Conseil d’administration et quotas de femmes – la bonne solution ?

La notion de quotas du nombre de femmes dans les conseils d’administration a été initiée par la Norvège en 2003 et a été suivie depuis par de nombreux autres pays européens, comme par exemple le Royaume-Uni, la France ou le Luxembourg. Pour favoriser la parité dans la prise de décision au Grand-Duché, la ministre luxembourgeoise de l’Egalité des chances a présenté la semaine dernière un catalogue de 11 mesures précisant sa « politique de l’égalité des hommes et des femmes ».[1] Face à cette annonce, il importe de se demander pourquoi les quotas de femmes deviennent-ils de plus en plus communs ?

Alors que les femmes représentent la moitié de la population active et plus de 50% des nouveaux diplômés de l’université en Europe, elles y détiennent moins de 10% des sièges des conseils d’administration. Pourtant, des études ont démontré que les entreprises avec des conseils mixtes, obtiennent de meilleurs résultats que les autres. L’enquête de Catalyst, un cabinet de conseil américain, a livré à cet égard une conclusion sans appel : les entreprises comptant une forte proportion de femmes au sein de leurs organes décisionnels réalisent 42% de bénéfices en plus et leurs capitaux investis affichent un rendement supérieur de 66%.[2]

Le Parlement européen a adopté en novembre 2013 à une large majorité la proposition de directive de la Commission européenne visant à améliorer l’équilibre entre les femmes et les hommes au sein des conseils des entreprises de l’UE.[3] Certains gouvernements européens ont par ailleurs considéré l’introduction de quotas comme une action nécessaire pour renforcer la participation des femmes dans les organes de décision.

Mais imposer des quotas aux entreprises, est-ce vraiment de la bonne solution ? Il est permis d’en douter.

Premièrement les quotas pourraient ne représenter qu’un geste purement symbolique. Avec les quotas, une femme en poste au sein d’un conseil d’administration, peut développer le sentiment qu’elle –occupe avant tout « le siège réservé aux femmes » dans le conseil. Par conséquent, des quotas risquent de nuire à la crédibilité des femmes administratrices qui peuvent être considérées comme étant à un tel poste grâce à leur sexe et non pas pour leurs compétences et mérite. Deuxièmement, les quotas n’augmentent pas nécessairement le bon type de diversité. Il est possible d’améliorer le rapport entre les sexes sans améliorer la diversité de la conversation. La raison pour laquelle les conseils mixtes fonctionnent mieux, tient peu être au fait que les entreprises qui ont fait volontairement le choix d’avoir plus de femmes au conseil d’administration ont, en général, choisi des pratiques commerciales plus avant-gardistes. Dans tous les milieux et instances de travail, le poids de la tradition joue et il est toujours difficile de modifier la composition des conseils d’administration parce que cela implique d’aller à l’encontre de préjugés et de valeurs, c’est-à-dire à une transformation sociale radicale.

Troisièmement, les quotas ne soulignent pas nécessairement les qualifications. En Norvège, le premier pays ayant introduit des quotas, une étude a montré que les femmes promues étaient moins expérimentées que les administrateurs qu’ils ont remplacés. Ainsi on a constaté que les entreprises qui ont été contraintes d’augmenter la part des femmes dans leurs conseils de plus de 10 points de pourcentage ont vu une chute de leur valeur d’entreprise d’environ 18%.[4]

Par ailleurs, l’imposition de quotas ne cible qu’un « symptôme » et non pas « la maladie ». Les quotas ne vont pas encourager la sélection méritocratique, ni même l’augmentation du nombre de candidats qualifiés, mais simplement la propagation d’une approche axée sur le sexe qui risque de provoquer une forte réaction. Tout cela risque in fine de rendre un mauvais service à l’objectif principal: une meilleure performance, pour l’entreprise, et une meilleure cohésion sociale, pour le pays.

Aujourd’hui, ce qui empêche la plupart des femmes d’atteindre un poste dans un conseil d’administration est tout simplement le manque d’expérience pratique du cœur de métier de l’entreprise. Une enquête de Catalyst a, par exemple, montré que les femmes étaient plus de deux fois plus susceptibles de tenir des positions plus fonctionnels dans une entreprise.[5] Ainsi on peut suggérer que beaucoup de femmes choisissent au début de leur carrière des rôles fonctionnels, tels que le marketing ou les ressources humaines, plutôt que les départements plus dominants qui génèrent les bénéfices et la croissance. Ainsi, l’objectif ne doit pas seulement être « plus de membres du conseil d’administration de sexe féminin », mais plutôt « plus de femmes capables et crédibles dans les conseils d’administration». Pour ce faire, nous avons besoin de promouvoir les femmes dans des rôles où ils peuvent acquérir l’expérience pertinente: en tant que responsable d’un projet ou d’une division d’une entreprise ; fournissant des chiffres clés de performance ; conduisant des initiatives de transformation ou en s’occupant de la gestion des risques. Une fois que l’expérience a été acquise, la « découverte » de ces talents doit être parrainée. En fin de compte, il importe aussi de souligner que la plupart des efforts doit venir de la personne (« femme ») elle-même.

Il est évident que chaque entreprise a besoin de personnes expérimentées (des deux sexes) qui puissent servir efficacement aux conseils d’administration. Imposer des quotas permettra bien de fournir rapidement l’apparence de changement, mais cette action va en fait retarder un changement réel. Pour que les idées « féminines » soient entendues, évaluées et donc réalisées, les femmes doivent être réellement accueillies par le processus de sélection du conseil d’administration, et non pas par des démarches imposées. C’est peut-être un processus plus lent que d’imposer des quotas, mais il est également susceptible d’être plus pertinent, efficace et pérenne à moyen et à long termes.


[1] Présentation des 11 mesures: http://www.mega.public.lu/fr/actualites/2014/09/presse-strategie-decision/PPT_presse_1509_version-mf.pdf

[2] Catalyst, The Bottom Line: Corporate Performance and Women’s representation on Board, 2007.

[3] Présenté par la Commission européenne le 14 novembre 2012, ce texte entend corriger le déséquilibre entre les femmes et les hommes au sein des conseils de surveillance et des administrateurs non exécutifs des sociétés cotées, en visant l’objectif qu’à l’horizon 2020, 40 % des membres parmi les administrateurs non exécutifs des conseils d’administration des 5000 entreprises européennes cotées en bourse, soit du sexe sous-représenté (dans l’immense majorité des cas, du sexe féminin). http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2013/11/pe-femmes-vote/index.html.

[4] Kenneth R. Ahern & Amy K. Dittmar, 2012, The Changing of the Boards: The Impact on Firm Valuation of Mandated Female Board Representation, Oxford University Press, vol. 127(1), pages 137-197

[5] 2006 Catalyst Census of Women Corporate Officers and Top Earners of the Fortune 500

Idée du mois n°4 – Cession d’entreprises: un enjeu d’avenir

Combien d’entreprises devront être cédées au Luxembourg dans les prochaines années ? S’il est vrai que le marché des cessions d’entreprises est difficile à déterminer de façon précise, il est cependant à déplorer qu’aucune étude publique n’ait été consacrée à cette importante question. Cette Idée du mois tente de combler ce manque.

Et si le Luxembourg promeuvait le "repreneuriat d'entreprise"?

La cession/reprise d’entreprises avec deux représentants d'entreprises

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Les finances communales, le parent pauvre des finances publiques ? Quo vadis.

Les Administrations locales sont, à côté de l’Administration centrale et des Administrations de sécurité sociale, le troisième pilier de l’Administration publique luxembourgeoise. Les Administrations locales, ce sont 106 communes, plus de 50 syndicats communaux produisant des biens et services non-marchands et plus d’une trentaine d’établissements publics placés sous la surveillance des communes.

Si l’analyse approfondie des finances publiques luxembourgeoises ressemble déjà en soi davantage à un parcours du combattant qu’à une partie de plaisir – en cause notamment (et en attente de la mise en œuvre la réforme copernicienne annoncée) l’architecture budgétaire vétuste, apparentée à une comptabilité de caisse et gravitant autour de plus de 6.000 articles répartis en départements ministériels, sections et codes comptables[1], et non pas (encore) en programmes à long terme, en objectifs de politique publique et en indicateurs de performance et de suivi – l’analyse des finances communales, quant à elle, relève, avec les moyens du bord disponibles, pratiquement de l’impraticable. Aux dires des auteurs successifs des projets de lois budgétaires, un groupe de travail avait certes formulé « des propositions concrètes en vue de disposer dès l’année 2008 d’informations plus complètes[2] ». Par ailleurs, tant le programme gouvernemental de 2009 que son homologue 2013 ont annoncé des réformes au niveau des finances communales.

Or, en été 2014, le coup de maître n’a pas encore eu lieu. Il y a certes eu des initiatives louables – notamment une impressionnante « radiographie des finances communales » concoctée par la BCL et l’introduction d’un plan budgétaire harmonisé pour le secteur communal – toutefois celui qui s’intéresse à une vue globale des finances communales, a vite fait le tour des informations couramment disponibles. La comptabilité nationale tenue par le STATEC fournit quelques éléments au plus haut niveau d’agréation. Les sites Internet des communes fournissent (parfois) des documents comptables plus ou moins outillés au niveau individuel de la commune. Entre les deux, l’analyste doit naviguer dans des eaux largement inconnues. Le budget de l’Etat, en toute logique, ne fournit pas grand-chose non plus, car il s’agit bien du budget de l’Etat… La lecture de ce dernier est avant tout intéressante pour ce qui est du volet « financement des communes » effectué par l’Etat central. Pour le reste, il faut se référer à un document technique, dit volume III du budget de l’Etat, qui explique le passage du budget établi selon les normes luxembourgeoises vers son homologue européen, pour trouver quelques données agrégées au niveau communal (alors que tel n’est même pas l’objectif de ce fameux « volume III »). Ces données ne sont en outre pas prévisionnelles car l’Etat, de son propre aveu, ne dispose pas d’informations suffisantes pour pouvoir se livrer à un exercice de prévision. Et même le budget 2014 si particulier, déposé au printemps 2014 et non pas à l’automne 2013, n’a pas pu livrer une prévision agrégée des finances communales au titre de l’année… 2014 déjà bien entamée.

La piètre disponibilité de données comptables communales rend ardue la tâche de l’analyse de la santé financière de nos communes, ne serait-ce qu’à court et à moyen termes. Ce constat est inquiétant pour plusieurs raisons. Citons-en deux. Premièrement, les communes jouent un rôle macroéconomique de tout premier ordre. Sur la période de 2011 à 2013, les Administrations locales ont investi près de 2 milliards EUR dans toutes sortes d’infrastructures. Ces investissements soutiennent des milliers d’emplois et un tissu de PME locales. Ensuite, les communes sont un vecteur social et d’intégration de tout premier ordre pour leurs résidents. Les communes sont les entités administratives les plus proches des citoyens et des entreprises, et jouent un rôle moteur dans nos interactions et nos échanges quotidiens.

Le lecteur avisé de la presse quotidienne se rend compte que, apparemment, il doit y avoir « quelque chose qui cloche » au niveau des finances communales, tant sont hautes, fortes et nombreuses les voix appelant aux « réformes ». Il suffit de taper « réformes des finances communales » sur un moteur de recherche pour s’en apercevoir.

Un aperçu rapide des données de la comptabilité nationale fait état de finances communales – ostensiblement – saines, avec un excédent moyen de l’ordre de 64 millions EUR par an sur la période de 2000 à 2013. Aussi, savons-nous qu’une commune luxembourgeoise n’a a priori pas le droit de s’endetter tous azimuts : « Les communes ne peuvent recourir au crédit que pour financer des dépenses extraordinaires si un autre financement n’est ni possible ni économique et si le remboursement régulier des annuités est assuré[3] ». Ceci dit, à fin 2012, la dette communale est tout de même « estimée » à 817 millions EUR par le Ministère de l’Intérieur[4], avec une tendance clairement à la hausse. Sachant qu’un budget communal comprend, dans sa partie « recettes extraordinaires » les soi-disant « recettes d’emprunts », on est en droit de s’interroger quant à la santé réelle des finances communales dès aujourd’hui…

Si les informations financières et budgétaires facilement intelligibles ne sont guère abondantes pour les recettes et les dépenses communales (les « flux »), il y a encore moins d’informations disponibles sur le patrimoine communal (les « stocks »).

Ainsi, si nous devrions dresser un bilan composé (à l’actif) d’actifs immobilisés et d’actifs circulants, respectivement de fonds propres et de dettes échues à plus ou moins long terme (au passif), à quoi ressemblerait-il, à l’échelle de la commune tout comme à l’échelle du pays ? Combien vaut, en particulier, le patrimoine immobilier des communes, fait d’écoles, de stations d’épuration, de piscines plus ou moins nombreuses, d’ateliers techniques, de bâtiments administratifs et d’installations et de locaux divers ? Les investissements sont-ils répertoriés de manière exhaustive et est-ce que les frais d’entretien et d’exploitation à long terme (les « Folgekosten »), ou encore les performances énergétiques des investissements, sont-ils connus et gérés ? En court, le patrimoine communal est-il administré en bon père de famille ? Bien sûr, répondraient sans doute les élus locaux. Mais le citoyen lambda n’est-il pas en droit de connaître la situation réelle, la richesse, l’évolution du patrimoine net de sa commune ? Et dans quelle mesure, les choix d’affectation budgétaires et patrimoniaux des communes contribuent-ils (ou non) à relever le potentiel de croissance futur du pays ?

Récapitulons. D’année en année la comptabilité nationale relative au secteur communal fait apparaître des situations budgétaires apparemment équilibrées, voire excédentaires. Parallèlement, le secteur a d’ores et déjà engrangé 817 millions EUR de dettes (sur la période de 2007 à 2012, en moyenne, 66 millions EUR d’emprunts nouveaux ont été contractés tous les ans), laissant présager que structurellement, les finances communales sont déjà – souvent – dans le rouge. En plus, qui cherche à trouver des informations sur l’état du patrimoine communal touche très vite aux limites de la disponibilité des données.

Ainsi, le diagnostic de la situation actuelle est très difficile à réaliser. Or, si nous savons à peine où nous nous situons aujourd’hui, comment pouvons-nous apporter des jalons de réponse et des pistes de réflexion pour demain ? Puisque la photo de la situation actuelle est floue, comment savoir de quelle manière évoluera le film des finances communales si jamais la manne financière de l’Etat – le principal « pot à distribuer » – dit « fonds communal de dotation financière » (FCDF) – a représenté quelque 40% des recettes ordinaires des communes en 2012 et même 58% des revenus non-affectés[5] – évoluait moins favorablement que par le passé[6] ? Comment les recettes propres des communes évolueront-elles ? Comment certaines communes arriveront-elles à joindre les deux bouts si, demain, elles ne peuvent plus croître de manière dynamique – plans sectoriels obligent – alors que leurs coûts continueront à progresser (la masse salariale communale a par exemple plus que doublé entre 2000 et 2013) ? Beaucoup de questions, et peu de réponses. La situation s’avère somme toute inquiétante, sachant que les recettes ordinaires non-affectées[7] devraient permettre aux communes de financer l’ensemble de leurs dépenses courantes, hors activités contre-financées (en principe) par des redevances (fourniture d’eau, élimination des déchets, etc.).

Parallèlement, il y a sans doute un potentiel important d’optimisation de la situation financière et patrimoniale des communes. Un défi à aborder sans tarder et sans tabous au bénéfice de tous, sachant que « nous attendons la réforme des finances communales depuis une vingtaine d’années »[8]. Somme toute, il faudrait alors résolument « A little less conversation and a little more action », please.


[1] L’avis du Conseil supérieur pour un développement durable au sujet de finances publiques de 2008 résume cette situation actuelle en énonçant que « (…) der gesamte Budgetprozess und die dahinter stehenden fachspezifischen Entscheidungen sowie Anreizsysteme sind auf die Befriedigung von Ausgabenwünschen ausgerichtet, die kurzfristig bestimmte Probleme lösen mögen, deren Langfristeffekte aber überhaupt nicht gewürdigt werden und deren langfristige Finanzierbarkeit nicht geprüft wird. Wenn man den klassischen Spruch vom Haushaltsplan als „Schicksalsbuch der Nation“ aufgreift, so muss man ihn angesichts dieser Mängel einerseits und der Herausforderungen des Nachhaltigkeitsprinzips andererseits eher als Plan charakterisieren, der die Nation blind ihrem künftigen Schicksal überlässt ».

[2] Projet de budget de l’Etat 2013, volume III.

[3] Rapport d’activité du Ministère de l’Intérieur, 2013

[4] Ibidem.

[5] Les revenus non-affectés sont la somme de l’impôt commercial communal (602 millions EUR en 2012), de l’impôt foncier (32,9 millions EUR) et du FCDF (873,5 millions EUR). Ces revenus s’opposent aux revenus affectés (« zweckgebunden ») (718,6 millions EUR en 2012) qui sont par exemple des redevances collectées pour l’approvisionnement en eau potable, l’épuration des eaux usées, l’élimination des déchets, mais aussi les subventions étatiques.

[6] Notons que ce sera déjà le cas en 2015 suite au manque à gagner au niveau de la TVA sur le commerce électronique ; 10% des recettes de TVA étant reversés aux communes via le FCDF. Par souci d’exhaustivité, relevons encore que la dotation annuelle du FCDF se compose des autres éléments qui suivent : 18% du produit de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’impôt retenu sur les traitements et salaires ; 20% du produit de la taxe sur les véhicules automoteurs ; un montant forfaitaire calculé schématiquement dont les règles sont annuellement, le cas échéant, adaptées pour tenir compte des modifications intervenues dans la législation. Il est à signaler que depuis la loi sur l’enseignement fondamental de 2009, la participation des communes pour 1/3 au financement du personnel enseignant est retenue directement lors de la liquidation des avoirs du FCDF aux communes. Source : Rapport d’activité du Ministère de l’Intérieur, 2013.

[7] Voir renvoi en bas de page n°5.

[8] Dan Kersch, alors président du Syvicol, cité fin 2011 par Paperjam : http://www.paperjam.lu/article/fr/en-attendant-la-reforme.