Le droit de vote, une évidence citoyenne.

Il y en a qui citent une avalanche de chiffres afin de « justifier », par la force des statistiques, qu’une extension du droit de vote aux ressortissants étrangers est une nécessité absolue, qu’elle s’impose au vu du poids démographique, économique et social des non-Luxembourgeois. 7 travailleurs sur 10, presque 1 habitant sur 2 et 3 créateurs d’entreprises sur 4, n’ont pas le passeport grand-ducal, et ainsi de suite. Donc, il faut faire en sorte qu’ils obtiennent une représentativité politique à hauteur de leur contribution.

Je ne vais pas choisir cet angle d’approche, car il est déjà amplement documenté. Par ailleurs, il manque d’émotions. Je plaide plutôt pour une séparation des notions de citoyenneté et de nationalité. Tant les Luxembourgeois que les étrangers vivant sur notre territoire sont des citoyens de notre pays. Ils ont fait le choix de vivre en commun sur le sol luxembourgeois. Il s’agit d’une « association de personnes unies par des liens contractuels, manifestant leur volonté de vivre sous les mêmes lois[1] ». Tout un chacun apporte sa pierre à l’édifice luxembourgeois. Le vivre ensemble confère dès lors un ensemble de droits et d’obligations, et le droit de vote me semble en faire partie car il permet aux citoyens de s’exprimer sur les grandes orientations politiques du pays et sur l’orientation générale des choix publics.

Nombreux sont ceux qui, en s’opposant au droit de vote, estiment que les concepts de « citoyen » et de « national d’un pays » sont indissociables, forment un tout. Ceci n’est pas vrai, et il existe, dans le chef en tout cas des citoyens européens, un précédent important : les citoyens de l’Union ont un droit de vote au niveau européen alors qu’ils sont des nationaux de 28 Etats souverains (dont certains font par ailleurs apparaître des velléités séparatistes régionales, illustrant de la sorte que le sentiment d’appartenance à une « nation » ne se confond pas nécessairement avec la définition politique la nation, et encore moins avec la notion de citoyen). Quoi qu’il en soit, il est tout à fait possible d’être « citoyen » et « national » en même temps, de cumuler ces deux qualités.

Au-delà de cette analogie, il me semble important de décrisper la discussion autour du droit de vote. Ceux qui s’opposent becs et ongles à l’extension du droit, sont-ils inquiets du devenir de notre pays ? Pourquoi le droit de vote « des étrangers » fait-il si peur ? Le Luxembourg a toujours été, et il l’est encore plus aujourd’hui que hier, une terre d’accueil. Le Luxembourg a réussi, alors que de nombreux pays ont échoué, à intégrer les étrangers sans avoir la prétention de les assimiler. Le Luxembourg aujourd’hui, c’est plus de 170 nationalités qui vivent paisiblement sur les 2.586 km2 du Grand-Duché. La diversité culturelle et linguistique est une richesse de notre pays : une richesse intrinsèque à notre pays, et d’ailleurs beaucoup plus durable que tout secret bancaire.

Nous n’avons que les têtes et les expériences de nos concitoyens, à défaut de gisements pétroliers. Les Luxembourgeois d’aujourd’hui sont en très grande partie des immigrés de hier ; les noms de famille à consonance allemande cèdent aujourd’hui la place aux noms italiens et portugais ; le reflet à long terme des différentes vagues migratoires. Qu’un chiffre me soit permis : 61% de la population a aujourd’hui un arrière-plan migratoire[2]. C’est ce que nous sommes. Le Luxembourg a toujours eu l’intelligence de s’ouvrir, de partager, d’accueillir. La diversité sur son petit territoire me paraît inégalée. Nous formons aujourd’hui une communauté de destin. L’ouverture nous a permis de grandir et de prospérer.

Le droit de vote au Luxembourg devrait être ouvert à toutes celles et à tous ceux qui ont un lien avec le pays. La nationalité est un lien évident et les récentes réformes de la nationalité luxembourgeoise, avec l’introduction d’un droit du sol de 2e génération et de la double nationalité, ont été des avancées certaines et indispensables ; qui tiennent compte de la grande diversité au Luxembourg. Or, en suite logique de ce qui précède, la nationalité ne peut pas être l’unique « ticket d’entrée » au bureau de vote. Une résidence sur le territoire luxembourgeois de quelques années permet de « plonger » dans le microcosme grand-ducal, d’apprendre les us et coutumes, et de s’intégrer, au sens positif du terme. La contribution culturelle, sociale et très souvent économique doit trouver un reflet politique. Une appropriation unilatérale des « avantages » de la présence des non-Luxembourgeois sans retour de la part de la société d’accueil sous forme d’un droit de s’exprimer me semble injuste.

La double nationalité, que certains voit comme « la solution » (« ils n’ont qu’à adopter la nationalité luxembourgeoise, c’est facile ! ») discrimine indirectement, bien que cela ne soit de toute évidence pas l’intention du régime, les étrangers dont le droit national ne prévoit pas la possibilité de soit adopter une autre nationalité, soit de la cumuler avec la nationalité d’origine. Aussi, une ouverture du droit de vote ne doit pas être travestie en choix politique contre les Luxembourgeois de souche, les retraités, les fonctionnaires, etc. C’est, a contrario, un choix pour tenir compte des réalités luxembourgeoises, un choix pro-intégration. Pour préparer l’avenir de notre pays, il faut river le regard sur la route qui est devant nous, et ne pas regarder constamment en arrière. Notre pays a changé ; il faut donc que le pays change.

Mais il demeure un important casse-tête : un droit de vote doit-il nécessairement être une obligation de vote ? Nous ne pouvons pas brandir l’arme de notre « droit de vote obligatoire » pour refuser d’emblée de l’ouvrir à celles et ceux qui ne connaissent pas cette tradition. Or c’est à mon avis une discussion qui doit être creusée.

Le Luxembourg a ouvert le droit de vote actif et passif aux élections communales. Et pourtant, notre pays tient toujours debout, il ne s’est pas écroulé. Les craintes se sont avérées malvenues et les doutes se sont dissipés. Il est temps d’aller de l’avant car, tôt ou tard, les statistiques que je n’ai pas voulues citer à foison nous auront rattrapées.


[1] L. SOSOE : « Nation », dans le Dictionnaire de Philosophie Politique (dir. Philippe Raynaud et Stéphane Rials), Paris, 1996, Presses Universitaires de France.

[2]http://www.luxembourg.public.lu/fr/actualites/2013/04/09-population/index.html

Droit de vote des étrangers aux législatives : pourquoi je suis contre

La question du droit de vote des étrangers aux élections législatives devrait être l’un des sujets « brûlants » de cette mandature ; le fait qu’il y ait deux pétitions sur le sujet (l’une pour ouvrir le droit de vote aux étrangers, l’autre se positionnant contre) est une indication en ce sens.

Cela avait d’ailleurs été anticipé par le gouvernement qui, dans son programme de coalition, écrivait que la population serait consultée en 2015 sur des questions essentielles notamment « les droits politiques des concitoyens non luxembourgeois », terminologie politique pour parler du droit de vote (actif et passif) des résidents étrangers.

Si on en croit les entreprises et les institutions, la question est entendue, il faut ouvrir le droit de vote aux étrangers. Une consultation du journal paperJam qui portait sur la question « d’intégration des étrangers résidents au processus démocratique[1] » semble en attester.

Les arguments avancés par les « partisans » du vote des résidents étrangers sont de deux ordres : favoriser le vivre ensemble par la représentativité démocratique et la contribution des résidents étrangers à l’économie (impôts et richesse nationale) justifie qu’ils aient voix au chapitre électoral. En apparence crédibles, ces arguments manquent de pertinence.

Tout d’abord, nulle étude sérieuse ne vient attester d’un retard du vivre ensemble au Luxembourg que le droit de vote des résidents étrangers pourrait corriger. Le niveau élevé de résidents étrangers au Luxembourg est un fait qui n’est nullement accompagné de tensions communautaires. La question de la qualité du vivre ensemble qui serait augmentée en ouvrant le vote aux étrangers n’est ainsi qu’une construction de l’esprit sans base réelle. Je signale, dans un raisonnement par l’absurde, qu’un exclu social luxembourgeois ayant le droit de vote, n’est nullement dans une condition du vivre ensemble supérieure à un résident salarié qualifié qui ne peut pas voter. Les difficultés de vivre ensemble qui peuvent exister au Luxembourg sont sans doute d’ordre social, et clairement pas d’ordre politique. Par ailleurs, l’argument de la représentativité électorale, qui repose sur le fait que les électeurs sont principalement « âgés » et/ou « fonctionnaires » est pour le moins « douteux » et s’apparente à un ostracisme anti-fonctionnaire et anti-sénior. Rien ne permet d’avancer que les choix publics faits par ces catégories d’électeurs seraient moins pertinents dans le temps et l’espace que ceux faits par des jeunes salariés du secteur privé.

S’agissant de l’idée régulièrement avancée que la contribution à l’impôt et à la création de richesse sont des raisons suffisantes et valables pour ouvrir le droit de vote aux résidents étrangers, elle relève du sophisme. Cette réhabilitation d’une forme de suffrage censitaire se heurte d’emblée à une autre réalité. Si on devait ouvrir le droit de vote aux résidents étrangers en lien avec leur implication dans la vie économique nationale, ne devrait-on pas également le faire pour le travailleur frontalier qui consomme au Luxembourg en journée, y paie son impôt sur le revenu, participe à la création de richesse par le fruit de son travail, et vient y faire des emplettes (tabac, alcool, essence) le week-end ?

Au-delà de ces considérations qui montrent que les arguments de ceux qui sont « pour » sont construits sur des bases fragiles, se posent d’autres problèmes, d’ordre juridique pour la plupart. Y aurait-t-il un système de vote à deux vitesses ? (obligatoire pour les résidents luxembourgeois comme actuellement, et possible mais facultatif pour les résidents étrangers), ou cet élargissement du vote irait-il de pair avec la fin du vote obligatoire et de la montée de l’abstention[2] (avec ses conséquences possibles) ? Si la question du droit de vote doit être soumis à référendum, ce référendum serait-il ouvert aux résidents étrangers (qui dès lors seraient juge et partie) ou ne serait-il ouvert qu’aux Luxembourgeois (qui suivant le résultat risquent d’être taxés d’obtus conservateurs)? Dès lors que le vote actif est ouvert aux résidents étrangers aux élections législatives, sera-t-il possible de leur interdire le droit de vote passif (droit de se porter candidat)? Il se pourrait donc qu’un résident étranger siège à la commission des affaires étrangères du Luxembourg ou à la commission de contrôle parlementaire du SREL ? Impensable…

Pour paraphraser Pierre Bourdieu, ce consensus institutionnel sur le droit de vote des étrangers s’apparente à une « idée louche ». Le droit de vote doit, selon moi, rester lié à la nationalité ; si le gouvernement et les institutions veulent augmenter le nombre de votants, qu’ils œuvrent à faciliter l’accès à la nationalité, cela permettrait d’atteindre la représentativité qu’ils visent sans dénaturer le particularisme luxembourgeois dont la pierre angulaire est le vote obligatoire.


[1] http://www.paperjam.lu/article/fr/comment-mieux-integrer-les-residents-etrangers-au-processus-democratique

[2] La faible participation des étrangers résidents aux élections communales et européennes relativise d’ailleurs leur envie supposée de participation électorale.

Un cahier d’étude de la BCL qui interpelle : pensions – mieux maux prévenir aujourd’hui que guérir demain

La récente réforme de l’assurance pension, introduite par la loi du 21 décembre 2012, a fait couler beaucoup d’encre, et elle polarise toujours. Pour certains, elle va trop loin, elle menace le pouvoir d’achat, elle est carrément superflue au vu des réserves engrangées par le fond des retraites, ladite « réserve de compensation ». Pour d’autres, elle ne va au contraire pas assez loin, menace l’équité et l’équilibre intergénérationnels et se base sur des hypothèses macroéconomiques désuètes. Et si la vérité, comme si souvent, était à chercher entre ces deux extrêmes ?

Rappelons-le d’emblée, la réforme de 2012 table en effet sur une croissance de 3% l’an. Et même en cas de matérialisation de cette croissance exceptionnelle, qui suppose un quadruplement du PIB en 50 ans, le système ainsi réformé engrangerait une dette de presque 60% d’ici 2060 selon les autorités, avec une population active de l’ordre de 800.000 personnes. Nous aurons alors épuisé nos importantes réserves – plus de 13 milliards EUR à l’heure actuelle – et légué une dette inédite à nos enfants – environ 30 milliards EUR aux prix d’aujourd’hui ; et ce en nous appuyant sur une économie quatre fois plus grande et une population active deux fois plus nombreuse.

Sommes-nous au bout du chemin des réformes ? Probablement pas et le programme de coalition ouvre la voie à des ajustements de la réforme 2012 ; le gouvernement entend en effet « poursuivre les efforts engagés ». Mais, à part quelques déclarations générales, le lecteur du programme gouvernemental reste sur sa faim. C’est dommage d’autant plus que l’assurance pension est sans doute l’émanation la plus fondamentale du modèle social luxembourgeois, de la santé et des performances de laquelle dépendent des générations entières.

Avant d’embarquer pour un voyage à destination lointaine – toute réforme sérieuse de l’assurance pension s’articulant par nature à (très) long terme – il faut se préparer, planifier, prévoir. Bien sûr, des ajustements en cours de route sont indispensables, mais le cap général doit être défini d’avance. Et c’est, à mon avis, ce cap qui manque. Les ajustements ponctuels ne suffisent plus pour permettre la pérennité à long terme du système. Dès lors, nous devons clairement annoncer la couleur aujourd’hui pour ne pas nous tromper demain.

Sachant que les grands problèmes ne peuvent être résolus qu’avec des grandes réformes, le Luxembourg a donc besoin d’une feuille de route pour sauver le monument des pensions avant qu’il ne s’écroule suite à l’effritement progressif de ses fondations. Il faudrait en débattre, les solutions ne tomberont pas du ciel. Il faudrait ficeler un paquet équitable pour tous, pour les pensionnés d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain. Les principaux paramètres de ce paquet sont connus : les années prestées, le niveau des prestations non couvertes par des cotisations, le niveau des pensions actuelles et à venir, l’adaptation des prestations à l’inflation et à l’évolution réelle des salaires, le montant des cotisations de l’entreprise, du salarié et de l’Etat. Tout l’art consiste à combiner courageusement ces paramètres de manière avisée, habile et intelligente. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » solution, mais un très large « champ des possibles », et il incombe à ceux qui nous gouvernent de faire ce choix, après nous avoir consultés bien sûr. De toute évidence, il n’est pas possible dans un monde fini de donner toujours plus à tous.

Déficit, croissance et bien-être intergénérationnel : Comment réformer les pensions au Luxembourg ?

Le titre ci-avant, c’est l’intitulé d’un récent « Working paper » de trois économistes de la Banque centrale du Luxembourg, MM. Muriel Bouchet, Luca Marchiori et Olivier Pierrard. Ce papier interpelle et lance des pistes de réflexion concrètes, tout en demeurant abordable pour le grand public. Il interpelle pourquoi ? Et bien, d’après les calculs effectués par les trois économistes, la récente réforme permettrait de réduire le déficit à l’horizon 2060 d’un quart par rapport à un scénario hors réforme (c’est-à-dire d’un déficit de l’ordre de 20% à un déficit de 15%). De tels déficits impliquent des niveaux de dettes pouvant être qualifiés d’énormes à moyen terme.

Les auteurs proposent de complémenter la récente réforme en :

  • baissant progressivement le taux de remplacement de toutes les pensions, c’est-à-dire le pourcentage du salaire que l’on perçoit pendant la retraite, de 40% d’ici 2060 (plutôt que de 18% environ tel que le présuppose la réforme de 2012) ;
  • augmentant le rendement des cotisations de 5 points (plutôt que de 4 points au total (hors cotisations de l’Etat) sous la réforme de 2012 en cas de déséquilibre financier des systèmes de pension) ;
  •  et, au-delà de la récente réforme des pensions, en relevant progressivement l’âge effectif de la retraite de 61 à 65 ans pour correspondra à l’âge légal.

Le Luxembourg resterait alors toujours confronté à un déficit public hors soins de santé de 3% relatif au PIB en 2060, soit un niveau de déficit conforme aux critères de Maastricht en cas d’équilibre des soins de santé ; tout en affichant des prestations plus que favorables en comparaison internationale. Telle est l’envergure du défi; l’évolution fulgurante du nombre de salariés d’aujourd’hui se transformant en véritable casse-tête demain. Compris dans la baisse du taux de remplacement de 40% serait la neutralisation de l’ajustement des pensions aux salaires réels (pour l’évolution d’une pension au cours de la période de retraite et non pour son niveau de départ) et la suppression de l’allocation de fin d’année prévue dans le réforme de 2012, ces deux dernières mesures étant d’application dès lors que les dépenses du système dépassent les recettes.

Le papier rappelle par ailleurs que la bonne santé apparente du système aujourd’hui est largement la résultante d’un déséquilibre manifeste en vertu duquel les frontaliers cotisent beaucoup (40%) et retirent peu (20%) du système ; phénomène qui s’estompera progressivement.

Et bien que ce ne soit pas son objectif, l’étude rappelle qu’en cas d’absence de nouvelles réformes du côté des assurances maladie et dépendance, ces systèmes seraient déficitaires de l’ordre de 5% d’ici 2060. Décidément, la réforme des pensions n’est donc pas le seul chantier à prendre à bras le corps afin d’assurer la pérennisation du modèle social luxembourgeois…

Bien sûr, face à l’ensemble de ces chiffres – ce sont des prévisions et des hypothèses – les critiques pourront tenter de faire valoir que ce ne sera pas aussi grave, qu’il vaudra mieux atteindre, qu’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, qu’il ne faut surtout rien changer à un système qui fonctionne. Bien sûr, aucune prévision n’est parfaite. Aucun modèle correspond exactement à la réalité future, par nature indéterminée et indéterminable. Mais à l’instar d’un ménage, qui consomme, qui épargne, qui investit, ou d’une entreprise, qui planifie, qui définit sa stratégie, qui produit, l’Etat doit au mieux prévoir, planifier, gouverner, faire des choix. Et contrairement aux projets d’un ménage isolé ou d’une entreprise individuelle, les assurances sociales nous concernent tous. Ainsi, la gestion en bon père de famille de ces dernières revêt un caractère fondamental car elles constituent notre premier rempart contre la pauvreté et l’exclusion, que ce soit en cas de maladie, d’accident, de dépendance ou de vieillissement.

En effet, mieux vaut prévenir et réformer aujourd’hui que de devoir guérir et casser demain…

Déficit et dette dans l’UE : du mieux mais encore fort à faire.

Eurostat vient de publier les chiffres 2013 concernant la dette et le déficit publics des pays membres de l’Union européenne. Principaux résultats de ce palmarès ? La zone euro est (enfin) revenue dans les clous du Pacte de stabilité en matière de déficit, et le Luxembourg est le seul pays membre à afficher un excédent budgétaire en 2013.

En 2013, la majorité des pays membres de l’UE (19/28) affichent une baisse de leur déficit public en 2013, sept d’entre eux voient leur déficit augmenter, et le déficit reste stable dans deux pays. En conséquence, pour l’ensemble des vingt-huit Etats membres le déficit passe de -3,9% du PIB en 2012 à -3,3% en 2013. S’agissant des dix-huit Etats qui partagent la monnaie unique, ils ont affiché fin 2013, un déficit de 3% du PIB contre 3,7% en 2012 et sont ainsi revenus, pour la première fois depuis le début de la crise, dans la limite autorisée par le traité de Maastricht.

Le Luxembourg, l’un des rares pays de l’UE à encore disposer de la notation AAA par les 3 principales agences de notation, a fait en 2013 honneur à sa signature puisque ses finances publiques ont connu un excédent budgétaire de 0,1% du PIB. L’Allemagne avec une situation proche de l’équilibre, l’Estonie (-0,2%), le Danemark (-0,8%), la Lettonie (-1%) et la Suède (-1,1%), sont les pays affichant les déficits publics les plus faibles au sein de l’UE.

Si dans l’ensemble, la situation budgétaire de l’UE s’améliore, il faut tout de même garder à l’esprit qu’il existe au sein des pays membres d’importantes disparités en termes de déficits et de trajectoire de la dette. Dix Etats membres affichent ainsi toujours un déficit supérieur à 3% du PIB, la limite fixée par le traité de Maastricht. Les déficits les plus élevés concernent la Slovénie (-14,7%), la Grèce (-12,7%) et l’Irlande (-7,2%) ; il n’y a par ailleurs que cinq pays à avoir enregistré en 2013 une dette inférieure à celle qu’ils avaient l’année précédente. Sur l’ensemble de l’Union, la dette progresse de 1,9 point de pourcentage, et passe de 85,2% du PIB à 87,1% entre 2012 et 2013 ; dans la zone euro, elle passe de 90,7% à 92,6% du PIB.

S’il est vrai que le Luxembourg est dans une situation budgétaire bien plus favorable que la majorité des pays européens, il importe de rappeler que l’excédent de l’Administration publique, qui regroupe l’Administration centrale, les communes ainsi que l’Administration de la Sécurité sociale, résulte, comme les années précédentes, du solde positif de la sécurité sociale (1,5% du PIB), alors que l’administration centrale continue d’afficher un déficit (-1,1% en 2013). En d’autres termes, l’Etat luxembourgeois est, à l’heure actuelle, structurellement déficitaire vu que l’agrégation des deux soldes qui conduit au solde positif de l’Administration publique correspond à une comparaison boiteuse – il ne faut pas mélanger des choux et des carottes.

Si la dette publique est faible et soutenable en Estonie (10 %), en Bulgarie (18,9%) et au Luxembourg (23,1%), elle atteint des niveaux alarmants dans les pays de la périphérie en dépit des plans d’assistance financière et de consolidation (Grèce (175,1%), Italie (132,6%), Portugal (129%), Irlande (123,7%), Chypre (111,7%)), mais aussi dans des pays du centre (Belgique (101,5%), France (93,5%)). Plus globalement, 16 des 28 pays de l’UE (et 13 des 18 pays de la zone euro) ont une dette publique supérieure à 60%, qui est pourtant la limite fixée par les traités.

Si la baisse des déficits publics en Europe, permise par les efforts d’assainissement menés dans les différents pays est une bonne nouvelle, les Etats membres sont encore, pour la plupart, en proie à une dette publique élevée et un service de la dette important (3% en moyenne dans la zone euro et dans l’UE). En raison de l’impact négatif d’une dette publique élevée sur la croissance et du coût d’opportunité du service de la dette, les pays européens doivent poursuivre leur effort afin d’inscrire la dette publique sous une trajectoire durablement descendante. Vu les niveaux de dette en question, la route est sans doute encore longue avant d’y arriver…

Idée du mois n°1 – Et si on se mettait d’accord sur les indicateurs de compétitivité?

Les études de compétitivité internationales font souvent la une des rubriques économiques des medias. Dans sa première idée du mois, IDEA s’intéresse aux classements internationaux, dits benchmarks, et pose la question “Que faut-il retenir de la panoplie d’études sur la compétitivité?”. Pour tout savoir sur les indicateurs de compétitivité, lisez ce document.

L’hirondelle (de la croissance) ne suffira pas pour le printemps (des finances publiques)

Après des années de croissance piteuse (2008-2013), le Luxembourg devrait renouer avec des taux de croissance plus vigoureux entre 2014 et 2018. Selon le Programme de stabilité pour la période 2014-2018, la croissance économique s’élèverait à 3,2% en 2014, 3,2% en 2015, et 3,6% en moyenne entre 2016 et 2018.

La croissance revenue en 2013 (+2,2%), et si nécessaire à la pérennité du modèle luxembourgeois, devrait donc se raffermir et accélérer dans les prochaines années, grâce notamment à l’amélioration de la conjoncture dans la zone euro. En conséquence, le rythme de création d’emplois devrait accélérer pour se situer autour de 2,5% l’an, et le taux de chômage devrait commencer à reculer à partir de 2016, pour retomber à 6,6% en 2018 (contre 7,1% actuellement).

Mais en dépit de ces encourageantes orientations, il existe quelques points noirs au tableau macroéconomique luxembourgeois.

Tout d’abord, les taux de croissance qui sont anticipés pour les prochaines années semblent plutôt optimistes si on les compare aux estimations d’autres institutions[1]. Le fait que les prévisions de croissance au Luxembourg ont été souvent entachées d’un biais optimiste depuis la crise invite d’ailleurs à la prudence concernant les chiffres avancés en matière de croissance dans le Programme de stabilité.

Ensuite, si le taux de création d’emplois est en hausse, il continue d’être inférieur aux taux observés par le passé, de telle sorte que même en recul, le chômage continuera d’être élevé et le coût budgétaire de l’inactivité très important.

Enfin, et c’est un élément de préoccupation majeur, la croissance – même bien orientée – ne suffira pas à empêcher que les finances publiques du Grand-Duché ne soient dans le rouge. A « politique inchangée », le solde structurel – le véritable thermomètre des comptes publics sous l’angle des exigences européennes (six pack) – devrait s’écarter significativement de l’objectif budgétaire à moyen terme du Luxembourg[2] dès 2015. Il serait de -0,8% du PIB en 2015, -0,7% en 2016, -1% en 2017, et -1,2% en 2018.

La question de la validité et de la sévérité des règles européennes n’étant plus d’actualité, le Luxembourg « n’aura guère d’autre choix» que de mettre en œuvre des mesures de consolidation afin de se conformer aux règles européennes et atteindre son objectif budgétaire à moyen terme, il en va de sa crédibilité. Cela correspond peu ou prou à un effort de consolidation de 1milliard d’euros entre 2015 et 2018. La hausse de la TVA au 1er janvier 2015 (dont l’effet sur le solde structurel sera de l’ordre de 300 millions d’euros) étant actée, il reste 700 millions d’euros supplémentaires à dégager sur la période.

Les marges de manœuvre du côté des prélèvements obligatoires étant fortement réduites (malgré la volonté affichée par le Gouvernement d’une « grande » réforme fiscale pour 2016), c’est du coté des dépenses publiques, particulièrement dynamiques et élevées, qu’il faudra sans doute agir. Cependant cette démarche n’est pas sans risque ; une consolidation mal calibrée peut impacter négativement et fortement l’activité et rendre de fait hors de portée l’assainissement budgétaire envisagé.

Le ministre des finances et les nombreux groupes de travail qui planchent sur la question de l’efficacité des dépenses publiques devront donc faire preuve d’habilité et de doigté dans leur choix d’économies budgétaires, et éviter à tout prix de tomber dans la facilité de coupes indiscriminées.

Courage et vista à eux.


[1] FMI, OCDE, Commission Européenne.

[2] Un excédent structurel de +0,5% du PIB.