Quel policy-mix pour la zone euro ?

La question de la détermination du policy-mix optimal – au sens de la configuration des politiques budgétaire, monétaire et de change – pour une zone économique donnée est conditionnée à l’existence préalable d’une relative homogénéité au sein de cette zone en ce qui concerne les canaux de transmission de ces politiques. Cette homogénéité peut être soit naturelle, lorsque les pays partagent spontanément des caractéristiques communes, soit artificielle, via la mise en place de structures institutionnelles adéquates pour lisser les disparités de transmission.

Dans le cas de la zone euro, la définition d’un policy-mix optimal se heurte à une hétérogénéité inter-pays qui caractérise cette zone depuis sa création, et qui a déjà été à l’origine de nombreuses considérations critiques et de controverses. L’unicité des politiques monétaire et de change, consubstantielle à toute union monétaire, pose le problème de convenir à un pays ou un groupe de pays, au détriment des autres, pour lesquels ces politiques s’avèreront soit trop stimulantes, soit trop restrictives. Comme le disait Romano Prodi : « la politique monétaire commune de la zone euro est comme le lit de Procuste, trop grand pour les uns, trop petit pour les autres, inconfortable pour tous ».

Idéalement, il faudrait que la zone euro se dote d’une structure de redistribution budgétaire[1] qui pourrait entrer en déficit lors d’épisodes de crise généralisée. Ceci permettrait de lisser les chocs asymétriques entre pays de la zone euro, et de contenir la dynamique de divergence afin que celle-ci ne transforme pas la moindre crise économique en un cataclysme monétaire et institutionnel. Dans une telle configuration, la définition d’un policy mix optimal dans la zone euro deviendrait possible. Ce policy mix serait établi sur la base des caractéristiques moyennes de la zone, tandis que le mécanisme de redistribution aurait pour vocation d’atténuer les écarts des différents pays à cette moyenne.

I. L’hétérogénéité de la zone euro : 4 groupes de pays

Il est clair que tous les pays de la zone euro n’ont pas les mêmes caractéristiques, que ce soit en matière de culture, de langue, d’organisation du système productif, ou encore de structure fiscale. Ceci résulte en des performances économiques elles aussi hétérogènes, et peut poser problème dans le cadre d’une union monétaire non dotée d’institutions pour corriger ces écarts, comme un mécanisme de redistribution budgétaire. Si ces différences structurelles n’ont jamais été négligées, l’espoir fut grand il y a 15 ans, qu’elles s’atténueraient avec le temps, grâce à un processus de convergence endogène issu de la création de la monnaie unique. Malheureusement, le processus de convergence n’a pas été aussi performant qu’attendu, (pire il a été négligeable); de plus, les crises économiques et financières qui se sont produites au cours de la période 2007-2010 ont enclenché une dynamique de divergence économique entre les pays de la zone euro.

Il est habituel de diviser la zone euro en deux groupes : le cœur et la périphérie. Cette division semble cependant un peu trop simpliste. La zone euro compte 18 pays, aux caractéristiques tellement diverses, qu’il paraît plus pertinent de distinguer quatre groupes de pays : un cœur composé de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Finlande, du Luxembourg et des Pays-Bas; un groupe intermédiaire incluant la Belgique, la France, l’Irlande et l’Italie; une périphérie regroupant l’Espagne, la Grèce et le Portugal; et enfin un groupe composé des petits pays entrés récemment: Chypre, Estonie, Lettonie, Malte, Slovaquie, et Slovénie.

II. Le policy mix actuel dans la zone euro : paradoxal et déséquilibré pour la « moyenne des pays »

Le policy mix actuel de la zone euro se caractérise par 1) une politique monétaire accommodante mais dont l’efficacité semble limitée quasi-exclusivement au secteur financier, 2) des politiques budgétaires nationales restrictives dans la plupart des pays, 3) l’absence d’une politique budgétaire supranationale d’ampleur significative, 4) un euro relativement cher sur le marché des changes, à environ 1,35$. Il est important de noter qu’un tel policy mix ne correspond pas aux caractéristiques moyennes de la zone euro, mais davantage au groupe de pays qui forment le cœur de la zone. A l’inverse, les pays de la périphérie le supportent beaucoup moins bien ; en réalité, même les pays du groupe intermédiaire auraient besoin d’un policy mix un peu plus expansionniste dans les faits, ne serait-ce que par une dévaluation progressive de l’euro.

Il y a au moins trois failles dans le policy mix actuel. Tout d’abord, la politique monétaire ne se transmet pas suffisamment à la sphère réelle, et reste essentiellement confinée dans ses effets à la sphère financière. Deuxièmement, la politique budgétaire supranationale nécessaire à l’intégrité de la zone euro brille par son absence. Enfin, l’euro est surévalué, et il n’existe pas de volonté politique claire de mettre un terme à cette surévaluation ; les gouvernements ne s’approprient pas assez cette question, et elle ne fait pas partie des prérogatives de la BCE.

Dans un tel contexte, le caractère restrictif des politiques budgétaires menées par les Etats nationaux afin d’assainir leurs finances publiques n’est pas compensé par le caractère expansionniste de la politique monétaire du fait du manque de transmission à la sphère réelle, ni par une politique budgétaire supranationale puisque celle-ci n’existe pas, ni enfin par une politique de change, puisque la question de la responsabilité de la détermination du taux de change de l’euro est laissée au seul marché, pourtant d’une rationalité limitée en la matière.

Il est vrai que la mise en place de l’union bancaire – consistant en un mécanisme de supervision bancaire, en un mécanisme de résolution des faillites bancaires, et en un schéma de garantie des dépôts – ainsi que le recours à la titrisation des créances sur les PME (envisagée par la BCE), pourraient permettre à relativement court terme une amélioration de la transmission de la politique monétaire à la sphère réelle. Cependant, en l’absence d’une politique budgétaire supranationale potentiellement expansionniste, les politiques de rigueur menées nationalement et la cherté de l’euro posent un véritable problème pour les performances de la zone monétaire à plus long terme. Un vrai budget pour la zone euro et des prérogatives en matière de taux de change devraient donc être des sujets d’intérêt pour la nouvelle Commission et le futur président de l’eurogroupe.

Conclusion

En l’absence d’homogénéité à la l’intérieur d’une zone économique donnée, il est impossible de définir un policy mix optimal pour cette zone. Lorsqu’une homogénéité suffisante existe, qu’elle soit naturelle (a priori) ou artificielle (a posteriori), le policy mix optimal correspond aux caractéristiques de la moyenne de la zone. Aujourd’hui, deux problèmes minent le policy mix dans la zone euro. Tout d’abord, il n’existe d’homogénéité ni naturelle ni artificielle au sein de cette zone. De plus, le policy mix actuel est plus adapté aux pays du groupe de tête (le cœur de la zone) qu’à la moyenne des pays. Dans les faits, la conjugaison entre une politique monétaire à la transmission imparfaite, l’absence de politique budgétaire supranationale, la surévaluation de l’euro et le caractère restrictif des politiques budgétaires met à grand mal les performances de la zone euro, crée les conditions d’une déflation récessive, et in fine hypothèque sa viabilité à long terme.

En effet, et ceci n’est paradoxal qu’en apparence, ce policy mix au biais restrictif empêche la mise en place des réformes structurelles nécessaires à long terme, dans la mesure où les chocs négatifs répétés qu’il porte à l’activité et à la croissance crée des rigidités sociales en retour.


[1]Voir http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/391818

Grande Région, petit dénominateur commun?

La Grande Région est le nom – générique et guère porteur de sens en lui-même – donné à l’espace transfrontalier « Saar – Lor – Lux – Rhénanie-Palatinat – Wallonie – Communauté française et germanophone de Belgique[1] ». Plus de 11 millions de personnes, sur un territoire de 65.401 km2, parlant 3 langues différentes, cohabitent – de facto – dans une région où les frontières physiques ne sont plus guère perceptibles, et ce en raison de l’intégration européenne qui s’y applique – sans doute – plus que n’importe où ailleurs au sein de l’Union européenne (UE). Mais ces régions collaborent également de jure. Ainsi, la Grande Région dispose notamment d’un instrument politico-institutionnel nommé « Sommet », c’est-à-dire un ensemble de rencontres régulières – préparées par plus d’une dizaine de groupes de travail – au « plus haut niveau politique » des différentes entités territoriales concernées, d’un Conseil économique et social entre les partenaires sociaux et d’un Conseil parlementaire interrégional entre les assemblées parlementaires. Elle dispose aussi – et ce ne sont que quelques exemples parmi une longue liste – d’un Observatoire interrégional de l’emploi, d’une taskforce « frontaliers, de sa propre « Maison » (Maison de la Grande Région), d’un Conseil interrégional des chambres de métiers, et même, sous forme d’un « groupement transfrontalier », d’une Université, qui plus est appelée « Université de la Grande Région ».

Il n’y a donc pas une Grande Région, mais, sur le plan multilatéral, une architecture complexe, multidimensionnelle et ambigüe de coopérations et d’échanges formels et informels. Les intentions sous-jacentes à cette architecture sont souvent les bonnes : il s’agit en effet d’encadrer et de faciliter une réalité bien tangible qui est celle d’un espace transfrontalier modèle au sein de l’UE. En effet, rares sont les régions limitrophes au sein de l’Union qui mettent en œuvre aussi manifestement et naturellement les libertés fondamentales européennes. Les frontières ne sont plus des barrières infranchissables – ni aux biens et services ni aux personnes, ni aux capitaux – mais simplement des points géographiques et administratifs donnés.

L’UE étant la force motrice de l’intégration européenne, la Grande Région est l’essence qui l’alimente et les coopérations au niveau grand-régional sont l’huile permettant de fluidifier le fonctionnement des rouages et engrenages au niveau régional et local. Si la motivation ayant donné lieu à une telle mosaïque de coopérations interrégionales est fort louable, les réalisations concrètes semblent parfois lentes et peu perceptibles.

En effet, la gouvernance de la Grande Région est un véritable casse-tête dans sa « morphologie ». Elle est pour commencer fondée sur l’existence d’un Etat souverain, d’une région française subdivisée en départements, d’un millefeuille belge à part entière (région wallonne, communautés germanophone et française – pour autant que l’on écarte Bruxelles… – le tout étant composé de provinces) et de deux Länder allemands. Une gouvernance difficilement intelligible dont les centres décisionnels et économiques respectifs sont parfois relativement éloignés du noyau de la Grande Région. Citons à titre d’exemple la capitale Mayence en Rhénanie-Palatinat, dont la zone de chalandise se trouve avant tout dans la région Rhin-Ruhr et vers Francfort, ou encore Namur, capitale d’une Wallonie dont le cœur draine vers Bruxelles, voire vers Lille. Et une juxtaposition de composantes territoriales dont l’étendue du pouvoir décisionnel s’articule à plusieurs vitesses et ne se trouve pas au même niveau (voir l’exemple des conseils généraux et régionaux en France, sachant que (souvent) le pouvoir décisionnel revient à Paris).

Aussi, n’est-il sans doute pas faux de dire que les entités territoriales allemande, française et belge faisant partie de la Grande Région sont soit éloignées géographiquement de leurs centres administratifs nationaux, soit (très) différenciées du point de vue économique, que ce soit en termes de dynamique et de performance ou que ce soit du point de vue des résultats atteints (à titre d’exemple, le PIB par habitant de la région flamande est supérieur de 18% à la moyenne européenne, la richesse per capita de la Wallonie étant de 12% inférieure à cette même moyenne). Des enseignements similaires, allant dans le sens d’une très grande disparité, sont aisément perceptibles dans les indicateurs régionaux de compétitivité mis à disposition par l’UE (« Regional competitiveness index »[2]).

De surcroît, alors que les entités territoriales ont tout intérêt à coopérer d’un point de vue socio-économique, très souvent, elles se trouvent aussi en situation de concurrence. La Grande Région n’est pas non plus, culturellement ou sociologiquement, un territoire auquel les citoyens adhèrent facilement, a fortiori encore moins un territoire de communauté de destins. Outre les barrières linguistiques et l’ombre toujours présente de l’histoire de notre continent, en général, et de notre région, en particulier, notamment au 20e siècle, la « Grande Région » n’est pas en soi un concept auquel on adhère naturellement. Et pour cause… Comment peut-on ressentir un sentiment d’appartenance envers un territoire auquel il est fait référence sous la désignation utilitariste : « Grande Région » ?

Les quelque 200.000 frontaliers – la Grande Région constitue le premier marché du travail transfrontalier de l’UE des 28 – sont peut-être des ambassadeurs (pour autant qu’ils s’intéressent à leur région d’accueil au-delà de la poursuite d’une activité professionnelle), la capitale européenne de la culture « Grande Région » de 2007 a sans doute été une très belle initiative, contribuant à cimenter la « Grande Région des cœurs », mais en général on peut s’interroger sur les destins partagés entre les habitants de Charleroi, d’Esch-sur-Alzette, de Ludwigshafen, de Blieskastel, de Lunéville et de Metz (sans même évoquer l’éventualité que, demain, la frontière de la Grande Région s’arrêtera peut-être dans la banlieue française de la ville suisse de Bâle). La Grande Région ne dispose pas non plus d’une grande métropole et est avant tout composée de villes de taille petite ou moyenne et de territoires plutôt ruraux ; le terme quelque peu rébarbatif de « région métropolitaine polycentrique transfrontalière » étant employé pour faire contre mauvaise fortune bon cœur.

La question mérite d’être posée : la Grande Région n’est-elle pas déjà trop grande, trop disparate, trop incohérente, trop compliquée ? Les territoires frontaliers qui font apparaître des liens réels ont tout intérêt à coopérer et à démanteler des barrières. Ces liens sont sans doute plus évidents entre Thionville, Luxembourg, Trèves, Arlon, Metz et Sarrebruck qu’entre Tournai, Landau in der Pfalz, Eupen et Pont-à-Mousson.

Pour éviter la paralysie, il faudrait résolument mettre en œuvre, dans la Grande Région, le principe de la subsidiarité, c’est-à-dire prendre les décisions là où elles font sens. Il faudrait mettre de l’ordre dans le méli-mélo grand-régional, s’interroger sur ses frontières, se fixer quelques grandes priorités socio-économiques, sociologiques et culturelles (p.ex. la mobilité, la reconnaissance des diplômes, la protection des droits de sécurité sociale, l’apprentissage des langues et de l’histoire commune) et se donner les moyens de les atteindre.

Le Luxembourg doit jouer un rôle moteur en ce sens. Situé au cœur de la Grande Région, c’est notre pays qui retire sans doute le plus grand nombre de bénéfices suite à l’ouverture des frontières et à la construction du « mini-laboratoire  de l’Europe» que constitue de manière évidente (d’abord par son potentiel) la Grande Région. Les citoyens luxembourgeois maîtrisent souvent, outre leur langue nationale, les deux langues étrangères employées dans la Grande Région. Les Luxembourgeois ont l’habitude et le réflexe naturel de passer des frontières, dans l’esprit et dans les faits. S’il est possible de s’imaginer que l’Europe puisse « se passer » du Luxembourg, il est clair que le Luxembourg ne peut aucunement fonctionner sans l’Europe. Les responsables politiques du Grand-Duché ont probablement, sur la majorité des dossiers, une ouverture et une mainmise plus directes auprès des autorités nationales des partenaires grands-régionaux que l’ont les décideurs locaux et régionaux des entités territoriales considérées.

Il conviendrait d’en faire bon usage car le Luxembourg a tout intérêt à ce que la Grande Région réussisse. La Grande Région est notre zone de chalandise, notre pourvoyeur de main-d’œuvre et notre espace de vie. Puisque les progrès sont lents en Grande Région car la gouvernance est complexe et parce que les autorités nationales des régions partenaires ont probablement « d’autres chats à fouetter », le Luxembourg doit redoubler d’efforts pour pérenniser et développer la Grande Région. A cet égard, il doit interpeler tant les partenaires régionaux que les autorités nationales des régions limitrophes afin qu’ils « annoncent la couleur ». Il s’agit, ni plus, ni moins, de mettre en œuvre de manière concrète et sur le terrain, l’esprit des traités européens d’une « union toujours plus étroite entre les peuples d’Europe », et de montrer, au niveau du laboratoire qu’est la Grande Région, qu’il « n’y a pas plus européen que le Luxembourg[3] ».

L’auteur tient à remercier M. François-Xavier Borsi pour la relecture de la présente contribution et pour ses précieux conseils.


[1]Voir le Portail de la Grande Région : http://www.granderegion.net/fr/grande-region/index.html.

[2]http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docgener/studies/pdf/6th_report/rci_2013_report_final.pdf.

[3]Le slogan « Il n’y a pas plus européen que le Luxembourg » est issu d’une « Idée du mois » publiée par la Fondation IDEA asbl : http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/2014/07/IDEA_Id%C3%A9e-du-mois_3_nation-branding.pdf.

Idée du mois n°3 – Nation Branding: nouveau positionnement du Grand-duché

Pourquoi le Luxembourg, un pays qui accueille sur son territoire 45% de non-nationaux et plus de 150.000 frontaliers et qui exporte 80% de sa production nationale, ne dispose-t-il pas d’une image de marque plus positive ? Ne devrait-on pas être le champion du nation branding ?

Bien que le Luxembourg possède des forces bien identifiées, le pays souffre toujours de défauts de perception liée aux nombreux clichés négatifs qui lui sont accolés. Pour améliorer le nation branding du Grand-Duché et pour repositionner l’image de marque du pays, IDEA propose des mesures claires et concrètes…

L’absentéisme abusif – un souci majeur pour l’entreprise

La proposition d’introduire un jour de carence au Luxembourg a récemment provoqué un certain émoi faisant réagir à chaud les partenaires sociaux et le ministre de la sécurité sociale à ce sujet. Le motif principal d’une telle mesure est de combattre l’absentéisme abusif au Grand-Duché, qui aux yeux de certains commentateurs atteint un coût prohibitif pour les entreprises et ceci dans un contexte où le gouvernement prend la décision de diminuer son apport financier à la mutualité des employeurs.

L’absentéisme « abusif » est un phénomène difficile à contrôler et qui varie selon la situation du marché du travail et du secteur d’activité. Pour les entreprises, cela représente un coût non négligeable engendrant des frais directs (continuation de salaire, recours aux intérimaires, perte de chiffres d’affaires…) et indirects (désorganisation dans l’entreprise, risque de démotivation d’autres collaborateurs…). Des facteurs comme la sécurité de l’emploi, la « continuation du salaire » en cas de maladie ou encore la protection contre le licenciement peuvent influencer le choix du salarié de demeurer en congé de maladie. La propension à l’absentéisme dépend ainsi directement, parmi d’autres facteurs, du coût d’opportunité des absences et du risque de sanctions. Selon la littérature économique, un salarié qui dispose d’une sécurité d’emploi élevée craint moins le risque de sanctions et sera davantage incité à chômer. C’est l’aléa moral qui le permet, un phénomène qui peut apparaître dans une relation entre deux agents (principal – agent) ou deux parties contractantes lorsque que l’agent, isolé d’un risque, se comporte différemment que s’il était lui-même intégralement exposé au risque.

L’idée d’introduire un jour de carence n’est pas inédite. En France par exemple, il existe 3 jours de carence pour le secteur privé. Le secteur public, pour des raisons électoralistes, en est dispensé depuis 2014, alors que son introduction en 2012 avait contribué à faire chuter l’absentéisme de plus de 40%. De même, en Autriche, le jour de carence a fait ses preuves et a contribué à faire diminuer significativement l’absentéisme, notamment dans les PME.[1]

L’évolution du taux d’absentéisme

graph_absentéismeSource: Observatoire de l’absentéisme

Au Luxembourg, le taux d’absentéisme s’élevait à 3,7% en 2012, soit une augmentation de 0,5% par rapport à 2006. L’observatoire de l’absentéisme distingue entre le taux d’absentéisme de courte durée (durée d’absence de 1-21 jours) et de longue durée (plus de 21 jours). Les motifs d’absence sont significativement distincts en fonction de la durée de l’absence : les maladies infectieuses et parasitaires figurent parmi les raisons dominantes pour les absences de courte durée (30%), par contre pour les absences de longue durée les facteurs stress et dépression (23%) ainsi que les convalescences après acte chirurgical (21%) figurent parmi les causes principales.

Sur la période, c’est le taux d’absentéisme de longue durée (+0,5%) qui explique la hausse du taux global ; le taux de courte durée quant à lui est resté stable. L’introduction d’un jour de carence devrait vraisemblablement diminuer les charges reprises par la mutualité des employeurs. Elle pourrait également inciter davantage les « chômeurs » qui s’absentent moins de 3 jours, dont la remise de certificat médical attestant l’incapacité de travail n’est souvent pas obligatoire, de retourner à leur travail. Pourtant, il faut prendre en considération l’autre revers de la médaille : Le concerné pourrait être incité de « prolonger » sa maladie. S’il n’est pas payé que le premier jour d’absence, pourquoi pas rester à la maison un jour ou deux de plus.

Néanmoins, afin de pouvoir mesurer l’efficacité d’un jour de carence, il faudrait publier les chiffres sur les absences de moins de trois jours. La période couverte du taux d’absentéisme de courte durée (21 jours) tel que défini par « l’Observatoire de l’absentéisme » est trop vaste et ne permet pas de tirer des conclusions pertinentes quant à l’évolution des absences de moins de trois jours. Certes, le taux d’absentéisme de courte durée est resté stable sur la période, pourtant il se peut que les absences de moins de 3 jours aient progressées ces dernières années.

Une autre observation à soulever est que le taux d’absentéisme auprès des frontaliers est plus élevé que parmi les travailleurs résidents (3,9% vs 3,2%)[2]. Il importe également de rappeler que la main d’œuvre transfrontalière est en moyenne plus jeune que les travailleurs résidents, donc elle devrait a priori être moins susceptible de tomber malade. Cette différence peut sans doute être expliquée entre autres par l’aléa moral qui est plus prononcé dans les relations transfrontalières. Les sanctions à craindre sont moindres vu que les mécanismes de contrôle au-delà des frontières sont quasi inexistants pour les entreprises luxembourgeoises.

La Fondation IDEA consacrera un dossier entier au financement du système de santé dans lequel sera entre autre traité la problématique de l’absentéisme. Toute contribution ou idée à ce sujet de votre part est la bienvenue.


[1]Böheim, R. und Leoni, T. (2011). Firms’ Moral Hazard in Sickness Absences, IZA Discussion Paper No. 6005, 1-34.

[2]Source: Observatoire de l’absentéisme

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