Près de six mois après les élections européennes de mai dernier, la nouvelle Commission européenne, sous la présidence de Jean-Claude Juncker – troisième Luxembourgeois à prendre la tête de la Commission européenne, après Gaston Thorn entre 1981 et 1985, puis Jacques Santer de 1995 à 1999 – a pris ses fonctions, le 1er novembre 2014. C’est la première fois qu’une CE débute ses travaux à la date prévue par les traités, depuis que les premières auditions du Parlement européen ont été introduites en 1994 sous la Commission Delors[1]. Cependant, ceci ne représente pas la seule nouveauté relative à la constitution de la Commission Juncker.

En effet, pour la premiere fois dans l’histoire de l’Union européenne, les principaux partis politiques européens ont proposé un candidat à la présidence de la Commission européenne et ont organisé une campagne électorale paneuropéenne. Conformément aux dispositions du Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qui stipulent que le Conseil européen doit tenir compte des résultats des élections européennes, le Parlement européen a ainsi élu – et non simplement approuvé- le Président de la Commission européenne, suite à la proposition du Conseil européen[2]. Cette avancée constitue l’aboutissement d’une longue évolution dans le mode de désignation du chef de l’exécutif européen et établit pour la première fois un lien direct entre le résultat des élections au Parlement européen et la proposition du président de la Commission européenne. « Une telle décision, conforme aux règles et aux pratiques de la démocratie parlementaire, peut avoir comme effet d’apporter une nécessaire dose supplémentaire de légitimité démocratique au processus décisionnel européen »[3].

Approuvée par le Parlement le 22 octobre 2014 après un long processus d’auditions par les eurodéputés, la nouvelle Commission européenne est composée de personnalités respectées et expérimentées. Elle comprend quatre anciens premiers ministres, quatre vice-premiers ministres, dix-neuf anciens ministres, sept commissaires sortants et huit anciens membres du Parlement européen. Cette équipe, que son président veut politique, dynamique et efficace, a été dotée d’une nouvelle structure organisationnelle destinée à renforcer la coopération et l’esprit de collégialité entre les commissaires. Elle s’articule autour de sept vice-présidents[4], chacun chargé d’une équipe de projets, symbolisant les priorités politiques de l’exécutif, à savoir l’emploi, la croissance et l’investissement, le marché unique du numérique, l’Union de l’énergie ainsi que l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Sous leur autorité, les autres commissaires seront responsables d’un portefeuille spécifique et devront obtenir l’accord de leur vice-président pour toute proposition de loi qu’ils souhaiteront soumettre au collège des commissaires, compte tenu du fait que les vice-présidents disposent d’un droit de veto sur les initiatives des commissaires subordonnés. Cette nouvelle architecture a comme principal objectif de constituer un système de dépendance mutuelle entre les vingt-sept commissaires et de mettre fin « aux approches figées et cloisonnées »[5] instaurées à la Commission depuis quelques années. Elle reflète également la volonté du Président de faire évoluer la Commission européenne d’une administration constituée de fonctionnaires, en un véritable gouvernement composé de politiciens. Enfin, cette nouvelle configuration est susceptible de constituer un contrepoids au Conseil et surtout au Conseil européen dans les futures négociations. Au final, les grandes initiatives devront toujours être approuvées par le Conseil européen et le Parlement, mais une Commission forte et politique pourra d’avantage influer sur leur contenu.

Lors de sa confirmation par le Parlement européen le 15 juillet dernier, le nouveau chef de l’exécutif européen a présenté son programme « pour l’emploi, la croissance, l’équité et le changement démocratique ». Les idées évoquées, qui sont le résultat de négociations avec les différentes familles politiques européennes, mettent l’accent sur dix domaines essentiels, dont nous n’en évoquerons que trois.

En premier lieu, afin de provoquer un nouvel élan pour la croissance et l’emploi, la Commission européenne souhaite mobiliser avant la fin 2014, 300 milliards d’euros supplémentaires d’investissements publics et privés dans l’économie réelle au cours des trois prochaines années. Elle évoque également un accroissement du capital de la Banque européenne d’investissement, sans pour autant en préciser les chiffres. La présentation de ce plan d’investissement est prévue pour le 26 novembre, pendant la session plénière du Parlement européen à Strasbourg.

La deuxième priorité de la Commission Juncker est d’instaurer un marché unique du numérique connecté, dont les gains sont estimés à 250 milliards d’euros sur cinq ans. Elle prévoit, au cours des six premiers mois de son mandat, de prendre des mesures législatives visant à harmoniser les réglementations des télécoms, du droit d’auteur, de la gestion des ondes radio et de la protection des données.

En troisième lieu, le nouvel exécutif européen souhaite réformer et réorganiser la politique énergétique européenne dans le cadre d’une nouvelle Union européenne de l’énergie. Il souhaite notamment accroître l’indépendance énergétique de l’Union européenne par la diversification des sources d’approvisionnement, miser sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique et préparer la position de l’UE pour la conférence de Paris sur le climat en 2015, au cours de laquelle il aimerait présenter l’Union en tant que leader en matière de lutte contre le réchauffement climatique[6].

Face à la perte de confiance des citoyens européens dans les institutions, symbolisée par la percée des eurosceptiques lors des élections du mois de mai, et face aux conséquences de la pire crise financière et économique depuis la Seconde guerre mondiale, la Commission Juncker apparaît comme celle « de la dernière chance ». « Cette fois-ci, c’est différent » était le slogan choisi par le Parlement européen pour la campagne électorale. Il ne reste plus qu’à attendre les premiers projets et les premières négociations avec le Conseil européen, pour évaluer, si cette nouvelle Commission, la plus politique de l’histoire de l’UE, basée sur une plus grande légitimité démocratique et dotée d’une nouvelle architecture, réussira à redonner un nouvel élan et à relever les nombreux défis qui se posent à l’Union européenne.


[1] Communiqué de presse du 1er novembre 2014 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-1237_fr.htm.

[2] Article 17, paragraphe 7 du Traité de Lisbonne: En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12012M/TXT&from=FR.

[3] Un nouvel élan pour l’Europe : Mon programme pour l’Emploi, la Croissance, l’Équité et le Changement démocratique. Orientations politiques pour la prochaine Commission européenne http://ec.europa.eu/about/juncker-commission/docs/pg_fr.pdf.

[4] Frans Timmermans, Kristina Georgieva, Jyrki Katainen, Valdis Dombrovskis, Andrus Ansip, Maroš Šefčovič, et Fredrica Morgherini, qui en tant que Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est automatiquement vice-présidente de la Commission.

[5] Communiqué de presse du 10 septembre 2014 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-984_fr.htm.

[6] Les autres priorités de la Commission européenne sont: Un marché intérieur plus approfondi et plus équitable, doté d’une base industrielle renforcée; une Union économique et monétaire plus approfondie et plus équitable; un accord de libre-échange raisonnable et équilibré avec les États-Unis; un espace de justice et de droits fondamentaux basé sur la confiance mutuelle; vers une nouvelle politique migratoire; une Europe plus forte sur la scène internationale; une Union du changement démocratique.

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