énergie ou des prix alimentaires non traités. En outre, un phénomène de déflation pouvant facilement devenir auto-réalisateur, la basse inflation actuelle paraît dangereuse. Si la zone euro s’est aisément dégagée de l’épisode d’inflation négative de 2009, la forte progression des cours du pétrole observée en 2009 et 2010 n’était pas étrangère à ce résultat. La donne est donc bien différente dans l’actuel contexte de faiblesse des prix pétroliers.

Pourquoi la déflation serait-elle dangereuse ?

La déflation – ou même de très faibles taux d’inflation – affecte le dynamisme de l’économie via divers canaux, souvent auto-réalisateurs.

Un effet souvent évoqué est qu’en cas d’inflation négative, les consommateurs (ménages et entreprises) risquent de différer leurs achats, afin de profiter plus tard de prix moins élevés. L’importance de ce canal est cependant souvent exagérée. Pour qu’il soit réellement opérant, il faudrait en effet que le recul des prix soit très prononcé. Par définition, les consommateurs ne peuvent différer l’achat des biens de première nécessité. Il est par ailleurs difficile de croire que les consommateurs vont retarder leurs achats de biens plus « sophistiqués » en l’absence d’une perspective de recul prononcé des prix. Les prix des biens électroniques durables tendent d’ailleurs à décliner depuis de nombreuses années. Or cette situation ne semble pas donner lieu de façon notable à des achats plus tardifs de ces biens durables ou des biens d’investissement.

Un canal potentiellement plus préoccupant est celui du « stock » d’endettement des ménages (la dette hypothécaire en premier lieu) ou des entreprises. Une inflation négative « magnifie » en effet la dette : les engagements financiers tendent à augmenter en valeur relative, c’est-à-dire par rapport au PIB, aux revenus des ménages, à l’actif des sociétés ou aux chiffres d’affaires des entreprises. Ces diverses ressources vont en principe fléchir en période de déflation, le tout face à un endettement qui sera quant à lui stable ou même croissant –surtout s’il a été contracté aux taux d’intérêt fixes plus élevés prévalant avant l’épisode de déflation. Il devient dès lors bien plus difficile pour les entreprises ou pour les ménages d’assainir leurs bilans respectifs, alors que la crise économique et financière a déjà, indépendamment de toute déflation, imposé un tel processus « d’assainissement bilantaire ». Autre façon d’exprimer une même réalité : les taux d’intérêt réels, particulièrement déterminants pour les dépenses d’investissement, s’accroissent à mesure que l’inflation devient négative.

Trois comportements des agents économiques endettés sont alors envisageables face à l’accroissement mécanique du poids relatif de l’endettement, consécutif au recul de l’indice des prix:

  • Un ajustement à la baisse de la consommation ou des investissements. Il en résulte un ralentissement économique, qui risque à son tour d’accentuer la déflation…
  • Des ventes d’actifs : ces ventes simultanées d’actifs induisent une réduction du prix des actifs (immobilier, actions, etc.), qui accentue le « choc négatif de confiance », génère un effet richesse défavorable, pénalise les institutions financières (confrontées au recul de la valeur de leurs portefeuilles) et corrélativement l’octroi de crédits. Le tout est (à nouveau) de nature à accentuer la récession et la déflation.
  • Les agents endettés font défaut, ce qui affecte à nouveau les institutions financières et l’octroi de crédits, tout en hypothéquant la stabilité financière. Or les crises financières tendent à être les plus durables.

La déflation ne se cantonne bien entendu pas au seul secteur privé. Elle complique également la réduction des ratios d’endettement public, à cause d’une croissance moindre du PIB nominal (dénominateur du ratio) et d’un solde des Administrations publiques normalement moins favorable, puisque les recettes publiques subissent le contrecoup du ralentissement économique. Pour éviter une trop forte augmentation de leur ratio d’endettement, les autorités gouvernementales risquent dès lors de devoir accentuer leurs efforts de consolidation budgétaire, de manière « pro-cyclique », avec à la clef un nouveau fléchissement de l’activité donc un renforcement des forces déflationnistes…

Les deux derniers canaux, opérant par le biais des bilans des secteurs privé et public, sont loin d’être anecdotiques en zone euro. Selon les comptes financiers compilés par Eurostat, les engagements financiers totaux des ménages, des sociétés non financières et des Administrations publiques de la zone euro se sont en effet respectivement montés à 65%, 206% et 105% du PIB en 2013.

Enfin, la déflation tend à se répercuter de manière directe (en sus de l’impact sur leur taux d’endettement) sur les entreprises, qui subissent en cas de déflation une moins-value sur leurs stocks. Les stocks sortants, incorporés à leurs produits finis, tendent en effet à être moins valorisés que les stocks entrants, avec à la clef une diminution mécanique de leurs marges.

Il s’y ajoute une plus grande difficulté à encadrer l’évolution des salaires réels. En cas d’inflation de 2%, un salaire nominal inchangé se traduit par une diminution des salaires réels de 2%. En cas de taux d’inflation négatif de 1%, il faut réduire le « salaire poche » des employés de quelque 3% pour atteindre le même résultat en termes de salaires réels. Un tel ajustement est bien évidemment beaucoup plus difficile à mettre en œuvre qu’une simple absence d’ajustement du salaire nominal. En jargon économique, la déflation génère donc une forte rigidité à la baisse des salaires réels. Les entreprises perdent dès lors un amortisseur de chocs pourtant particulièrement utile en période de crise.

La rigidité des salaires réels pourrait certes, à première vue, contribuer à stabiliser la consommation privée et atténuer de la sorte la déflation, mais ce dernier effet risque d’être bien peu opérant en raison de la hausse concomitante du chômage.

Ces différents canaux peuvent bien évidemment se renforcer mutuellement et donner lieu à une véritable « spirale déflationniste ». C’est parce qu’une telle spirale est difficile à stopper lorsqu’elle survient qu’il convient de se montrer très prudent et proactif, afin de déceler au plus vite tout phénomène de déflation et de l’étouffer dans l’œuf.

Connaissons-nous réellement une évolution « à la japonaise » ? Quelques indices

Comme mentionné d’entrée de jeu, le « cas japonais » est souvent évoqué lors de discussions relatives à la déflation. Cette période de déflation japonaise s’est schématiquement étendue sur la période 1997 à 2011. Les prix des actifs ont cependant commencé à diminuer au Japon vers 1989 pour les actions et 1992 en ce qui concerne les prix des terrains, soit bien avant le recul de l’indice des prix à la consommation.

Il n’entre pas dans l’intention de ce blog de décrire de manière minutieuse l’histoire et l’anatomie de la crise au Japon : un ouvrage entier pourrait ne pas suffire.

Il est cependant utile de souligner un important point commun entre la zone euro actuellement et le Japon à partir de 1997. Ce point commun est illustré par le graphique suivant où le PIB en volume est pour les deux ensembles géographiques exprimé en base 100 pour l’année « t », soit l’année précédant la première année de décroissance. Cette année de décroissance est 1998 dans le cas Japonais (-2,0% pour le PIB en volume) et 2009 pour la zone euro (-4,5%). Il est frappant de constater que la zone euro se caractérise jusqu’en 2014 par une activité économique encore moins dynamique que le Japon pendant sa phase de déflation. Pour le reste, les deux séries paraissent étonnamment corrélées. Notons en outre que le ralentissement économique a dans les deux cas été exacerbé par le fléchissement du crédit au secteur privé et par une diminution marquée des cours de bourse. Donc en termes d’activité économique, la zone euro connaît déjà de 2009 à 2014 une situation « à la japonaise », voire même pire.

Graphique 3 : PIB en volume et indice des prix – le Japon (centré sur 1997) et la zone euro (centrée sur 2008)
Base : année centrale (précédant la récession) = 100

PIB en volume

déflation_graphique3

Indices des prix à la consommation

déflation_graphique4

Source : Base de données AMECO de la Commission européenne

L’indice des prix à la consommation ne livre cependant pas « la même histoire » (panneau B du graphique). Alors que l’indice des prix japonais a commencé à reculer environ une année après le début de la récession, la diminution des prix s’amorce dans la zone euro avec plus de 6 ans de décalage, cet écart s’expliquant certes en partie par la forte hausse des prix du pétrole observée en 2009 et 2010.

Même si la situation présente des points communs, notamment l’évolution du PIB, du crédit et des cours boursiers, un élément important distingue les deux épisodes. Alors que le Yen est demeuré globalement fort (tout en étant très fluctuant) tout au long de l’épisode japonais de déflation, il en est actuellement tout autrement pour la zone euro. La sensible dépréciation de l’euro enregistrée depuis mai 2014 va en effet mécaniquement alimenter l’inflation importée, ce qui va atténuer les risques d’un ancrage durable de la déflation dans la zone euro. Les mesures qui devraient être annoncées par la BCE le 22 janvier 2015 sont également susceptibles de changer la donne.

Une grande vigilance s’impose néanmoins en matière de déflation. L’inflation est extrêmement faible actuellement en zone euro. Dans un contexte macroéconomique toujours entaché d’incertitudes, de nombreux chocs économiques potentiels pourraient induire un basculement pur et simple vers la déflation. Or cette dernière peut aisément prendre un tour auto-réalisateur, comme indiqué ci-dessus.

Par ailleurs, le recul moyen des prix japonais n’a été que de 0,3% l’an durant la période de déflation (1998 – 2011). Un important message de l’expérience japonaise est donc que la déflation n’a pas besoin d’être très marquée pour produire ses effets délétères…

Merken

2015, une bonne année?

2014 n’est plus, ce qui permet de la rétrospective :

-La croissance économique américaine n’a pas eu l’effet d’entrainement espéré sur l’économie mondiale;

-Les Abenomics ont fait un flop et n’ont pas pu sortir le Japon de sa léthargie chronique;

-Les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont connu autant de situations différentes qu’il y a de pays qui composent ce groupe, et n’ont pas su trouver de « nouveau souffle » ;

-La zone euro, grâce à une succession de bonnes nouvelles était gagnée dans les premiers mois de l’année par un sentiment d’ « eu(ro)phorie ». Et puis elle s’est paisiblement (et naturellement) éloignée de la perspective d’une reprise forte et durable au cours de l’année;

-L’Allemagne dont on ne doutait nullement de la vigueur début 2014 a marqué le pas. A cause notamment de la faible croissance dans la zone euro et des sanctions européennes contre la Russie, l’économie allemande a ralenti à partir du deuxième trimestre et a terminé l’année avec un timide 1% de croissance;

-La France qui continue d’annoncer et de mener des réformes (parfois douloureuses) a encore connu une année difficile (faible croissance, hausse du chômage, déficit élevé). C(e)rise sur le gâteau, elle a été détrônée de sa place de cinquième puissance économique mondiale par… le Royaume-Uni ;

-Alors qu’en début d’année la Belgique se félicitait d’avoir fait passer sa dette publique sous la barre symbolique des 100% du PIB, elle a fini l’année en grève… et avec un avertissement de la Commission européenne concernant son niveau de dette publique ;

-Première année pleine du Gouvernement Bettel, d’importantes décisions avec effets structurants à long terme ont été prises au Luxembourg (mise en place de la garantie jeunesse, présentation du « paquet d’avenir », décision définitive concernant le tram, dépôt du projet de loi Omnibus, etc.). Toutefois “l’image de marque” du pays, pilier de la stratégie gouvernementale, a été ébranlée. Puisque le Grand-Duché s’apprêtait à lever partiellement son secret bancaire en 2015, l’année 2014 devait être mise à profit pour annoncer partout que le Luxembourg se mettait à l’heure de la transparence ; et « Luxleaks » passa par là.

Bilan de l’année écoulée : elle n’a pas tenu toutes ses promesses.

2015 commence à peine, et les aléas (baissiers ou haussiers) ne manquent pas. Les tensions géopolitiques (Russie, Etat islamique), la possibilité d’un recul trop marqué des prix du pétrole et des prix à la consommation, le risque d’un saut dans l’inconnu pour l’UE (Brexit[1]) ou pour la zone euro (Grexit[2]), la dégradation de la situation économique dans la zone euro ou dans les pays émergents sont à craindre. Symétriquement, la possibilité d’une faiblesse prolongée de l’euro, un redressement très dynamique de l’investissement des entreprises et un redémarrage des salaires aux Etats-Unis, une nouvelle dynamique de croissance générée par la faiblesse du prix du pétrole, le retour de la confiance dans la zone euro grâce à l’assouplissement quantitatif de la BCE, le lancement réussi du plan Juncker, sont autant de raisons de croire en 2015 .

Quel devrait être le résultat final de tous ces vents contraires ? Comment impacteront-ils l’économie luxembourgeoise ? Ce sera l’objet de notre deuxième avis annuel, à paraître au cours de ce premier trimestre.

D’ici là, quand on vous demande si l’année 2015 sera une bonne année d’un point de vue économique, répondez : ni oui, ni non, bien au contraire, quoique peut-être ! et vous aurez raison.


[1] Sortie du Royaume-Uni.

[2] Sortie de la Grèce.